Alioune Traoré nous livre un portrait plein d’humanité sur un sujet sensible que sont les relations entre l’Islam et le pouvoir colonial à travers l’histoire d’un homme qui fut désigné comme un opposant dangereux au régime colonial et interné dans des camps puis déporté en Europe où il mourut en 1943. Ces recherches commencèrent lors de sa thèse présentée en 1975 à Dakar, sous le titre Contribution à l’étude de l’Islam : le mouvement tijanien de cheikh Hamahoullah. En 1983 paraît un livre, Islam et colonisation en Afrique. Cheick Hamahoullah, homme de foi et résistant qui permet de combler un vide dans l’historiographie de l’islam en Afrique. La version approfondie qui nous est fournie ici nous permet, grâce à l’immense travail effectué sur le dépouillement d’archives aussi bien en arabe qu’en français, d’avoir une vision globale de la complexité des rapports au sein des sociétés coloniales.

Cheikh Hamahoullah : homme de foi et pacifiste

La vie de Cheikh Hamahoullah nous est ici narrée réhabilitant sa mémoire comme « homme de Dieu » et résistant face à l’administration coloniale du début du XXe siècle. Il est à l’origine, en Afrique de l’Ouest, de ce que l’administration coloniale française désignera sous le terme de confrérie « hamalliste ». Mais l’auteur nous explique que ce terme est une fabrication coloniale et qu’il ne revêt pas une réalité doctrinale puisque qu’en fait cheikh Hamahoullah, avait été  choisi pour être le « Pôle » chef de confrérie du mouvement soufi nommé le tijânîsme et originaire du Maroc. Il faut savoir qu’au début du XXe siècle, en Afrique de l’Ouest, les deux principales confréries étaient issues de deux courants soufistes qui étaient le tijanisme et le qâdirisme. Le tijanisme avait sa zâwiya-mère établissement religieux musulman à Fès, ville où Cheikh Ahmed Tijânî (fondateur de la confrérie tijânîste) avait fondé sa confrérie. Le qâdirisme a été fondée en Orient par Abd-al-Qâdir al-Jîlânî (1077-1166) dont la zâwiya-mère était située à Bagdad. Il aurait été introduit à la fin du XVe siècle au Sahel soudanais par un juriste de Tlemcen, Mohamed Abd-al-Karîm al-Maghîlî.

L’apport du livre dans l’historiographie de l’islam en Afrique de l’Ouest

Mine d’or pour ceux qui s’intéressent aux développements de la religion islamique en Afrique de l’Ouest et principalement des confréries et du soufisme, il nous indique les voies de pénétrations de la religion passant par les routes qu’empruntaient les caravaniers, puis au XIXe siècle par le réseau d’infrastructures construit pour le transport des matières premières destinées à la métropole. L’auteur nous initie aux différents points de doctrines qui ont propulsé non plus le « hamallisme » dans la sphère du religieux (là où il aurait toujours dû rester) mais dans la sphère politique puisqu’aussi bien l’administration coloniale que les adversaires de la doctrine « des onze grains », que prônait le cheikh Hamahoullah en revenant aux sources du tijânisme, ont profité de ces dissensions doctrinaires pour convaincre les autorités que le mouvement tijâni du cheikh Hamahoullah était l’héritier des tijânis algériens qui avaient soutenu l’émir Abd-el-Kader. Les rivalités entre marabouts pour le pouvoir étaient vives. Ces dissensions doctrinales incomprises par l’administration coloniale ont été le critère de sélection de l’administration pour juger que cheikh Hamahoullah était un dangereux agitateur (alors que les autres zawiya enseignaient la doctrine des douze grains et avaient refusé d’aider l’émir algérien). Le « hamallisme » attirait les membres des autres confréries et il fut calomnié par des marabouts jaloux de son aura auprès des fidèles.

Conclusion

Nous trouverons dans cet ouvrage des références aux différentes circulaires ordonnant la surveillance de l’islam qui était considérée par le pouvoir colonial comme un frein au développement des peuples qui étaient sous l’emprise des marabouts (à voir dans le sens chef religieux). Des circulaires qui apparaissent après la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État en France. Un grand nombre d’annexes sont fournies en fin de livre.