La cathédrale de Lyon est attestée vers 380 dans la vie de saint Nizier mais plonge ses origines dans le témoignage de son évêque Pothin, de Blandine et des chrétiens, qui trouvèrent le martyre en 177 dans l’amphithéâtre des Gaules. L’ecclesia maxima dédiée à Saint-Jean-Baptiste s’installe au coeur de la cité du Bas-Empire entre la Saône et la colline de Fourvière et attire auprès d’elle un baptistère, incorporé bientôt à l’époque carolingienne dans l’église Saint-Etienne (vocable du diocèse), qui devient l’église du chapitre, ainsi que l’église Sainte-Croix voisine (connue au XIe siècle), laquelle remplira ensuite la fonction d’église paroissiale du quartier canonial, enserré dans des murailles fortifiées à partir du XIIe siècle et détruites en 1562.
Origines de la primatie des Gaules
En 1079, le pape Grégoire VII accorde à l’archevêque de Lyon le titre de primat des Gaules, en s’appuyant sur la source douteuse des pseudo-décrétales du Pseudo-Isidore (vers 832-859), collection canonique souvent copiée aux XIe et XIIe siècles. Ce titre soumettait à l’autorité de l’archevêque de Lyon non seulement la province ecclésiastique qu’il dirigeait comme métropolitain (et qui recouvrait les diocèses de Langres, Dijon, Chalon et Mâcon), mais aussi sur les autres provinces ecclésiastiques de Sens, Rouen, et Tours. La cathédrale étant l’église du primat des Gaules, elle prend dès lors le titre de primatiale des Gaules, d’où le titre de cet ouvrage. Le titre conférait à son détenteur un privilège judiciaire et une prééminence honorifique sur les autres métropolitains cités mais, si ces pouvoirs sont tombés en désuétude, il n’en conserve pas moins une dimension honorifique et symbolique encore aujourd’hui, en tant que successeur de l’évêque martyr Pothin et foyer le plus ancien du christianisme en Gaule.
Une polyphonie de points de vue sur la cathédrale
Les concepteurs de cet ouvrage n’ont pas seulement voulu réaliser un très beau livre d’art et d’histoire. Ce qui fait son originalité et sa force, c’est qu’ils ont souhaité donner la parole à ceux qu’on entend rarement, ceux qui ont habité et animé ce lieu sacré, ce qui englobe les commanditaires, les archevêques, le chapitre cathédral, le clergé diocésain, mais aussi les artisans qui ont participé à la construction et à la restauration de l’édifice. C’est de cette polyphonie de points de vue (bien que la liturgie de l’Eglise de Lyon ait conservé longtemps la tradition exclusive du plain-chant sans accompagnement instrumental…) que se dégage peu à peu le portrait d’une cathédrale et de ceux qui la font vivre, tant dans ses heures lumineuses que dans les ténèbres du passé, avec ses richesses spirituelles, artistiques et humaines et la fidélité à ses origines.
Aucune période n’est laissée dans l’ombre. L’accent est notamment mis sur les XIXe et XXe siècles, parfois si méconnus et parfois injustement décriés, si importants pour expliquer l’état actuel de l’édifice, l’impact des actions de restaurations successives, et les reconstructions ou modifications profondes en matière liturgiques et théologiques.
Dans chaque partie, la parole est donnée à ceux qu’on entend rarement, les artisans bâtisseurs et restaurateurs notamment. L’évocation de l’évolution des pratiques liturgiques met à son tour en lumière les transformations du sentiment religieux et de la participation croissante des fidèles laïcs à la vie du diocèse et de l’édifice.
On perçoit aussi au fil de la lecture combien l’édifice actuel est à la fois le tributaire et le témoin vivant des pratiques liturgiques séculaires, lien mis en valeur par de nombreux articles, qui s’éclairent et se répondent mutuellement au fil de la lecture et jusqu’à la fin. Cette conception très ambitieuse de l’ouvrage veut donner à voir une Eglise porteuse non seulement d’un riche patrimoine à sauvegarder mais encore actuelle, et solidaire de sa tradition qui continue d’être enrichie et renouvelée.
Une équipe pluridisciplinaire étoffée, forte de trente-huit contributeurs, a participé à l’élaboration des articles sous la direction scientifique de Jean-Dominique Durand, Professeur d’histoire contemporaine, Didier Repellin, Architecte des Monuments historiques, et de Nicolas Reveyron, Professeur d’histoire de l’art et archéologue, spécialiste de l’histoire du bâti religieux au Moyen Age. Michel Cacaud, chanoine et recteur de la primatiale, a assuré la coordination de l’ensemble, et Jean-Pierre Gobillot a été chargé de la mise en valeur photographique de l’architecture de l’édifice.
Ce beau livre est remarquable par la richesse et la variété de ses illustrations, plans anciens, croquis, extraits d’archives, photographies anciennes ou plus contemporaines, qui mettent en valeur à la fois l’édifice mais aussi la communauté humaine chrétienne qui l’anime. Le soin apporté au choix des illustrations de ce livre et au référencement des images doit être souligné. Il en fait un outil de premier ordre pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la primatiale de Lyon mais plus largement à l’histoire de la capitale des Gaules jusqu’à aujourd’hui.
Trois parties thématiques transversales regroupent quarante articles évoquant les destinées de la primatiale depuis ses origines.
Les étapes de la construction et les restaurations des origines à nos jours
La première partie étudie les étapes de la construction de la cathédrale et de son groupe épiscopal (le quartier inclut non seulement l’évêché et les maisons des chanoines, mais aussi des sanctuaires associés à la cathédrale dès les origines), ainsi quei les réparations et restaurations depuis deux mille ans.
Deux grandes crises ont atteint la cathédrale de Lyon. En 1562, le baron des Adrets et ses troupes protestantes mettent la cathédrale à sac, détruisent le jubé, et il faut ensuite restaurer et réparer les dégâts commis. La deuxième épreuve intervient lors de la Révolution française, lors du siège de Lyon et de la répression impitoyable de la Terreur en 1793. Là encore, ce que les protestants n’avaient pas détruit est emporté par la tourmente révolutionnaire, et la cathédrale transformée en temple de la Raison. Ce sont les archevêques du XIXe siècle, dont le premier est monseigneur Fesch, qui devront prendre en charge la restauration de l’édifice et la reconstitution de son trésor liturgique.
Les apports de l’architecture, de l’histoire de l’art, mais aussi de l’archéologie et des plus récents résultats des fouilles entreprises dans la ville dans les années 1970 permettent de plonger aux sources de la plus ancienne église cathédrale de Lyon.
Les différentes étapes de restauration de l’édifice jusqu’à aujourd’hui font aussi l’objet de plusieurs contributions très éclairantes, qui mettent en évidence les choix successifs effectués au fil des générations, appuyées par des plans et dessins d’architecture qui montrent parfois des états de l’édifice disparus.
Ce chapitre se clôt sur une prise de parole des artisans restaurateurs actuels très intéressante, originale, émouvante et instructive pour évoquer leur vie au quotidien dans la primatiale et leur perception du travail de leurs prédécesseurs sur cet immense chantier qui n’a pas de fin. Ils montrent comme les artisans ont toujours laissé des traces de leur personnalité malgré des programmes parfois contraignants, notamment dans des parties peu visibles. Eux-mêmes ont laissé libre cours à leur imagination et savoir-faire pour orner certaines gargouilles de représentations personnelles…
Les articles sont volontairement synthétiques, mais néanmoins faciles à lire. Des notes, délibérément peu nombreuses et courtes, renvoient en fin de volume aux références essentielles et les plus récentes les lecteurs qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances sur tel ou tel sujet.
Les « Merveilles de la cathédrale »
La deuxième partie recense les « Merveilles de la cathédrale », architecture et décors, mobilier, vitraux, trésor liturgique, collection de tapisseries, mais aussi le grand orgue et l’orgue Ahrend, et l’extraordinaire horloge astronomique articulant 19 automates, dont la plus ancienne mention date de 1379, maintes fois restaurée, sans oublier les cloches qui rassemblent la communauté.
Les programmes narratifs portés par les sculptures, les vitraux montrent que les commanditaires ont mis l’accent sur le thème de l’Incarnation et de la rédemption par la Croix, tout en soulignant le lien avec le Précurseur, Jean-Baptiste, présent notamment dans la grande rosace occidentale visible depuis l’autel. La cathédrale a souffert des destructions massives de 1562 et de 1793, mais les articles permettent de se faire une idée de la richesse de ce qui reste et permettent de reconstituer les sculptures et vitraux parfois détruits à l’aide de recherches très précises mais aisément compréhensibles, appuyées sur des dessins rendant compte de ce qui a parfois disparu.
L’évolution du mécénat ecclésiastique au XIXe siècle jette une lumière sur l’évolution des préoccupations des commanditaires des oeuvres de la cathédrale. Les nécessités de reconstruire et de reconstituer un trésor liturgique furent les priorités des épiscopats de messeigneurs Fesch puis des Pins et de Bonald, palliant la pauvreté des ressources de la fabrique de la cathédrale, frappée par la paupérisation du quartier environnant et toujours déficitaire. Ils renouent donc avec la tradition des évêques évergètes de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age.
Les nombreuses représentations dessinées ou peintes de la cathédrale dans la ville ont été mobilisées pour évoquer l’évolution de sa place dans la ville, dont le développement se déroule ailleurs, tandis que la fin du XIXe siècle voit la construction de la basilique de Fourvière, qui domine la cathédrale, et devient le principal centre de la dévotion mariale, aux dépens d’une cathédrale traditionnellement moins ouverte au peuple chrétien puisque les principales réalisations funéraires ostentatoires, ou les chapelles des confréries, n’y ont jamais trouvé place.
L’attachement du chapitre cathédrale, gardien de la liturgie lyonnaise très dépouillée, au plain chant exclusif, empêcha jusqu’en 1841 qu’un orgue y fût installé pour participer à la musique sacrée, jusqu’à ce monseigneur de Bonald impose des changements liturgiques et introduise les usages romains. A l’origine pourvu de 15 jeux, l’orgue atteint au fil des améliorations 52 jeux, et en 1996 un nouvel orgue, fabriqué par le facteur Ahrendt et initialement installé à Taizé, le remplace pour accompagner les offices. Le premier enregistrement d’orgue fut effectué sur cet instrument. L’histoire de ses différents titulaires est aussi évoquée.
La primatiale et la cité
Les rapports entre la primatiale et la cité, c’est à dire la société lyonnaise et son diocèse mais aussi au-delà, du fait de la situation singulière de Lyon aux limites du royaume de France, carrefour au débouché des routes alpines et des vallées du Rhône et de la Saône, occupent la troisième partie. Cette partie mobilise des contributions historiques évoquant les différentes étapes marquantes de cette histoire mouvementée de Lyon, carrefour et foyer culturel de premier plan, entre France et Empire, entre France et papauté.
Les rapports politiques entre l’Eglise de Lyon et la société dans laquelle elle s’inscrit sont successivement abordés. Les chanoines et les archevêques sont parfois en conflit. Le pouvoir des chanoines « comtes de Lyon », s’opposant aux seigneurs voisins (notamment les comtes de Forez) ou au patriciat urbain constitué en commune vers 1320, a marqué l’histoire de la primatiale. Ainsi s’explique son relatif isolement et le fait qu’elle soit restée longtemps à l’écart de la vie des Lyonnais, réservée au chapitre et à sa liturgie.
Lyon a traversé diverses crises comme les guerres de Religion, auxquelles le mariage d’Henri IV, célébré dans la primatiale en 1600, apporte un apaisement (paix de Lyon). La reconquête catholique a été marquée par la proximité de la république calviniste de Genève.
La tourmente révolutionnaire est à son tour apaisée par le concordat et la volonté de restauration de l’unité d’un clergé divisé et de retour à la régularité permis par l’action volontariste de monseigneur Fesch qui, malgré le peu de temps qu’il passa à Lyon, fut relayé par des administrateurs dévoués à cette cause à partir de 1802.
La loi de séparation des Eglises et de l’Etat fut une nouvelle période de tensions, mais la modération des évêques et du clergé limitèrent les conflits. Elle eut comme conséquence notamment que le palais épiscopal dut être quitté par les évêques, qui s’installèrent à proximité de la basilique de Fourvière, rendant encore plus manifeste la bipolarisation de la vie religieuse.
La question des relations entre les archevêques et les papes du Moyen Age à nos jours est abordée. Lyon, en situation de frontière entre la France et l’Empire, a pu apparaître comme une étape obligée pour les papes qui, fuyant une Rome devenue inhospitalière, cherchaient à se mettre à l’abri. Lyon accueillit deux conciles oecuméniques, en 1245 et en 1274. Innocent IV séjourna à Lyon de 1244 à 1251 et Grégoire X en 1274 pendant dix mois, Clément V y fut consacré en 1305 et Jacques Duèze y fut élu pape, et il prit le nom de Jean XXII. Plus récemment, Lyon accueillit Jean-Paul II en 1986 pendant près d’une semaine, il y béatifia le fondateur des prêtres du Prado, le père Antoine Chevrier.
Il serait dommage de négliger les derniers articles, car ils donnent sens aux nombreuses informations fournies à propos de l’évolution de l’architecture, des décors, et des orgues installés dans la primatiale. Ils évoquent le fait que Lyon est resté très longtemps attachée à la liturgie lyonnaise, très différente des liturgies gallicanes et de la liturgie romaine, qui finit par être imposée par Pie IX en 1864.
Le rite lyonnais est fixé par l’évêque Leidrade, ancien missus de Charlemagne, et est héritier des usages romains du VIIIe siècle. Il est caractérisé par l’usage du plain-chant, et de rituels particuliers, qui influencent l’organisation spatiale de l’édifice. A partir du Xe siècle, les usages romains ont évolué, tandis que les Lyonnais conservaient leur rituel, presque inchangé jusqu’au début du XIXe siècle.
L’évolution du chant sacré à Lyon jusqu’à maintenant est aussi retracée, et évoque notamment la personnalité du chanoine Godard, compositeur prolifique et artisan de la réforme liturgique de Vatican II. Le recteur de la primatiale Michel Cacaud, et l’actuel archevêque de Lyon, monseigneur Barbarin, évoquent le rôle de la primatiale dans la vie religieuse et festive de Lyon aujourd’hui.
Monseigneur Barbarin, qui préside à la direction de ce beau livre, conclut par un appel à ce que cette primatiale demeure une Eglise vivante, accueillante à la diversité de tous, dans la conscience claire qu’elle porte aussi une tradition ininterrompue depuis les origines.
Un « incontournable » pour l’histoire de Lyon et de la cthédrale
Il faut souligner l’originalité de la conception d’ensemble de ce volume, qui réside dans le fait qu’il ne se limite pas à l’étude d’un passé prestigieux mais fait une large place aux hommes et à leur expérience vécue, y compris pour la période actuelle. L’approche pluridisciplinaire renvoie aussi à la parole de praticiens qu’on écoute rarement, comme les artisans restaurateurs, ou les utilisateurs actuels des bâtiments, fidèles et pasteurs de l’actuelle communauté chrétienne.
L’approche du bâtiment, qui ne peut plus se limiter seulement à l’histoire et à l’étude archéologique, s’éclaire en mettant en relation les observations faites avec l’étude de la liturgie. On peut regretter cependant que la voix des laïcs se limite aux spécialistes d’histoire, d’architecture ou d’archéologie et que, pour les périodes contemporaines, les articles sur le vécu des communautés chrétiennes soient rédigés surtout par des membres du clergé.
La présentation de l’ensemble de ce grand in quarto solidement relié est très soignée. Un grand confort de lecture pour le texte principal est à signaler. Une utile présentation des auteurs est placée en fin de volume. On peut aussi savoir gré aux auteurs d’avoir inséré dans leurs articles des notes synthétiques renvoyées aussi en fin de volume et limitées aux références essentielles destinées à ceux qui veulent aller plus loin. On peut cependant regretter pour les notes le choix d’une police de caractères trop petite qui les rend difficilement lisibles.
Signalons encore la grande qualité des illustrations choisies tout au long de l’ouvrage, qu’il s’agisse de reproductions de dessins d’archives, de photographies en noir et blanc ou en couleur. Elles sont toute très soigneusement identifiées par des légendes lisibles et proches.
L’originalité de la démarche proposée et la richesse de l’illustration font de cet ouvrage un incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire ancienne et récente de la cathédrale, de ses archevêques, de ses chanoines et de son quartier à Lyon.
Noëlle Cherrier-Lévêque