L’excellente et non moins belle revue trimestrielle L’Alpe, coéditée par le Musée dauphinois et les éditions Glénat propose dans son dernier numéro un dossier judicieusement intitulé « A saute-frontières », thème qui apparaît dans les nouveaux programmes du lycée. Des articles courts mais superbement illustrés et complétés d’une courte et utile bibliographie.

Penser la frontière

Stéphane Gal, maître de conférence en histoire moderne à l’Université Grenoble-Alpes interroge le mot frontière, un terme mouvant qui selon l’époque et le lieu est associé à barrière, charnière, zone de passage et de rencontre, une limite qui a fluctué « au fil du temps et des enjeux sociétaux. Visible ou fantôme, fixe ou mobile, réelle ou symbolique, profonde ou linéaire, la frontière n’est jamais acquise, elle est une notion et une réalité en perpétuelle transformation. »1

Cet article est illustré de deux images intéressantes, la photographie du plan-relief de Mont-Dauphin imaginé par Vauban (p. 7) et la carte du paysage d’Hoste en Dauphiné (double page 8-9) frontière entre Savoie et Dauphiné à l’époque moderne.

La réflexion de Stéphane Gal porte sur le rôle des Alpes et la nature même de cette frontière à partir de la Renaissance et des guerres d’Italie ; il en a éprouvé au sens réel du terme la réalité l’été dernier en franchissant en armure, comme au temps de François 1er, le col de Mary2. Une frontière marquée par des villes portes sur des verrous fortifiés qui au XVIIIe siècle devient ligne de crêtes avec le Traité d’Utrecht (1713), idée d’une frontière naturelle objective. La géographie l’emporte alors sur la frontière humaine et historique au moment où les progrès de la cartographie3 renforce sa représentation ce qui a contribué à un contrôle plus ferme par les États sur ces espaces de passage et fait naître aussi une limite dans les esprits, phénomène renforcé au XIXe siècle avec la naissance des États-Nations.

Le salaire du sel et de la peur

Annie Montenach, professeur d’histoire moderne à l’université d’Aix-Marseille est l’auteur aux Presses universitaires de Grenoble de Femmes, pouvoirs et contrebande dans les Alpes au XVIIIe siècle. Elle traite ici des contrebandières, du fonctionnement de l’économie souterraine perçu grâce aux archives des procès dans les hautes vallées alpines, un marché incontournable dans ces vallées d’élevage qui reçoivent le sel de Méditerranée et où, en fonction des aléas de l’histoire, la taxation du sel varie d’une vallée à l’autre, source d’un contrebande du pauvre.

Une frontière très disputée

Jean-Loup Fontana, conservateur du patrimoine aborde la question au lendemain du traité d’Utrecht en Ubaye et dans la vallée du Haut-Var, entre royaumes de France et de Sicile4, un conflit où la géographie rejoint les enjeux de géopolitique. Il suit les géographes et ingénieurs chargé de tracer cette frontière en se fondant sur les lignes de partage des eaux.

Gens de(s) frontière(s)

Laurent Surmely, historien moderniste et Hélène Homps-Brousse, conservatrice du musée de la vallée à Barcelonnette évoquent l’histoire particulière de la société en Ubaye entre France et Italie depuis le Moyen-Age. Vallée difficile d’accès jusqu’à l’ouverture en 1848 de la route entre Digne et Cuneo, elle a pourtant toujours été un espace de relation, d’échanges commerciaux, de migrations temporaires. Les auteurs traitent des réalités économiques et des vicissitudes administratives et politiques. C’est aussi une frontière fortifiée5 et une société marquée à la fois par l’émigration vers le Mexique et l’immigration italienne.

Ex Patria, nos cousins du Piémont

C’est un dossier photographique concocté par le photographe Lorenzo Delfino et l’ethnologue Laura Fossati qui met en lumière l’immigration en Ubaye.

Lignes mouvantes

Avec Marie-Christine Fourny, géographe de l’Université Grenoble-Alpes, le lecteur aborde la question des limites des Alpes, limites physiques, administratives à mettre en relation avec les politiques de coopération. Quels sont les territoires concernés ? Qui les définit ? Les États ? L’Europe ?

L’auteur rappelle les différents projets de coopération et leurs espaces de référence et tout particulièrement le dernier la SUERA : Stratégie macrorégionale alpine qui réunit 80 millions d’habitants dans 7 pays et 48 régions.

On a fermé la montagne

Christine Del Biaggio, maîtresse de conférence à l’Université Grenoble-Alpes traite d’une réalité très contemporaine, le franchissement des frontières alpines par les migrants

Quand l’écrivain italien Paolo Rumiz parle des frontières politiques, sociales, imaginaires ou corporelles dans un grand entretien : Le sismographe

 

Un dossier riche sur le thème des frontières au plan historique, géographique, social et artistique.

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1 p. 6

2 Cet été 2019 : avec deux autres scientifiques, ils ont décidé de revivre la traversée des Alpes, avec l’objectif expérimental de mesurer scientifiquement la performance accomplie par le roi de France et son armée. C’est l’objet du projet MarchAlp (Marche Armée dans les Alpes), conduit par Stéphane Gal, historien au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (Larhra, UMR5190, CNRS). Voir aussi Histoire vivante : traverser les Alpes à cheval et en armure plus de 500 ans après Marignan et Ils ont réussi leur traversée des Alpes en armure

3 Voir Camus Perrine, dir. Lazier Isabelle, Gal Stéphane, Les Alpes de Jean de Beins – Des cartes aux paysages (1604-1634), Editions du Musée de l’Ancien Évêché, 2017

4 Carte p. 23

5 Impressionnante photographie du fort de Tournoux, p. 28