Cette revue publiée depuis 2003 par le comité d’histoire politique et parlementaire avec les éditions Pepper et l’Harmattan, sera désormais présentée par le service de presse des Clionautes. Elle réunit des travaux de chercheurs français pour la plupart sur les évolutions du rôle des parlements dans une période où leur importance, au moins sous la cinquième République, a eu tendance à diminuer.
Ce neuvième numéro présente les débats de Mai 1968, pendant des « événements » où l’on pensait que le pouvoir était, soit dans la rue, soit devant les écrans d’une télévision que le pouvoir gaulliste contrôlait sans partage. On sait par ailleurs l’importance du discours du Général de Gaulle à la radio, le 30 mai 1968.
La revue ne se limite pas à la France puisque l’on y trouve également un article de Emmanuel Droit sur le mouvement étudiant Ouest –allemand vu par les députés du Bundestag en 1968.
Ce mouvement étudiant, peu connu en France en dehors de Rudi Dutschke, un des leaders de ce mouvement au destin tragique. ( Victime d’un attentat en 1968 et décédé de suite des séquelles en 1979.
Dans cet article un salutaire rappel permet d’apprendre que la République fédérale s’était dotée de moyens de contrôle et de lois d’urgence, pour ne pas dire d’exception, permettant de défendre l’État contre des menées subversives. Cela explique l’indifférence de ce mouvement étudiant à l’égard de la Chambre basse et son rejet par la rue.
Pourtant les parlementaires de cette période se sont très tôt intéressé à ce qui a pu apparaître comme une réédition des troubles qui ont conduit la République de Weimar à sa chute en 1933. La crainte que l’histoire ne se répète était forcément présente.
Les parlementaires qu’ils aient été chrétiens démocrates ou socialistes ne manquaient pas de dénoncer cette subversion qui passait par différents canaux, y compris par la diffusion des thèses éducatives de Théodor Adorno sur les structures autoritaires en vigueur en RFA.
Les libéraux du FDP ont par contre été plus sensibles à la radicalisation de la jeunesse, et à sa constitution en groupe de pression. Les étudiants de cette période qui refusaient la Grande coalition entre la CDU et le SPD reprenaient une expression de Neue Linke, qui n’est pas sans rappeler Die Linke, cette mouvance issue du SPD qui vient troubler le jeu politique allemand dans une période qui peut ressembler à une « grand coalition » certes un peu réduite. Ce qui laisse d’autant plus de place encore à d’autres courants. Les Grünen qui se sont fortement réduits, étant de ce point de vue, les grands perdants de cette recomposition.
Bien entendu, l’essentiel de ce numéro est consacré à un balayage, à plusieurs mains de l’action ou de l’inaction des groupes parlementaires pendant les événements en France.
François Audigier parlent des « godillots qui doutent », des députés gaullistes qui se retrouvent écartelés entre leur perception parfois progressiste de ce mouvement de la jeunesse et leur désir d’ordre. Les flottements du Général de Gaulle pendant la crise en ont désorienté plus d’un.
Deux courants se sont en effet affrontés. Les tenants du « répressif » comme le député André Fanton voyaient un complot de l’extrême gauche derrière des extraits des tracts diffusés pendant la période qui prônaient la violence révolutionnaire.
Le Ministre Alain Peyrefitte a même été pris à partie en raison de sa volonté de dialogue affichée avec les « émeutiers ».
Certains gaullistes de gauche comme Edgard Pisani et André Capitant étaient au contraire favorable au dialogue. Ils ont d’ailleurs entamé là le chemin qui devait conduire Edgard Pisani jusqu’à François Mitterrand en Mai 1981.
La motion de censure a été l’occasion de la rupture de l’un, Pisani et de la marginalisation de l’autre, Capitant. Une fois rejetée, les gaullistes se sont sans doute retrouvés, cette fois-ci derrière le soutien au Général. Pourtant, d’après François Audigier, le groupe gaulliste s’est quand même retrouvé hors jeu en fin de crise, le Premier Ministre, et de Gaulle, estimant que ce n’était plus là qu’ils pouvaient espérer trouver une solution pour venir à bout de la crise. Pisani parlait du choix du pourrissement pour le dénoncer, l’avenir devait lui donner raison.
Fidèles à la majorité gaulliste jusqu’en 1969, les républicains indépendants emmenés par Valéry Giscard d’Estaing ont eu une attitude assez paradoxale. Dénonçant les manipulations gauchistes, ils remettent en cause l’aveuglement du pouvoir gaulliste devant les inquiétudes de la jeunesse. Les notables libéraux qui composent ce parti sont parfois très critiques devant la gestion gaulliste de la crise, et Giscard d’Estaing envisage pour l’avenir de considérer la jeunesse en général comme le moteur du changement. On retrouve même, après la Nuit des barricades, Michel Poniatowski en dénonciateur des « méthodes de répression brutales ». Pour celui qui s’affirme de plus en plus comme le leader de ce courant de la droite libérale, la crise de 1968 est le révélateur d’une situation bloquée par la figure du commandeur de l’Élysée. Une route qui devait l’y conduire lui-même après avoir critiqué pour le Référendum de 1969 « l’exercice solitaire du Pouvoir ». Pourtant, avec Georges Pompidou, c’est quand même le ministre de l’intérieur RI, Raymond Marcellin qui devait incarner le visage de la répression avec la Loi anti-casseurs.
Frédéric Fogacci revient pour sa part sur le Parti radical et la FGDS, « totalement passifs et totalement négatifs », même s’il assortit cette remarque cruelle d’un point d’interrogation.
Les radicaux étaient certes très désarmés pour analyser les mutations sociales en cours dans cette France des Trente glorieuses. Le Radicaux limitaient leur opposition au débat institutionnel et à la préservation de positions locales acquises par un parti de notables.
Le Parti est, en raison de ses racines rurales, déconnecté de la jeunesse étudiant, même si l’épisode Mendésiste a laissé des traces, ça et là.
Enfin, la puissance de la FGDS tiraillée entre partisans et adversaires de l’alliance communiste, stérilise toute possibilité d’action autonome. C’est cette situation d’impuissance face à la crise, qui, paradoxalement devait conduire le Parti à avancer sur des questions sociétales dans les années soixante dix et quatre vingt, une fois la divisions entre valoisiens et radicaux de Gauche consommée.
Gilles Morin parle à propos de 1968 d’un hors-jeu de la FGDS même si, le score flatteur de François Mitterrand et la victoire de justesse des gaullistes aux législatives de 1967 plaçaient plutôt cette fédération en situation favorable. Pourtant, le PCF est toujours la premières force de gauche avec 22.4% des voix contre 18.8 à la FGDS.
La fédération est formée d’éléments divisés également comme la SFIO où les affrontements entre Molletistes et Deferristes sont fréquents. La Crise de 1968 a été précédée d’une crise interne pour les représentations au sein des instances dirigeantes de la FGDS que Mitterrand préside toujours.
La FGDS se livre au Parlement à une action de lobbying en faveur des franges de son électorat, comme les Postiers et les rapatriés d’Algérie ou encore es enseignants. Déjà en Avril Roger Quillot produit un rapport sur les insuffisances du Gouvernement en matière universitaire et pose le problème du caractère inégalitaire des formations. La FGDS est en même temps exclue des ondes par la radio et télévision d’État et s’appuie sur son influence dans la Presse quotidienne régionale et certains titres nationaux.
Au Parlement, une fois la crise venue, la FGDS intervient pour l’amnistie des étudiants dans un premier temps, mène la bataille pour la motion de censure dans un second temps et enfin, devant cet échec, se divise avec l’irruption de François Mitterrand qui se pose en recours de la République en escomptant l’échec du Référendum proposé par de Gaulle.
Pour François Mitterrand l’échec de ce plan va le conduire à ré envisager l’avenir, une avenir qu’il voit en prenant cette fois-ci le contrôle du Parti socialiste et en embrassant le Parti communiste dans une alliance étouffante qui lui permettra, en 1981 d’accéder à l’Élysée.
Beaucoup de choses ont été écrites sur le rôle du PCF pendant la crise de Mai-Juin 1968, beaucoup moins sur l’action des députés tant il est vrai que la face visible de cette crise ne s’est pas située au Parlement. L’article de Jean Vigreux et Émmanuel Ranc vient combler en partie cette lacune. Le PCF a changé sous l’impulsion du secrétaire général Waldeck Rochet et l’anti-communisme ne fait plus autant recette que par le passé. Pour autant, le 30 mai, de Gaulle parlera du « communisme totalitaire » et fera même indirectement référence à des compagnons de route inévitablement éliminés dans une alliance avec un PCF tout puissant.
Le PCF va donc osciller entre une nécessaire participation au mouvement social et dans la vigilance face au gauchisme qui lui fait concurrence. On oublie qu’à cette époque, maoïstes et trotskistes influencent des fractions de la jeunesse communiste et que la crainte du débordement à gauche amène la direction du PCF à dénoncer l’aventurisme.
Dans les interventions des députés, comme Roland Leroy, on retrouve souvent ces références à une « université de classe », ou à la crise du capitalisme, même si la seule alternative politique à la crise se trouve dans un gouvernement populaire.
Le PCF se retrouve également piégé par le projet de référendum, l’ouverture des négociations de Grenelle et par la tenue des élections de juin auxquelles il n’a aucun moyen de s’opposer.
La crise de 68 et le tournant sociétal qu’elle a pu constituer ouvre une période de raidissement interne, du point de vue de l’organisation, représenté par la montée en puissance de Georges Marchais, futur secrétaire général et par son impuissance face au piège obligatoire de l’Union de la Gauche tendu par Mitterrand.
Dans la partie sources de cette revue, on pourra trouver une belle passe d’armes entre Mitterrand et Pompidou, le 22 mai 1968 et deux entretiens de François Audigier avec Maurice Grimaud, le Préfet de police de Paris et Alain Terrnoire, benjamin de l’Assemblée et député UNR et gaulliste de gauche sur leur perception des événements.
Bruno Modica © Clionautes