Jean-Paul Thomas, Gilles Le Béguec et Bernard Lachaise, dir., Mai 1958, Le retour du général de Gaulle, Presses Universitaires de Rennes, 2010, 18 euros.
Revenir sur cet événement fondateur par excellence qu’est le 13 mai 1958, quelle meilleure idée ? La réévaluation récente de la IVe République constitue à elle seule une justification de ce volume, né du colloque organisé pour le cinquantenaire de l’événement par la fondation Charles de Gaulle et Sciences Po.
Les acteurs du 13 mai : des Fabrice à Waterloo ?
Difficile pourtant de se retenir d’un sentiment de déception à la lecture du livre. Focalisées sur le 13 mai et l’analyse minutieuse du rôle des différents acteurs et des complots, réels ou fantasmés, plusieurs contributions semblent réservées aux seuls spécialistes. La contextualisation est inexistante, la plupart des personnages sont considérés comme connus, même quand ils n’ont pas joué de rôle public de premier plan, et le lecteur a l’impression d’être un intrus dans une réunion de famille.
De surcroît, ces analyses, mais on ne peut en blâmer les auteurs, débouchent souvent sur la même conclusion, à savoir que personne ou presque n’a vraiment prévu ni maîtrisé l’événement. De Gaulle se fait toujours évanescent lorsqu’on lui demande son approbation, manière pour lui de ne pas s’engager et de ne pas se laisser instrumentaliser par ses fidèles. Léon Delbecque, envoyé à Alger pour canaliser la rébellion au profit des gaullistes, se trouve ainsi rapidement dépassé par l’émeute, d’autant que les communications avec Paris sont rompues.
L’opération « Résurrection » mise en place quelques jours plus tard paraît aussi insaisissable ou presque, chacun ayant son plan. Lorsque Radio Alger transmet des messages codés, il s’agit de canulars destinés à inquiéter les autorités (et amuser leurs auteurs) !
Une armée plus lasse que frondeuse
Les militaires sont également largement tenus à l’écart des préparatifs du 13 main dans la mesure où ils sont considérés comme trop légalistes. Salan est même hué sur le forum ! Pour lui comme pour Massu, il n’était pas question alors de prendre le pouvoir par la force. La grande préoccupation de ces officiers marqués par la guerre d’Indochine est d’éviter de diviser l’armée, qui de fait se montre dans les jours suivants très hésitante, voire rétive au coup de force.
L’analyse de l’état d’esprit de l’armée confirme qu’on ne peut opposer les appelés, favorables à un retour rapide, aux engagés, désireux de laver l’honneur de l’armée. Elle révèle aussi les tensions qui peuvent exister entre les militaires et les colons, qui leur imposent des loyers trop élevés pour qu’ils fassent venir leur famille et se servent d’eux afin de maintenir un statu quo médiocre et sans avenir. La valorisation frénétique et caricaturale des musulmans dans les manifestations qui suivent le 13 mai (certains sont contraints de venir proclamer leur attachement à la France), ne peut masquer que l’attitude des colons annihile le travail de propagande mené par l’armée. Plus que la révolte, c’est ainsi la lassitude qui caractérise les militaires.
La paralysie de la IVe République
Laissant de côté l’analyse des divers groupuscules d’extrême droite, on peut enfin revenir sur quelques remarques plus générales : depuis 1954 et la CED, les ministres sont frappés de « démissionnite », écrit Gilles Le Béguec. Le départ de Mendès-France est le plus célèbre de tous, mais tous les gouvernements de ce temps en furent marqués. Les divisions internes aux partis pourrissent de l’intérieur la vie politique et empêchent toute stabilité gouvernementale, mais n’éclatent pas au grand jour et ne permettent pas encore une recomposition de la vie politique. L’hostilité est vive chez les radicaux entre René Mayer et Pierre Mendès-France, au sein de l’UDSR entre René Pléven et François Mitterrand. Le fossé entre l’aile gauche du MRP, derrière Robert Buron et les défenseurs de l’Algérie française derrière Georges Bidualt, s’élargit rapidement. Partout, les coups tordus fleurissent, l’Express lance fin 1954 une grande campagne contre Edgar Faure, pourtant principal ministre de Mendès-France que soutient le même journal ! Face à cette situation, le président Coty, qui a voté contre la constitution en 1946, est conscient depuis plusieurs mois qu’il faudra trouver une solution et est donc prêt à faire appel à de Gaulle.
Pour finir, on peut souligner un autre intérêt, plus historiographique qu’historique, de l’ouvrage. La retranscription de remarques des auditeurs du colloque, souvent des personnages liés directement ou par leur famille aux événements, permet de se faire une idée des différentes interprétations et perceptions que se font des hommes et femmes qui pourtant partagent les mêmes idées.
Yann Coz