Le plus puissant empire de l’époque contre deux petites républiques en Afrique : voici les acteurs de ce conflit, pas toujours bien connu, et auquel Martin Bossenbroek consacre une véritable somme. L’auteur, chercheur associé à l’université d’Utrecht, travaille sur l’histoire coloniale. Il a reçu pour cet ouvrage le prix Libris de l’Histoire aux Pays-bas. On y trouve un certain nombre de cartes qui aident à suivre par exemple les mouvements de troupes et les combats.
Trois hommes, trois destins, une même histoire
Martin Bossenbroek choisit un angle original et efficace. Il suit en effet successivement le point de vue de trois personnages qui sont autant de type d’acteurs différents. Cela lui permet, en même temps, de dérouler la chronologie de ce conflit. Rappelons que les Boers étaient les descendants des colons néerlandais du XVII ème siècle. Il retrace donc la guerre qui opposa les républiques boers du Travsvaal et de l’Etat d’Orange à la Grande Bretagne de 1899 à 1902. L’auteur pose d’emblée les enjeux des débats qui existent autour de ce conflit, parfois vu comme une préfiguration de certains aspects de la guerre au XX ème siècle. Martin Bossenbroek signale combien les mots sont piégés. Ainsi, il recommande d’utiliser le terme de « camp d’internement » plutôt que de « camp de concentration », tant il est connoté idéologiquement, pour décrire la politique menée par la Grande-Bretagne.
Un juriste néerlandais à l’ascension fulgurante : Willem Leyds
Comme le dit l’auteur, les liens s’étaient bien distendus entre les Pays-Bas et ses territoires africains à tel point que les « Boers étaient considérés comme les arriérés de la famille dont on préfère taire l’existence ». Willem Leyds, alors jeune juriste, accepte lui de se lancer dans l’aventure pour devenir procureur dans un de ces territoires où tout est à construire. La découverte d’or transforme en profondeur l’intérêt qu’on leur porte. L’auteur retrace les nombreuses intrigues qui se nouèrent entre les hommes forts de ce nouvel Eldorado. On n’en reste cependant pas à des querelles de personnes car, à chaque fois, elles sont contextualisées dans un cadre plus global comme lorsqu’il évoque la question des concessions minières. Willem Leyds mène en tout cas une carrière express : arrivé à 25 ans, il occupe cinq ans plus tard une fonction dans laquelle « il avait à la fois les attributions d’un premier ministre, d’un ministre de l’Intérieur et d’un ministre des Affaires étrangères ». Il revient également dans son pays d’origine et cherche à intéresser les Néerlandais à la cause des Boers. Là encore cette narration est l’occasion de montrer les imbroglios et jeux diplomatiques de la fin du XIX ème siècle. Au fil de la lecture, on rencontre d’autres acteurs importants de l’époque, et parfois hauts en couleurs, comme Cecil Rhodes. Martin Bossenbroek montre qu’il existait une ligne rouge à ne pas franchir vis-à-vis de la Grande-Bretagne, qui n’est pas prête à accepter l’indépendance de certains de ces territoires. A la fin de cette première partie, on bascule dans le conflit entre les républiques boers et l’empire le plus puissant de l’époque ce qui est l’occasion de changer de point de vue.
Un correspondant de guerre anglais pas comme les autres : Winston Churchill
L’auteur brosse le portrait de Winston Churchill, personnage particulièrement singulier. A 25 ans, le bonhomme a déjà de quoi impressionner : il a parcouru une bonne moitié du monde et a commencé également à se faire connaitre comme écrivain. Il devient alors le correspondant de guerre du « Morning Post », poste qu’il obtint grâce à ses nombreux appuis. « Un correspondant de guerre qui avait été jaugé, puis jugé irréprochable idéologiquement : « bien formaté ». Voilà comment dans la langue du XXème siècle on pourrait caractériser ce qu’était Churchill au moment de son départ pour l’Afrique du Sud ». Martin Bossenbroek poursuit son récit en retraçant les différentes étapes du conflit entre les Boers et la Grande-Bretagne. Celui-ci peut se résumer ainsi : l’empire le plus puissant met progressivement tout en oeuvre pour battre les républiques boers. Pourtant, la Grande-Bretagne est loin de n’engranger que des victoires comme en témoigne la bataille de Modderspruit. L’auteur explique cela par notamment la suffisance du commandement, la sous-estimation de l’adversaire ou le manque de coordination entre les troupes. Durant cette guerre, Churchill se fait en tout cas remarquer lors d’un accrochage et est envoyé en prison, ce qui ne fait qu’alimenter sa légende. Il continue néanmoins d’envoyer ses reportages depuis sa cellule ! Il met tout en oeuvre pour s’évader et y parvient finalement.
Un combattant boer : Deneys Reitz
On suit enfin la trajectoire d’un combattant boer en la personne de Deneys Reitz. L’auteur déroule alors les événements militaires entre 1900 et 1902. Chemin faisant on croise à nouveau Winston Churchill mais cette fois dans le rôle de l’homme politique. Martin Bossenbroek narre les petites victoires et les difficultés des combattants boers. Il aborde dans cette partie la question des camps. En effet, pour briser la résistance de la population, beaucoup de Boers furent déplacés dans des camps. « Ce programme devait être appliqué de façon systématique. Eriger le dépeuplement en stratégie et la mise en coupe réglée du pays en méthode,…tel était le dessein politique de Lord Kitchener ». Le résultat c’est qu’en 1901 il y avait sur le territoire boer autant de soldats britanniques que de population boer, soit 240 000 personnes ! Ils étaient, de plus, puissamment armés et c’est presque la moitié de la population boer qui se trouvait dans des camps d’internement. L’armée anglaise employa également des populations noires comme supplétifs.
Martin Bossenbroek conclut son ouvrage comme il l’avait entamé, autour de la question de la mémoire : nous sommes en juillet 2012. Des rues baptisées du nom du dirigeant boer Kruger perdent leur nom au profit de celui d’un leader de l’ANC. L’auteur dresse un bilan tout en nuances : certes, les Anglais ont bien gagné la guerre mais ils ont subi des pertes « impressionnantes » et leur réputation et prestige sont atteints. Un des paradoxes de l’histoire est qu’Anglais et Boers se retrouvèrent du même côté cette fois au moment de la Première Guerre mondiale pour lutter contre l’Allemagne, notamment dans les colonies.
Il faut reconnaitre à Martin Bossenbroek l’ambition de retracer dans le détail ce conflit, sans pour autant jamais perdre le lecteur. Possédant également le sens de la construction et du rythme, son ouvrage, certes copieux, se lit malgré tout aisément. On apprécie donc le fait qu’ici l’historien se double, en la personne de Martin Bossenbroek, d’un écrivain.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes