Ce livre est une reprise des contributions au colloque réuni en 1990 à Aix en Provence, il interroge les évolutions en termes de connaissances aussi de regard sur la période des années 50 qui prépare les indépendances en Afrique noire française.
Sous la direction de deux spécialistes d’histoire coloniale et de la décolonisation, c’est à une équipe d’historiens métropolitains mais également africains que l’on doit cette somme de réflexions sur l’histoire politique de la décolonisation au fil des quelque 800 pages de l’ouvrage, seconde édition en poche d’un titre initialement publié en 1992.
Si la préface de cette seconde édition annonce des compléments ils sont peu perceptibles, quelques phrases en fin de certains articles. Le plan en six parties, introduites par un rapport de synthèse en facilite une lecture sélective.
La marche aux indépendances : le rôle des forces intérieures
Cette première partie traite des forces politiques en AOF et pose la question du fédéralisme. Huit contributions abordent la question sous divers angles.
Sont abordés successivement un tableau des élites sénégalaises de l’entre deux guerres à l’indépendance, une réflexion sur l’assimilation culturelle en particulier dans le cas de Blaise Diagne qui montre l’ambiguïté de sa position entre revendication d’une assimilation et défense de l’identité noire que l’on retrouve à la génération suivante d’une élite insérée dans la vie intellectuelle parisienne.
Le rôle des étudiants dans la période de 1948 à 19565 permet, par un regard sur leur origine, les lieux de leurs études et leur organisation, d’évaluer leur influence sur la situation en Afrique.
L’étude de la gestion urbaine et le la vie politique municipale en particulier aux lendemains de la loi-cadre de 1956 montre, à partir de l’exemple des émeutes de Brazzaville en février 1959, de mesurer le rôle des milieux urbains dans le mouvement vers l’indépendance.
Les associations qui se multiplient après1946 avec comme but de former les populations sont notamment décrites en Guinée de 1955 à 1958. Leur dynamisme fut cependant freiné après les indépendances par la création dans de nombreux pays du parti unique.
Une autre forme d’organisation est étudiée: le mouvement coopératif qui au-delà de son aspect économique a des aspects politiques. Son développement, même très encadré par l’administration coloniale fut important même si le contexte : faible compétence des acteurs malgré les efforts de formation, faiblesse des moyens financiers et poids du matché mondial en a limité la portée.
Une description de la situation coloniale en Guinée permet d’analyser les étapes de la marche vers l’indépendance et le rôle de Sékou Touré.
On dispose également d’une présentation de la structure et du poids des partis fédéraux, de leur relation avec le PCF et le gouvernement français. Cette contribution redonne les temps forts de la marche vers les indépendances, les idées d’unités, les craintes de Senghor d’une balkanisation de l’Afrique.
Les évolutions liées à la guerre ont permis l’émergence de nouveaux leaders (Senghor, Houphouët Boigny, Maga…) au sein du RDA Rassemblement Démocratique Africain et le développement d’un jeu à trois: administrateurs, représentants des chefferies, partis politiques dans cette période de transition. .
La France et les indépendances africaines
Après un rapport synthétique problématisé autour des questions constitutionnelles et politiques cinq contributions abordent le temps de la réflexion et des échanges autour de l’idée de fédération, les points de vue de Senghor, Lisette et De Gaulle et les évolutions de la Communauté, définie dans la constitution de 1958, aux indépendances de 1960.
Le second article traite du rôle de la crise algérienne dans la politique coloniale et de son écho en Afrique noire : idée d’une médiation africaine, .propagande antifrançaise de Modibo Keita à Sékou Touré mais également position de FNL : affirmation tardive et stratégique d’une communauté de destins.
Un aspect moins connu est développé sur le rôle des milieux coloniaux dans les cas du Gabon et du Congo Brazzaville où le renouvellement des colons et la rupture avec Vichy annoncent une volonté d’opposition à l’administration coloniale et un positionnement politique particulier en AEF.
D’après les publications des organismes de défense des intérêts coloniaux on constate que ces organismes, les hommes qui les incarnent sont dans l’ensemble favorables à une meilleure représentation des populations noires dans les instances électives ce qui explique la réception faite à la loi-cadre de 1956 mais ils sont hostiles à l’indépendance perçue comme génératrice de désordres et de balkanisation économique. Cette situation incite les entrepreneurs à développer des relations avec les milieux locaux quand Paris était autrefois leur principal interlocuteur.
Une dernière contribution est consacrée à l’histoire des indépendances au parlement français : mise en place des institutions de 1958, modifications de 1960 et indépendances.
Les indépendances vues d’Afrique
Elikia M’Bokolo introduit cette troisième partie qui donne la parole aux africains. Il montre la richesse de ce thème : diplomatie franco-africaine, diplomatie inter-africaine, histoire politique des décolonisations, histoire sociale et pose cinq questions: temps court des indépendances, enjeux vus d’Afrique, enjeux de l’unité et des relations avec la France, acteurs, voies et moyens et climat de la période : romantisme, illusion lyrique et désenchantement pour reprendre les mots de l’auteur.
La première contribution concerne la Guinée et le rôle des violences politiques, ethniques dans les années 50 dans la dissolution de l’ordre colonial et l’accession au pouvoir de Sékou Touré.
La presse africaine rend compte du voyage de De Gaulle en 1958. En dépit de sources lacunaires, d’absence de presse en langues locales et de la surveillance étroite de la presse on perçoit la faiblesse des critiques sauf au Togo où « La Muse togolaise » en dresse un portrait féroce.
En Haute-Volta (Burkina-Faso) les partis politiques s’opposent sur la question du fédéralisme, l’auteur analyse les influences croisées de Senghor et Houphouët Boigny. Chronologie et tableau des acteurs politiques offrent une occasion de rencontrer des leaders peu connus ou le chef traditionnel Moro-naba quand influences politiques et intérêts économiques font pencher la balance vers la Côte d’Ivoire au dépens de la Fédération du Mali.
Le Cameroun de par sa situation particulière de double administration franco-britannique est un cas particulier dont le sort est décidé à l’ONU. Cette contribution analyse les courants qui conduisent à la constitution d’un Cameroun unifié en 1961, l’influence française et le rôle dominant d’Ahidjo.
De la communauté institutionnelle à la communauté contractuelle; le titre de ce chapitre annonce une analyse des deux années 58/60 qui déterminent les formes d’association de la France avec ses territoires d’outre-mer. L’auteur montre les défauts d’origine de projet de 58 entre contradictions internes et défis extérieurs, comment les divergences entre les leaders africains ne pouvaient assurer la pérennité de la communauté de 1960.Il passe en revue la situation des divers pays issus de l’AOF et AEF, et la naissance à partir de 1961 des accords de coopération.
En ce qui concerne l’indépendance du Tchad ce qui est marque c’est la rapidité même du phénomène, non sans danger. Sont évoqués la tentative d’union régionale d’Afrique centrale (URAC) et le rôle de François Tombalbaye et est dressé un tableau des faiblesses du nouvel état.
Cette troisième partie se termine sur le témoignage de Fernand Wibaux, ambassadeur de France qui revient sur les violences en Guinée, l’éclatement de la Fédération du Mali et la balkanisation de l’Afrique.
L’environnement international
René Girault introduit le sujet par une réflexion chronologique: Quelle date retenir comme point de départ? 1955 – Bandoeng? 1957 – indépendance du Ghana? Il choisit 1956 date de la loi-cadre mais aussi de la crise de Suez. Il insiste sur la nécessité d’une ouverture du colloque aux aspects internationaux: position de l’ONU, des deux grandes puissances, des nouveaux États (Chine, Inde) et du Japon. Il propose une analyse du concept d’Eurafrique.
Le premier chapitre est consacré au panafricanisme du FNL déjà évoqué dans la première partie. et présenté ici de manière plus approfondie par Guy Pervillié. Le panafricanisme est une idéologie récente qui n’est guère utilisée par le FNL que comme stratégie cherchant un soutien à sa guerre d’indépendance et développant l’idée d’un modèle algérien exemplaire pour l’Afrique noire.
La position des États-Unis face aux indépendances est présentée comme un faible intérêt au-delà des deux principes de base : accès égal pour tous à l’investissement et au commerce et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le contexte de la guerre froide les invite à une plus grande attention envers les nouveaux États devant le risque d’adhésion au modèle soviétique sans pour autant heurter les anciennes puissances coloniales.
Une situation permet d’étudier la diplomatie internationale : la position de la France face à l’adhésion de la Guinée à l’ONU. L’auteur analyse les étapes de la difficile reconnaissance internationale du nouvel État; position et manœuvre des principaux acteurs (Sékou Touré, Cabot Lodge, Georges Picot) mais aussi rôle du Japon, une occasion d’observer le jeu des blocs dans les discussions à l’ONU.
L’océan indien et l’indépendance de Madagascar
Le rapport général de cette cinquième partie part du constat du devenir très divers des colonies françaises de l’Océan indien : Madagascar, Réunion, Comores et côte française des Somalis.
Tananarive est sans doute le berceau des revendications d’indépendance de l’île depuis longtemps (révoltes de 1929, 1947) ce qui fait de Madagascar le leader de l’opposition à la Communauté en 1958. Mais c’est un homme de la côte Philibert Tsiranana qui passe pour le père de l’indépendance. Ce chapitre traite de la concurrence entre élites tananarivienne et côtière et du ressenti des populations de Tananarive lors des fêtes de l’indépendance.
Puisque les rapports entre la Grande Ile et la Réunion sont anciens et rappelés ici, quels échos trouve -t-on dans la presse réunionnaise au lendemain de l’indépendance de Madagascar.
Reste à aborder la longue marche vers l’indépendance de la Côte des Somalis, les raisons de l’échec des référendums de 1958 et 1967 dans le contexte de rivalités ethniques (Somalis, Afars, Issas.), d’évolution du statut des colonies somaliennes britannique et italienne et face aux appétits des États voisins. L’auteur évoque de rôle de Mahmoud Harbi et la position française liée aux intérêts stratégiques de Djibouti.
Le témoignage de Jacques Rabemamanjara, ancien militant indépendantiste et ancien ministre malgache illustre l’administration de l’île à la période coloniale et complète le chapitre sur la perception de l’indépendance par les populations.
Réflexions et comparaisons
Deux communications dans cette dernière partie.
La première propose une analyse comparée des décolonisations française et britannique, pose la question de la viabilité des nouveaux États africains avec un focus sur la Sierra Léone.
La seconde montre que si les leaders des indépendances ont pensé leurs politiques selon des modèles occidentaux les populations étaient ancrées dans les anciennes cultures qui furent mises en valeur par une exaltation des héros pré-coloniaux tels: Samory, Menelik, Chaka et d’autres pour s’appuyer sur l’imagerie populaire. Imagerie reprise dans la glorification des pères fondateurs des nouveaux États..
Charles-Robert Ageron et Marc Michel proposent chacun leur conclusion.