Les Etats-Unis, hyperpuissance incontestable bien que contestée, est un pays en mutations. Les écrits de ces dernières années sur cet espace évoquent ces changements : poids de l’immigration (ouvrages de Frédérick Douzet ou de Emmanuelle Le Texier), politique extérieure (on lira avec attention le dernier ouvrage de Louis Balthazar, Charles-Philippe David et Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs, formulation) ou du poids de plus en plus prégnant de la religion.
Yannick Mireur, rédacteur en chef de la revue Politique américaine dont les Clionautes se sont faits récemment l’écho , nous offre un opus en forme de mise au point sur les enjeux avérés ou non de l’élection de novembre 2008.
Mais, plus encore qu’un ouvrage qui se fixe uniquement sur l’élection présidentielle, l’auteur s’interroge sur ce qui fait les grandes tendances politiques américaines. L’Amérique est-elle à la croisée des chemins ? L’introduction est à ce titre révélatrice : La religion ou bien même le nationalisme n’est pas l’apanage du seul camp républicain. Mais, « le grand basculement de l’Amérique vers le conservatisme politique reste le facteur déterminant pour appréhender l’avenir. Il survivra aux années « W » ». C’est cette réalité que Yannick Mireur tient à nous faire partager. En complément, on pourra se référer à l’ ouvrage récent de Romain Huret qui présente les traits principaux de la mobilisation de ces conservateurs.
L’enjeu des élections de 2008 est de sortir de l’ornière où se trouve le pays. Le projet américain est à réinventer même si ses bases sont solides sur la longue durée. Des idéaux de 1787 en passant par la présidence de T. Roosevelt qui a entamé le début de la domination mondiale américaine à la révolution reaganienne des années 1980, les Etats-Unis ont su s’inventer un destin. L’auteur nous entraîne aux sources même de cette domination qui est consubstantielle à l’histoire du peuple américain. Il mesure la force du courant conservateur mais aussi ses limites. L’avenir politique américain passe par un recentrage avec une pratique bipartisane du pouvoir. En effet, les candidats comme John Mc Cain, si ils veulent être élus doivent se démarquer de ce jusqu’au-boutisme. N’a-t-il pas affiché, lors de l’ « acceptance speech » à la Convention républicaine au début du mois de septembre 2008 sa volonté de travailler avec toutes les personnes de bonne volonté «(« good will »)? En effet, même si le sectarisme du clan Bush a permis l’élargissement de sa base électorale grâce à l’expertise de conseillers comme Karl Rove, même si « W » est allé plus loin que Reagan dans les valeurs religieuses et que les liens entre la Maison Blanche et la droite chrétienne sont très étroits, la révolution Bush n’est pas un fait isolé. Plus encore que l’analyse du temps présent dans laquelle Yannick Mireur excelle, c’est la recherche des racines historiques de cette Amérique que nous avons parfois du mal à appréhender qui donne toute la valeur à cet ouvrage. La comparaison entre Bush et Théodore Roosevelt est à ce titre tout à fait éclairante : « Les années 1900 ressemblent à s’y méprendre aux années 2000 ». Pour ne donner qu’un exemple, l’interventionnisme des deux présidences est éloquent si on veut bien prendre le temps de les comparer. Les rapports entre l’argent et la société sont aussi une des caractéristiques communes de ces époques ; le passage à une société capitalistique au tournant du XX° siècle à l’affaire Enron sous la présidence Bush. L’instantanée de « l’Amérique au ras du ranch » (en référence à un Café Géo de Christian Montès) fait partie de cette stratégie qui consiste à se recentrer sur les valeurs plus qu’à évoquer les grands problèmes intérieurs auxquels l’administration Bush n’a pas su faire face.
Yannick Mireur analyse ensuite les fondements du malaise actuel de la société américaine (voir à ce propos en complément l’excellent compte-rendu de Gérard Buono sur l’ouvrage Géographie sociale des Etats-Unis ). La peur de la perte de l’emploi, la fin du Welfare state, les enjeux économiques et sociaux liés à la crise financière américaine actuelle sont autant de facteurs qui déstabilisent la société américaine. La volonté affichée d’un retour à une forme actualisée de protectionnisme est une réalité qui traverse la population et qui marque un des enjeux de la campagne électorale. Malgré tout, pour que la communauté nationale conserve son lien qui est au cœur de son contrat social, l’Amérique « aura intérêt à maintenir une implication financière forte des pouvoirs publics » à l’âge de la mondialisation qui a vu le modèle fordiste laisser la place à celui de Wall Mart.
Le besoin pour les Etats-Unis de renouveler voire de réinventer son leadership mondial est un autre enjeu majeur de cette élection. Après les excès de l’ère Bush, que l’auteur compare à Woodrow Wilson à juste titre (même tropisme intérieur mais interventions liées aux circonstances), un retour à une politique plus centriste moins partisane s’avère nécessaire comme celle mise en place par les républicains et démocrates de la Guerre Froide. La politique américaine de ces dernières années aura rompu « sur le fond comme sur la forme » avec un siècle d’exercice de la puissance et de l’hégémonie (Il est à noter que d’autres auteurs ont une approche légèrement dissemblable de celle de Yannick Mireur). Mais, il est vrai que l’incompréhension d’une partie du monde devant la politique extérieure américaine, et plus particulièrement les pays où l’islam est la religion dominante est ancienne et mutuelle. L’analyse de l’auteur est encore une fois pertinente : « En réponse au 11/9, le « changement de régime » a apporté une stratégie simple qui caresse l’absolue certitude de la mission américaine » qui est renforcée par ce nouveau conservatisme. La collusion des néoconservateurs avec les médias et les think tanks permet aussi d’expliquer cet autre jusqu’au-boutisme de la politique étrangère américaine. Le « laisser-faire » de ceux que l’auteur appelle les « clercs » c’est à dire les élites intellectuelles et politiques du pays est aussi une constante de l’analyse qu’il convient d’avoir si on doit comprendre les ressorts de la politique étrangère américaine ces dernières années. Ces faits expliquent largement comment Obama et Mc Cain ont pu émerger des confrontations au sein de leurs partis respectifs.
Le deuxième front de la politique extérieur américaine se situe très clairement en Asie selon l’auteur et du placement stratégique des Etats-Unis avec les puissances régionales (on pourra se référer à un récent ouvrage : Chine / Etats-Unis. Fascinations et rivalités) mais aussi son attitude vis-à vis des « points chauds » comme le Pakistan. L’auteur conclut : » Le panorama des enjeux en Asie est varié et les sujets entremélés. Les défis pour les Etats-Unis sont à la mesure de l’enjeu : maintenir leur leadership ».
Pour compléter cette approche tout à fait pertinente et érudite, d’une lecture aisée et rapide, on pourra parcourir le blog de Yannick Mireur ou il entretient une mission de veille quotidienne sur les événements de la campagne, les enjeux, les candidats et les valeurs de l’élection présidentielle. « Le passé pour éclairer le présent » : une formule qui correspond parfaitement aux apports fondamentaux de cet ouvrage même si on peut regretter que l’auteur n’ait pas plus discuté des racines historiques de la « présidence impériale » (référence à la période des présidents qui s’étalent de F. D. Roosevelt à « W » et que Denis Lacorne et Justin Vaïsse (voir le CR sur le site des clionautes ou Anne Deysine (voir CR sur le site des clionautes) ont récemment rappelé.
Cet ouvrage correspond en tout point à ce qu’un professeur du secondaire doit maîtriser pour pouvoir étudier les relations internationales avec ses élèves mais aussi le caractère profond du modèle américain. Plus largement, il est une porte d’entrée que chaque personne intéressée par les enjeux qui parcourent les Etats-Unis aujourd’hui devrait lire.
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