Teresa Barata Salgueiro est professeur de géographie à l’université de Lisbonne. Elle fait partie du groupe de travail, « Périphéries métropolitaines en marche », chargé de s’intéresser aux mutations sociales et spatiales des espaces périphériques des grandes villes du Sud de la France et de la Péninsule ibérique, au sein du CNRS. Son ouvrage s’inscrit dans une série de portraits géographiques de villes publiées chez l’Harmattan, ‘Métropole 2000′ dans la collection ‘Géographies en liberté’ dirigée par Georges Benko.
Petite capitale de 600 000 habitants et une agglomération de deux millions, Lisbonne fut pendant longtemps interface entre l’Europe et les nouveaux mondes : « Périphérique en Europe, elle est centrale dans une perspective atlantique » Teresa Barata Salgueiro entreprend une présentation, qu’elle veut rigoureuse, de la ville à l’orée du XXIème siècle. Sa problématique est simple mais efficace : Comment Lisbonne participe au dynamisme qui caractérise aujourd’hui les villes d’envergure internationale ? Elle s’attache tout au long des huit chapitres qui composent l’ouvrage à décrire la fragmentation de l’espace lisboète et à proposer une étude sur l’appropriation de son territoire tout en revendiquant une vision personnelle de la ville.
Teresa Barata Salgueiro se propose tout d’abord d’étudier la production de la métropole. L’empreinte de Lisbonne dans l’histoire et à travers le monde, se confond avec celle du Portugal. Aujourd’hui la métropole appartient au réseau des villes-ports avec lesquelles elle entretient des rapports privilégiés. Lisbonne se trouve aujourd’hui à la fois centre (grâce à son port) et périphérie (une périphérie géographique par rapport à l’Union Européenne). L’auteur présente les perspectives d’avenir de la ville. La qualité de la vie, facteur très important de la concurrence métropolitaine, permet de prévoir un renforcement de ses fonctions à moyen terme. Elle bénéficie encore de la modestie (une modestie toute relative néanmoins) des coûts immobiliers et de main d’œuvre.
Le second chapitre met en relief les phases de la production de l’espace urbain des lisboètes, de la fondation mythique par Ulysse à l’explosion maritime du XVIème siècle. L’étalement urbain fut progressif (p.44). L’auteur analyse et décrypte les plans successifs de la ville. Le véritable essor de la ville date de la fin du XIXème siècle. La bourgeoisie en est le maître d’œuvre (à noter que le dernier chapitre étudie plus en profondeur cette mainmise bourgeoise sur une partie de la ville). La métropolisation est fille de l’internationalisation de l’économie portugaise. L’immigration massive des années 1970 est avant tout liée à la décolonisation. Elle prépare une fragmentation sociale et spatiale qui était jusqu’à présent toute relative. La polycentalité devient d’actualité avec la construction du pont sur le Tage dans les années 1990. Mais « blocages dans les marchés, spéculation, faible volonté politique et petits investissements publics traduisent l’inexistence d’une politique de logement consistante » (p.67) même si depuis quelques années on assiste à un renforcement et à une meilleure intégration des périphéries au centre. L’aide de l’Union Européenne et les investissements étrangers sont ici soulignées. La recentralisation est une donnée manifeste aujourd’hui. Cette « capacité renouvelée du centre d’attirer résidents et activités » est liée à un processus de rénovation et, avant tout, de réhabilitation. L’exposition universelle de 1998 en a été le moteur.
L’auteur analyse ensuite le rôle des acteurs dans la production et la remodélisation de l’espace. Avant 1974, les banques et les grandes entreprises étaient les principaux promoteurs immobiliers de la ville. La fin de la dictature change la donne avec la forte présence de promoteurs individuels et la rétractation de l’intervention publique dans de nombreux secteurs. L’auteur s’interroge, comme dans le chapitre précédent, sur l’existence d’une véritable politique urbaine. Des plans stratégiques par objectifs sont valides depuis peu. Ils prennent en compte le développement urbain spontané fils de l’immigration.
Le quatrième chapitre observe les problèmes d’accessibilités et de transports dans la métropole. L’auteur utilise très largement l’histoire pour expliquer le développement des transports On assiste aujourd’hui, comme dans les autres métropoles, à une plus large mobilité de la population alors que l’offre publique n’a pas augmenté (à l’exception du métro qui a étendu son réseau). Le développement du transport individuel est donc manifeste. Depuis ces dernières années, de grandes infrastructures ont été construites dans le but de faciliter l’accès par voiture de la banlieue à la ville et aux zones centrales. Le problème inhérent a cette augmentation du trafic est une pollution de plus en plus manifeste et problématique.
Teresa Barata Salgueiro insiste ensuite sur cette fragmentation sociale et spatiale. Le processus de gentrification est à l’œuvre dans le centre historique. La ville fragmenté à quatre caractéristiques majeures :
– Des zones au fonctionnement mixte se développent
– Des enclaves socialement distincts émergent « Il y a contiguïté sans continuité. ».
– Une ville/métropole polycentrique avec un centre proéminent.
– Une désolidarisation de l’environnement immédiat liée aux nouvelles formes d’accessibilités.
Ces caractéristiques façonnent l’identité des gens et des entreprises qui les utilisent.
Le sixième chapitre, appelé bizarrement ‘La production de la métropole’ (comme le premier chapitre), expose, à différentes échelles le profil industriel de Lisbonne. L’auteur constate l’apparition de nouvelles activités avec la multiplication de parcs technologiques et l’arrivée massive de personnels qualifiés. L’industrie emploie ainsi 34% du total des emplois. Le commerce et les services est l’activité de loin la plus développée. Ils font l’objet d’une étude dans le chapitre suivant. La ville est considérée comme un grand centre tertiaire métropolitain, lié à l’ancienneté de sa fonction commerciale. L’espace central est ainsi surreprésenté au fur et à mesure que la ville grandit et que son économie se développe. On assiste ainsi à une forte concentration spatiale de ces activités.
Finalement, l’ouvrage trouve sa synthèse dans le dernier chapitre, « La ségrégation socio-spatiale et les espaces de vie ». Les rappels aux chapitres précédents sont nombreux. L’auteur entreprend de montrer que la ségrégation spatiale paraît être depuis longtemps un élément typique de la ville industrielle. Elle insiste ensuite sur la fragmentation urbaine : « Sur le substrat hérité de la ville industrielle, la ville post-moderne se construit comme une ville fragmentée où l’on peut voir des enclaves bien différenciées et des zones mixtes » (p.233).
La conclusion permet à Teresa Barata Salgueiro de rappeler que « La ville nous apparaît à la fois petite et grande, provinciale et cosmopolite ». Elle affirme avoir voulu montrer la variation de la valeur de la position de Lisbonne (quelques fois centrales, d’autres périphériques) et la tendance à la fragmentation du tissu urbain. Ce pari, à la fin de l’ouvrage, est réussi.
Véritable ode à Lisbonne, cet ouvrage propose une approche multiscalaire efficace et pertinente. Le nombre très important de croquis, de cartes, anciennes ou contemporaines, mais aussi de tableaux statistiques participent à une très bonne compréhension de l’organisation de l’espace de la métropole lisboète. Une série de photographies en noir et blanc représentent des ensembles architecturaux originaux de la ville mais, il est à regretter que les reproductions soient plutôt de mauvaise facture. Une imposante bibliographie clôt l’ouvrage même si un classement thématique aurait pu être réalisé pour une recherche complémentaire plus pertinente. De lecture très aisée, Lisbonne, Périphérie et centralités, est à conseiller pour des étudiants en géographie urbaine, voire en sociologie, mais aussi pour des enseignants qui peuvent très facilement réaliser plusieurs études de cas sur le fait urbain ou la métropolisation en seconde ou en première (par exemple p.14 ou p.26 sur le phénomène métropolitain). Enfin, pour les amoureux de la ville, l’ouvrage sera un complément indispensable pour approfondir ce que les vacances auront permis de découvrir.
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