UMR/LOUEST/7145.
Cet ouvrage se compose de six chapitres qui montrent les principales phases de développement et de l’évolution de la discipline et son inclus dans une première partie « Savoirs ». Cinq dossiers thématiques complètent et permettent d’approfondir cette approche dans la seconde partie, « Savoir-faire ». L’auteur a décidé de limiter l’étude de l’évolution de la géographie à la France même si, tout au long du livre, il s’attache à montrer les influences étrangères sur les géographes français. De même il commence par discourir sur le découpage de l’histoire de la géographie par des géographes comme Philippe Pinchemel ou Paul Claval.
La première partie est inaugurée par un chapitre portant sur « Le temps des découvertes et des espaces révélés. ». L’auteur rappelle que la géographie est une création ancienne et s’engage dans le rappel des principales étapes des origines jusqu’à la fin du XVIIIèmle siècle. Insistant sur le fait que la géographie fut avant tout basée sur une interprétation téléologique de l’espace, il égrène les grands noms de l’antiquité : Hérodote, Erathosthène ou Al Idrissi. La géographie devient progressivement une l’affaire des puissants. Le premiers atlas apparaissent comme celui de Mercator. Rappels brefs mais efficaces qui ne prennent pas le temps néanmoins de détailler les fonctions de ces cartes. Par exemple, Mercator projette un planisphère pour aider à la navigation maritime avant tout. De nombreux cartographes sont mis à l’honneur comme la famille Cassini complété par un dossier dans la seconde partie de l’ouvrage. L’auteur se pose la question de savoir si la géographie devient une science au XVIIIème siècle. C’est avant tout un siècle d’apporst théoriques sous l’impulsion de Kant et un moment ou la géographie s’intéresse aux relations milieux / genre de vie ou milieux / densités.
Le second chapitre, « Vers une géographie scientifique » se propose d’étudier l’évolution de la géographie tout au long u XIXème siècle. A l’origine science naturelle, la géographie se questionne sur les échelles pertinentes à l’analyse de l’espace. Le primat va être donné à la région en établissant ainsi des liens entre nature et société. La géographie est encore largement descriptive avec Malte-Brun et les apports de Ritter et Humboldt vont être décisifs. Ils développent le concept de déterminisme naturel. L’homme est perçu comme miroir des secrets de la nature. Ratzel inaugure un nouveau cycle pour la géopolitique en développant la théorie de l’espace vital. En France, la géographie se met au service de la patrie suivant en cela le modèle germanique comme le prouvent les voyages de Vidl de La Blache à Leipzig et Berlin.
Jean-François Deneux poursuit ensuite son investigation en narrant « L’âge d’or de la géographie française ». Il rappelle l’importance de Vidal de La Blache pour la géographie française. Comme preuve, les dossiers 2-3 et 4 de la seconde partie lui sont consacrés. Possibilisme et contingence sont les deux apports essentiels de son magistère. Deux générations se succèdent sous son influence directe marquées par Lucien Gallois qui s’intéresse aux paysages comme point de départ de l’analyse et Emmanuel de Martonne ou Jean Brunhes qui participe au virage décisifs d’une étude plus spécifique de la géographie humaine. L’entre deux-guerres est l’occasion de mieux structurer le courant géographique français avec la multiplication d’associations et de revues. Max Sorre et Pierre Gourou sont les premiers quelques années plus tard à vouloir séparer géographie physique et humaine.
Le chapitre quatre entreprend d’analyser « La géographie française face aux trente glorieuses. » . L’auteur indique que « de science du patrimoine, la géographie devient science de l’actuel et des modifications en cours » (p.95). Les influences conjointes du marxisme qui pose le rôle central des facteurs économiques dans l’explication géographique et du structuralisme aboutissent à l’individualisation de la géographie physique. C’est de fait l’émergence de nouveaux objets géographiques comme la géographie urbaine et rurale par Pierre George. C’est la prise en compte de l’utilité de la géographie dans l’aménagement du territoire qui marque une rupture définitive avec un avant qui passe pour passéiste. Ainsi, la géographie régionale est très largement renouvelée. Les références naturalistes et idiographiques sont abandonnées sous les coups de boutoir de s Juillard, George et Claval. La géographie sociale émerge aussi avec M. Le Lannou et R. Rochefort mais aussi Jean Gottmann.
Tout naturellement, le cinquième chapitre s’intitule « La migration du champ disciplinaire : des sciences naturelles aux sciences sociales ». Le changeme,nt de paradigme est manifeste entre 1970 et 1990. La nouvelle géographie est importée des pays anglo-saxons. « La période (1968 mais aussi 1981) est propice aux remises en cause et au développement des clivages idéologiques » (p.125) selon l’auteur. On ‘acclimate’ d’autres disciplines à la géographie : science politique, science de l’homme, psychologie, sociologie… On retrouve ce mouvement autour de R. Brunet. Ce dernier promeut la modélisation à travers la chorématique (un dossier lui est consacré dans la deuxième partie de l’ouvrage). mais surtout avec le développement de l’analyse systémique et les géosystèmes, issus de l’influence du structuralisme. Jean-François Deneux insiste alors sur les principaux instigateurs de cette ‘nouvelle géographie’ : Pierre Gourou, Armand Frémont, Maurice Fouchier ou P. Claval…
La première partie se clôt naturellement par les changements qui touchent la géographie actuelle celle qui concerne « Les Territoires du monde ». On retrouve la volonté d’affirmer l’unicité de la géographie à travers les travaux de G. et P. Pinchemel. Le CNRS accompagne cette tendance. L’analyse devient essentiellement spatiale. On étudie l’organisation de l’espace selon des pôles, des réseaux et des surfaces permettant une différenciation régionale du monde. Roger Brunet explique ainsi que l’espace à ses lois mais les espaces sont eux-mêmes différents. Avec la géographie universelle à partir de 1990, il met en scène la production de l’espace géographique. Dans le même temps plusieurs approfondissements ont lieu : géographie culturelle, une géophysique centrée sur l’homme, les risques naturels…
La géographie est alors confrontée à la mondialisation. Le monde change et la géographie s’en ressent. La société est confrontée aux problèmes politiques, économiques ou sociaux ou aux aléas de la nature. Le paysage retrouve une place centrale comme réceptacle de signes et de symboles, véritable produit culturel.
En conclusion, l’auteur insiste sur l’absence de ruptures définitives, de changements de paradigme. Les tendances sont plutôt concomitantes entre deux géographies. L’une considère qu’il existe un espace « en soi » perçu de l’extérieur, l’autre pense que l’espace ne serait que l’espace de quelqu’un. « Dans les deux cas, les géographes s’y retrouvent » (p.183).
Jean-François Deneux nous offre un ouvrage ambitieux mais qui s’avère très simple à lire. Bien que l’on puisse regretter certains survols, assumés comme tels par lui, ce livre est à conseiller aux étudiants de L1, 2 et 3, et à tous ceux qui préparent un concours de l’enseignement pour avoir des bases épistémologiques minimales sur la géographie. De plus, les enseignants, en majorité historiens, y trouveront de très nombreuses pistes pour mieux comprendre la géographie enseignée.
Malgré quelques illustrations qui auraient pu éclairer certaines avancées géographiques (cartes d’Erathosthène, d’Al Idrissi par exemple), l’ouvrage est composé de très nombreuses cartes, croquis et plans tous utilisés fort à propos. Des encadrés résument succinctement ce que l’auteur vient de développer. Le glossaire est très intéressant pour aller plus loin dans cette étude même si certains ouvrages un peu plus complexes mais tout aussi importants semblent manquer.
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