Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme : deux universitaires de l’Histoire du droit
L’ouvrage Histoire de la République en France (Des origines à la Ve République), écrit par Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme et édité en 2018, constitue l’avant-dernière parution de la collection « Corpus » de la série « Histoire du droit », aux éditions Economica. Né en 1963, Jacques de Saint-Victor a d’abord été avocat puis journaliste au Figaro Économie. En 1996, après son doctorat en histoire du droit, il quitte le journalisme pour l’université, tout en restant chroniqueur au Figaro littéraire. Auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire des idées politiques (notamment la pensée libérale), la crise de la démocratie et le populisme, les systèmes de droit et la criminalité organisée, il est actuellement Professeur des universités en Histoire du droit à l’Université de Paris XIII et au CNAM (Paris) tandis que Thomas Branthôme est Maître de conférences en Histoire du droit à Paris V-Descartes ainsi qu’à Sciences Po (Paris).
Cette publication de 1110 pages inclut un avant-propos (p. 1-28), 18 chapitres (p. 31-1102) répartis en 5 parties (ou titres) : Titre introductif (p. 29-190) – « La République sous la monarchie : L’émergence de la singularité républicaine française (XIIIe-XVIIIe siècles) », Titre I (p. 191-438) – « Naissance de la République en France (1789-1814) », Titre II (p. 439-642) – « La République incertaine (1814-1870) », Titre III (p. 643-862) – « La consécration républicaine (1870-1919) », Titre IV (p. 863-1102) – « Heurs et malheurs républicains (De 1919 à la Ve République) » et, enfin, une table des matières (p. 1103-1110). Quant à la bibliographie, elle est dispersée tout au long de l’ouvrage à l’issue de chacun des 18 chapitres.
Dans un long avant-propos (p. 1-28), les deux juristes interrogent ce qu’est la République dans ses principes, ses valeurs et dans son histoire paradoxalement mal connue. Cette Histoire de la République en France est le résultat de la création du cours d’histoire de la République, à l’Université de Paris 8, à la place du classique cours d’histoire contemporaine politique et sociale, de la faculté de droit. Jacques de Saint-Victor avait été chargé de ce cours et c’est à cette occasion qu’il eut l’idée de rédiger ce manuel. Ce cours visait à mieux familiariser les étudiants à la connaissance du « socle » républicain qui ne peut s’abstraire du passé monarchique et impérial de la France.
– La République sous la monarchie en France (XIIIe-XVIIIe siècles)
La première partie de l’ouvrage (Titre introductif), de plus de 160 pages, a pour objet l’émergence de la singularité républicaine sous la monarchie française (XIIIe-XVIIIe siècles). Elle comporte les quatre premiers chapitres ayant pour titre : chapitre introductif – L’idée républicaine en France avant 1789 ; chapitre I – Le retour de la « République des Anciens » (XIIIe-XVIIIe siècles) ; chapitre II – L’émergence de la « République des Modernes » ou l’affirmation de l’État en France (XVIe-XVIIe siècles) et le chapitre III – L’affirmation de « l’exceptionnalisme républicain » français au XVIIIe siècle (1715-1789).
Dans cette première partie (p. 29-190), Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme présentent l’histoire mouvementée de la République en France. Cette dernière impose de remonter à ses fondements idéologiques (chapitre introductif sur l’idée républicaine en France avant 1789 – p. 31-45) à partir de la redécouverte d’Aristote au Moyen Âge qui donna naissance à un « républicanisme classique » (chapitre I avec le retour de la « République des Anciens » (XIIIe-XVIIIe) – p. 46-73), avec l’émergence de la « monarchie républicaine » qui se répandra des Cités italiennes aux États-Unis d’Amérique (chapitre II avec l’émergence de la « République des Modernes » ou l’affirmation de l’État en France (XVIe-XVIIe siècles) – p. 74-124), de Nicolas Machiavel à Jean Bodin. Mais les « Lumières radicales » du XVIIIe siècle vont donner à ce républicanisme une connotation particulière en France, en l’associant à la démocratie, ce qu’on appellera l’ « exceptionnalisme républicain français » au XVIIIe siècle (1715-1789), objet du chapitre III (p. 125-190), avec des auteurs comme Montesquieu, Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau.
– Naissance de la République en France (1789-1814)
La deuxième partie du livre (Titre I), d’à peine 250 pages, a pour sujet la naissance de la République en France (1789-1814). Elle compte quatre chapitres intitulés : chapitre IV – Le « récit des origines » ou la République qui s’ignore (1789-1792) ; chapitre V – La République absolue (1792-1794) ; chapitre VI – La République désenchantée (1794-1799) et le chapitre VII – Le crépuscule républicain (1799-1814) (p. 387-438).
Dans cette deuxième partie (p. 191-438), Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme montrent qu’à partir de 1789-1792, la République devient l’objet de grands affrontements politiques et, pendant plus d’un siècle, source de divisions, parfois même au sein du camp républicain. Cependant, la naissance de la République en France va être progressive au point de s’ignorer pendant trois ans (chapitre IV – Le « récit des origines » ou la République qui s’ignore (1789-1792) – p. 193-248) jusqu’à la chute définitive de la monarchie absolue de droit divin (le 10 août 1792). Le 21 septembre 1792 est proclamée la Première République qui dure jusqu’à la chute de Robespierre, lors du coup d’État du 9 thermidor (28 juillet 1794), objet du chapitre IV (La République absolue (1792-1794) – p. 249-324). Durant cette période qui dure 5 ans (1794-1799), la République française passe de la réaction contre la Terreur (1794-1795), à celle des « notables » puis à l’instabilité due aux coups d’État (1795-1799) qui se termine par la mise en place du Consulat par Napoléon Bonaparte (le coup d’État du 19 brumaire) (chapitre VI – La République désenchantée (1794-1799) – p. 325-386). Le Premier Empire de Napoléon Ier correspond à un crépuscule républicain (1799-1814) qui s’achève par la chute de l’empire napoléonien (le 9 mars 1814) et le retour des Bourbons avec Louis XVIII (le 2 mai 1814) (chapitre VII – p. 387-438).
– La République française incertaine (1814-1870)
La troisième partie de l’ouvrage (Titre II), de plus de 200 pages, a pour étude les années incertaines de la République en France (1814-1870). Elle comprend trois chapitres ayant pour titre : chapitre VIII – La nuit républicaine (1814-1848) ; chapitre IX – La Deuxième République ou le Janus républicain (1848-1852) et le chapitre X – La gestation d’une troisième République : les Républicains à l’épreuve du Second Empire (1852-1870).
Dans cette troisième partie (p. 441-642), Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme narre l’histoire chaotique de la République en France sous la Restauration monarchique de Louis XVIII (1814-1824) et de Charles X (1824-1830), la monarchie de Juillet de Louis-Philippe Ier (1830-1848), la Deuxième République (1848-1852) jusqu’au Second Empire de Napoléon III (1852-1870). En effet, avec le chapitre VIII (p. 441-524), la nuit républicaine (1814-1848) s’abat sur la France avec le règne (en deux temps) de Louis XVIII (1814-1815) suivi par les Cent-Jours de Napoléon Ier (mars-juillet 1815) puis de la « Seconde Restauration » (1815-1830) avec à nouveau Louis XVIII (1815-1824) puis Charles X (1824-1830). Après 1830, vient la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe Ier, roi des Français (1830-1848). Dans le chapitre IX (p. 525-579), les deux auteurs étudient La Deuxième République ou le Janus républicain (1848-1852), avec l’élection du président de la République au suffrage universel soit celle de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier (20 décembre 1848). La Deuxième République trouve son épilogue avec le coup d’État du 2 décembre 1851, de Louis-Napoléon Bonaparte, qui devient Napoléon III, le 2 décembre 1852, en instituant le Second Empire. Avec le chapitre X (p. 580-642) – La gestation d’une troisième République : les Républicains à l’épreuve du Second Empire (1852-1870), les deux historiens du droit démontrent que, – face à un régime personnel, policier et administratif -, les républicains ramènent une nouvelle conception de la République (le Programme de Belleville de mai 1869 des républicains radicaux) qui conditionne leur vision future de la Troisième République.
– La consécration républicaine en France (1870-1919)
La quatrième partie de l’ouvrage (Titre III), de moins de 220 pages, a pour étude les années de consécration de la République (1870-1919). Elle comprend quatre chapitres ayant pour titre : chapitre XI – Naissance de la IIIe République (1870-1879) ; chapitre XII – La « période athénienne » : le sacre du Républicanisme libéral (1879-1885) ; chapitre XIII – Des « Opportunistes » aux « Progressistes » : la première « République du Centre » (1885-1899) et le chapitre XIV – L’enracinement républicain : de la « Défense républicaine » à la Victoire (1899-1918).
Dans cette quatrième partie (p. 643-862), Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme raconte la Troisième République, de sa naissance en 1870 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1919. Avec le chapitre XI (p. 645-715) – Naissance de la IIIe République (1870-1879), la guerre franco-allemande de 1870 signe la chute du Second Empire, la création de la « Défense républicaine » de Gambetta, la Commune ou la « République de Paris » et la mise en place de la « République de Versailles » d’Adolphe Thiers. Avec le chapitre XII (p. 716-749) – La « période athénienne » : le sacre du Républicanisme libéral (1879-1885) est le moment de la laïcisation (séparation École / État) et des épurations successives de l’État (magistrature, etc…). Dans le chapitre XIII (p. 750-790) – Des « Opportunistes » aux « Progressistes » : la première « République du Centre » (1885-1899), la République est fragilisée par la crise « boulangiste » (1885-1890), la crise du scandale de Panama (1892-1893), la dérive des attentats anarchistes (1893-1894), la montée du socialisme (1895-1899), le « Ralliement » des catholiques à la République (1890), le ministère de Jules Méline (1896-18998) et les débuts de l’affaire Dreyfus (1894-1899). Dans le chapitre XIV (p. 791-862) – L’enracinement républicain : de la « Défense républicaine » à la Victoire (1899-1918), la République s’enracine avec le cabinet de « Défense républicaine » (1899-1902) chargé de résoudre l’affaire Dreyfus et de renforcer la culture politique républicaine. En 1902, se constitue le « Bloc des gauches » qui voit le sacre du radicalisme avec le ministère Combes et de sa politique avec la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Puis, vient le ministère Clemenceau (1906-1909) et le « consensus républicain ». Après 1909, revient l’instabilité ministérielle (1909-1914) puis la Première Guerre mondiale qui voit la République en guerre et instaure un État interventionniste en matière d’économie de guerre. Comme président du Conseil, Clemenceau met en place une dictature républicaine de « Salut public » qui assure la victoire finale de 1918.
– Heurs et malheurs républicains de la France (De 1919 à la Ve République)
La cinquième et dernière partie de l’ouvrage (Titre IV), de moins de 240 pages, a pour étude les années d’heurs et malheurs républicains de la France (De 1919 à la Ve République). Elle comprend quatre chapitres ayant pour titre : chapitre XV – Le « Bas-Empire » de la République (1919-1940) ; chapitre XVI – Agonie, Exil et Restauration de la République (1940-1946) ; chapitre XVI – La IVe République ou la rémanence du « Bas-Empire » républicain (1947-1958) ? ; chapitre XVII – « Libération de la France, procès et condamnation » (p. 231-244) et le chapitre XVIII – La grande synthèse : Les fondations de la Ve République.
Dans cette cinquième et dernière partie (p. 863-1102), Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme brossent le portrait de la Troisième République finissante, l’État français de Vichy, la Quatrième puis la Cinquième République jusqu’à nos jours. Avec le chapitre XV (p. 865-934) intitulé le « Bas-Empire » de la République (1919-1940), les auteurs étudient les mythes de l’Union des droites avec le « Bloc national » (1919-1924), de l’Union des gauches avec le « Cartel des gauches » (1924-1932), de l’union de centre droit avec l’ « Union nationale » (1932). Après viennent le temps des crises et de l’instabilité parlementaire : crise politique et parlementaire du 6 février 1934 (1932-1934), crise et tentatives de « réformes de l’État » (1934-1936), Front populaire et ses suites (1936-1938), crise des accords de Munich à l’armistice du 22 juin 1940 (1938-1940) puis l’instauration de l’État français, à Vichy, avec la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Dans le chapitre XVI (p. 935-978) – Agonie, Exil et Restauration de la République (1940-1946), les deux historiens du droit décrivent la République en exil (1940-1944), la « Constitution provisoire » de 1945 et le retour des partis politiques puis la Constitution du 27 octobre 1946 instituant la Quatrième République. Avec le chapitre XVII (p. 979-1033) – La IVe République ou la rémanence du « Bas-Empire » républicain (1947-1958) ?, les auteurs évoquent la fin du tripartisme, les réussites économiques et sociales de la Quatrième, la modernisation de la France mais aussi les échecs et les demi-succès sur le plan international et, enfin, la question algérienne causant la fin de la Quatrième République. Dans le dernier chapitre du manuel, soit le chapitre XVIII (p. 1034-1102) – La grande synthèse : Les fondations de la Ve République, Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme traitent de la Cinquième République de 1958 à 1969, en évoquant le Consulat républicain de 1958, l’affirmation de la « monarchie républicaine » (1958-1962) mettant fin à la guerre d’Algérie et cédant la place à une « présidence Soleil » (1962-1969). Enfin, ces derniers se posent la question de la normalisation, mutations ou dénaturations de la Cinquième République, en évoquant les années allant de 1969 à 2016.
Histoire de la République en France (Des origines à la Ve République) : un manuel de référence pour l’histoire de la République en France ?
Pour conclure, l’ouvrage Histoire de la République en France (Des origines à la Ve République), écrit par Jacques de Saint-Victor et Thomas Branthôme, a été conçu par les deux auteurs comme un manuel d’histoire des institutions différent, c’est-à-dire en voulant mieux faire comprendre aux étudiants l’héritage républicain de la France, avec ses enjeux et ses contraintes, et en approfondissant des questions souvent ignorées ou négligées dans les manuels plus classiques d’histoire des institutions françaises. C’est la raison pour laquelle ce manuel (très bien structuré pédagogiquement parlant) retrace dans son ensemble l’histoire politique, institutionnelle et juridique de la France, de la Ire à la Ve République, servi par une bibliographie des plus récentes et puisée auprès des meilleurs spécialistes de chacune des périodes étudiées. Plus complexe que ne le laissait jadis entrevoir l’étude téléologique de l’idée républicaine, cette histoire révèle qu’il n’y a pas une tradition républicaine mais plusieurs (conservatrice, libérale, jacobine, plébéienne). Ces sensibilités se sont parfois confondues mais aussi souvent affrontées autour des périmètres d’un régime qui se veut la chose de tous (la res publica latine). Selon le principe de la collection Corpus en Histoire du Droit, ce manuel s’adresse non seulement aux étudiants en droit et en sciences politiques mais aussi à tous les candidats aux concours administratifs ou des professions juridiques, aux enseignants du secondaire désireux d’approfondir les cours d’éducation civique et aux esprits curieux pressés de mieux comprendre les grands enjeux de la France.
Cependant, ce manuel souffre de quelques défauts mineurs. En effet, pour les éditions suivantes, nous espérons que les éditions Economica pourront ajouter un index des noms cités (voire une frise chronologique des régimes politiques en France) car cela fait cruellement défaut pour un manuel destiné aux étudiants. Toujours dans un souci pour faciliter l’étude de ce livre par les étudiants, les auteurs devraient mieux marquer les introductions et les conclusions entre les différents chapitres. Nonobstant ces remarques, cet ouvrage devrait devenir un manuel de référence pour les étudiants en droit et sciences politiques.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour « La Cliothèque »)