L’incroyable histoire du décryptage de la machine Enigma commence en 1931 !

L’ambition de cet album est de rendre accessible la somme colossale d’informations collectées et de révéler le rôle pionnier de scientifiques polonais dans cette avancée majeure du contre-espionnage. Le scénariste Fabien Tillon s’est attelé à la tâche ardue de résumer l’ouvrage très dense de Dermot Turing (Enigma, ou comment les Alliés ont réussi à casser le code nazi, Nouveau monde ed. 2018), neveu du fameux Alan Turing, nom auquel Enigma est associé, notamment depuis la sortie du film The Imitation Game (Morten Tyldum, 2014).

Science et services secrets

La déclassification en 2015 des archives liées aux activités de Gustave Bertrand (en charge du service de crypto-renseignement du ministère de la Guerre au début des années 1930) a permis de lever le voile sur de nombreuses zones d’ombre de cette affaire et ne pas se focaliser sur la seule figure d’Alan Turing. L’album est coédité par le Ministère des Armées et préfacé par le Directeur général de la Sécurité extérieure.

Les artisans du décryptage d’Enigma

Si l’histoire d’Enigma est désormais connue, le travail de ceux qui ont oeuvré à son décryptage l’est beaucoup moins, alors qu’on sait aujourd’hui que leurs efforts ont sans doute permis de raccourcir la Seconde Guerre mondiale de plusieurs mois ! Avant la guerre, les Alliés s’intéressent d’abord assez peu à la nécessité de décrypter le code, et c’est le gouvernement polonais qui prend les devants pour exploiter les documents transmis par un employé du chiffre allemand.

Cependant, dès 1938, le MI-6 a investi une ancienne propriété non loin de Londres et va y aménager un véritable centre stratégique : Bletchley Park. C’est là-bas qu’Alan Turing travaillera à partir de 1940, avec d’autres scientifiques britanniques renommés. Pour casser un autre code utilisé par les nazis (élaboré par une autre machine, la Lorenz SZ42), le groupe de travail va développer un prototype d’ordinateur : le « Colossus ».

Une adaptation réussie

Les dernière pages de l’album expliquent tout d’abord la démarche de Fabien Tillon et la difficulté de tailler dans la masse afin d’en extraire quelques informations essentielles à la bonne compréhension du lecteur. L’entretien avec Dermot Turing apporte un autre éclairage et met en lumière la difficulté d’écrire l’histoire d’Enigma, en raison de la dispersion des sources (dossiers polonais à Londres ou encore saisis par les Allemands lors de l’invasion de 1939 puis emmenés par la Soviétiques en 1945…) et du fait que de nombreux documents ne soient pas encore déclassifiés par les autorités (notamment le Governement Communication Headquarters britannique).

L’histoire est mise en valeur par un dessin très soigné et des planches que l’on pourrait parfois qualifier de psychédéliques, quand elles évoquent le labyrinthe infernal auquel sont confrontés les scientifiques et dans lequel rôde le terrible Minotaure crypté… Les scènes sont parfois des échiquiers, où chaque pion avancé permet de décrypter un peu plus la redoutable machine, au milieu d’un nuage de formules mathématiques. Le destin terrible des artisans du décryptage n’est pas passé sous silence et montre à quel point leur travail était stratégique.

L’ensemble est très réussi et se lit d’une traite, les amateurs d’espionnage et de thriller y trouvent leur compte, comme les amateurs d’histoire. Nul besoin d’avoir des compétences scientifiques pour apprécier le récit car les explications du fonctionnement de la machine Enigma sont claires et accessibles. L’invasion de la Pologne est bien représentée et les actions de commandos afin de s’emparer des livres de code sont haletantes. L’album donne très envie de lire le livre de Dermot Turing !