Un intellectuel et ses combats
La préface d’Eric Vial est indispensable pour bien saisir le livre et la pensée de Cassese. Cela permet aux lecteurs d’entrer dans le livre car on se doute que le thème du fascisme revêt une importance particulière dans la recherche historique italienne. Il retrace tout d’abord la carrière de l’auteur qui apparaît comme un grand intellectuel et aussi une autorité morale dans son pays. En effet, il avait été pressenti pour résoudre la crise de succession et prendre la place de Napolitano. Ses travaux portent sur le fascisme et c’est un spécialiste du droit. L’ouvrage est structuré, après une introduction, en deux parties, à savoir quel type d’Etat fut l’Etat fasciste et une seconde sur le corporatisme fasciste et la première crise de l’Etat. Chaque partie est divisée en chapitres, mais il faut signaler que la deuxième partie est plus spécialisée, ou moins immédiatement accessible que la première.
Quel type d’Etat fut l’Etat fasciste ?
Ici, l’auteur veut insister sur les continuités et aussi se méfier du discours du régime fasciste sur lui-même. Ce n’est pas parce que Mussolini parle de révolution fasciste qu’elle existe. La preuve d’ailleurs puisque Rocco put montrer le lien entre législation préfasciste et les lois dites de défense de l’Etat. On gagnera beaucoup à se méfier de toutes les étiquettes, y compris pour le régime qui précède le fascisme, pour lequel le mot libéral est une facilité. Un point essentiel abordé par l’auteur est de montrer que le fascisme n’est pas obligé de tout changer pour s’imposer, mais qu’il peut cibler quelques domaines. A l’intérieur de ceux jugés comme stratégiques, quelques textes permettent de transformer un régime. « L’idée du fascisme comme parenthèse est donc erronée … Elle correspond à un besoin des contemporains de marquer une distance entre lui et eux ». Les deux tiers des textes rassemblés en 1954 dans un code du droit administratif ont été adoptés sous le fascisme.
Totalitarisme ?
Sabino Cassesel se méfie, et même plus, du concept de totalitarisme qu’il ne trouve pas efficient. Une des idées fortes de ce livre, c’est de montrer combien le régime fasciste s’appuie sur des structures existantes mais aussi que certaines de ses créations ont perduré après la guerre. Ici, réflexion historique et positionnement politique se rejoignent, car défendre une telle thèse classe presque automatiquement son auteur à gauche. Dans un autre passage, Cassese insiste sur la difficulté à définir le fascisme : il fut autocratique car absolutiste, mais ne se sentit pas exonéré de l’obligation de rendre des comptes. Ensuite, l’auteur propose de distinguer des temps du fascisme avec 1930 comme césure. “Une fois les centres névralgiques de l’Etat conquis… le fascisme n eut pas besoin d’intervenir davantage. Dans trois autres domaines “sensibles”, la justice, l’éducation et les professions libérales, son action fut marginale”. Fort logiquement, le chapitre 5 revient à s’interroger sur la pertinence de l’adjectif totalitaire. Il récapitule quelques paradoxes du régime et surtout considère que pour analyser un régime il ne suffit pas de s’en tenir à ses institutions et à ses textes. Plusieurs paradoxes sont synthetisés de façon très efficace.
Le corporatisme fasciste et la première crise de l’Etat
Un premier chapitre revient sur la genèse du corporatisme et montre son utilisation par les historiens. Ce que Cassese nomme crise de l’Etat, c’est ce moment qui naît de l élargissement du corps électoral et de la nécessité de faire participer les masses. Selon lui, le corporatisme n’est pas intrinsèquement lié au fascisme. C’est une façon pour le pouvoir politique de se reconfigurer. Cassese rassemble ses arguments et dit que le corporatisme a permis au fascisme d’atteindre trois objectifs contradictoires : donner une situation de monopole aux syndicats fascistes de travailleurs, puis les enrégimenter en les disciplinant, et enfin offrir aux dirigeants syndicaux une voie d’accès vers les sommets de l’Etat.
Au total, voici un ouvrage dense, issu de séminaires tenus en 2009 et 2010 dans le cadre de l’Ecole normale supérieure de Pise. A ce titre, il faut donc avoir bien en tête certains éléments sur l’histoire du fascisme pour profiter pleinement des réflexions de Sabino Cassese. Introduisant de la complexité, de la nuance, il permet de mieux comprendre le fascisme. En classe de première, ses réflexions sur cet état et ses paradoxes enrichiront utilement le cours.
Jean-Pierre Costille © pour les Clionautes.