S’il n’a pas inventé l’école, le Moyen Âge l’a « sans doute profondément transformée » (p. XV). Le triomphe des religions révélées a orienté l’enseignement de manière nouvelle en redéfinissant le contenu des enseignements mais également leur hiérarchie. Né à l’ombre des palais, des églises, des synagogues et des mosquées, l’enseignement médiéval ne s’est pourtant pas contenté de reproduire et de transmettre des savoirs religieux. Il a renouvelé ses corpus de textes, ses connaissances et ses méthodes d’enseignement. Il a posé la question de la nature universelle de la science et du sort que doit lui réserver la société. Il a permis l’émergence de l’intellectuel (Jacques Le Goff) ou du philosophe (Alain de Libera).
Cet ouvrage, composé de 28 articles de synthèse, 23 encarts et 70 notices des objets présentés dans l’exposition, propose une démarche inhabituelle et ambitieuse : inhabituelle en traitant l’ensemble des institutions scolaires sur un vaste espace qui s’étend de l’Écosse à l’Éthiopie et de l’Andalousie à l’Inde ; ambitieuse en proposant une histoire à la fois croisée et reliée des écoles.
L’ouvrage est construit en quatre parties :
La première partie, « De l’École aux écoles » (p. 23-103), présente les écoles de l’antiquité tardive, héritage commun des mondes arabes, juifs et chrétiens, où la figure du maître est au cœur de la transmission du savoir. Durant la période de l’Antiquité tardive, une cité domine largement les autres en termes de transmission et de circulation des savoirs : Alexandrie. Cette cité est en effet héritière du système d’enseignement gréco-romain mais est aussi un des principaux lieux où les savoirs antiques sont progressivement corrigés par la doctrine chrétienne. Au début du IXe siècle, à l’occasion de « renaissance » au sein de l’islam et des espaces carolingien et byzantin, de nombreux centres d’enseignements dont les règles nouvelles rompent avec le système éducatif de l’Antiquité se mettent en place. Se développent sur l’ensemble de la période médiévale : collèges et madrasas, studia et cénacles, yeshiva et didaskalon, écoles et universités… Ces institutions stables deviennent les lieux privilégiés de la transmission des connaissances.
La seconde partie, « Le temps des madrasas » (p. 106-197), présente le monde foisonnant des écoles en terre d’islam et examine le poids social des sciences et la portée d’un modèle de transmission des savoirs partagé aussi bien par les musulmans que par les juifs et les chrétiens orientaux.
Dans la deuxième moitié du XIe siècle, le vizir Nizâm al-Mulk établit dans plusieurs villes d’Irak et d’Iran de nouveaux établissements – « madrasas » – lieux d’enseignement richement dotés, susceptibles d’assurer une rétribution permanente aux maîtres et d’aider les étudiants. À la fin du Moyen Âge, de Fès à Delhi, chaque grande ville musulmane possède son complexe de madrasas. Aussi le savoir se diffuse-t-il auprès d’un public élargi. À partir du XIIe siècle, l’Occident latin connaît à son tour une grande mutation dans l’organisation de son système éducatif. Les premières universités naissent du rassemblement en corporation des écoles urbaines.
La troisième partie, « Le temps des universités » (p. 200-305), traite de la formation de ce nouveau modèle institutionnel dans l’Occident latin à partir du XIIIe siècle. Cette mutation s’accompagne d’une valorisation nouvelle des maîtres et de l’autorité du livre. Les étudiants lisent d’abord la Bible mais pas seulement. Les premières bibliothèques universitaires mettent à la disposition de chacun les textes essentiels aussi bien religieux que profanes. L’enseignement est d’abord
La quatrième partie, » En quête d’autorités » (p. 308-385), pose les jalons d’une histoire des cultures scolaires médiévales, fondées sur des autorités (Galien, Aristote, Platon, Ptolémée, la Bible ou le Coran…) parfois complémentaires parfois concurrentes. Les nouvelles méthodes d’enseignement contribuent à la création de nouveaux corpus de textes. C’est à Alexandrie, entre le IVe et le VIIe siècle, que l’enseignement s’organise autour de quelques textes de référence qui structurent les principaux champs du savoir profane : Aristote pour la logique et la philosophie, Hippocrate et Galien pour la médecine, Ptolémée pour l’astronomie Euclide pour les mathématiques. Dès le Ve siècle, ce corpus alexandrin est traduit en syriaque et en moyen perse. À partir du VIIIe siècle, il est traduit en arabe. À partir du XIIe siècle, il est traduit en latin. Le califat abbasside au IXe siècle présente les Arabes comme restaurateurs et continuateurs des études des Grecs anciens. Cette idée est reprise dans l’Occident latin des XIIe et XIIIe siècles. Les autorités traduites permettent le renouvellement des savoirs aussi bien en droit qu’en théologie, médecine, astronomie, géographie ou philosophie.
Cet ouvrage, très riche, rédigé par 43 spécialistes, montre un Moyen Âge pluriel et multiculturel. Pourtant, si chaque période et chaque société projette sur ses écoles ses propres normes, ses idéaux et ses contradictions, l’ouvrage révèle l’existence d’un patrimoine culturel commun aux médiévaux. Il montre que l’enseignement est une pratique vivante où se rencontrent la foi et les cultures. De la confrontation de le l’enseignement révélé et des sciences profanes émerge des formes de connaissances nouvelles dont les enjeux sont à la fois le progrès spirituel et l’affirmation d’une éthique. L’enseignement
Cet ouvrage, richement illustré, doté d’un glossaire, d’un index des noms de lieux, d’un index des noms de personnes et d’une abondante bibliographie de 650 ouvrages, est à recommander à celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire culturelle médiévale et plus largement à l’histoire de l’éducation.
Jean-Marc Goglin