Convaincus que « plus une carte est pédagogique, plus elle est efficace » (p 13) et que « le message principal d’une carte doit être compris en moins de 10 secondes par son lecteur » (p 159), Nicolas Lambert et Christine Zanin, tous deux enseignants à l’université Paris 7, proposent avec cet ouvrage un véritable guide de création et d’utilisation de la carte thématique.
Structuré en trois parties équilibrées (1-l’information géographique, 2-le langage cartographique, 3-au-delà des variables visuelles), ce manuel offre ainsi une chronologie très fine de l’aventure cartographique de la conception de la carte à la communication de son message.
D’emblée, le lecteur est dans le bain et saisit bien vite que rien n’est jamais neutre en cartographie : la projection qui donne aux altermondialistes plus de poids grâce à Peters (p 39), le maillage qui influence le message (p 49) d’où le recours parfois au lissage et au carroyage, les couleurs qui ont des connotations symboliques et culturelles (p 89) mais également la discrétisation « pilotée par deux objectifs parfois contradictoires, que le cartographe aura pour tâche de mettre en balance : préserver les caractéristiques de la distribution statistique pour ne pas faire mentir les données, mais aussi laisser une marge de manœuvre pour permettre l’expression d’un message cartographique efficace » (p 64).
Le livre regorge de façons de faire (et de ne pas faire !), de conseils et d’exemples en tous genres : les arcanes de la généralisation (p 44, p 46) la caractérisation des données par la moyenne (p 56), la nécessaire utilisation parcimonieuse des variables de taille pour ne pas induire l’idée de proportionnalité (p 96), les chaines logicielles plus ou moins libres (p 208) et surtout, on n’écrit pas le mot « légende » dans la légende (p 163).
Sur le fond, les auteurs ont bien conscience que la carte est toujours là pour parler, parfois pour mentir (p 139), qu’il faut composer avec les mastodontes Google Maps et Open Street Map qui achèvent de numériser l’intégralité de notre monde mais que l’essentiel est bien de le donner à lire plus qu’à en maîtriser chaque recoin.
Sur la forme, on appréciera le ton limpide, à la fois rigoureux et empreint d’humour : référence au cours de géographie « Etats-Unis/Russie » du film P.R.O.F.S. (p 48), métaphore musicale « Une carte peut être frontale comme du heavy métal, chic et sophistiquée comme de la musique classique, alambiquée et iconoclaste comme du free jazz ou révoltée comme un rap rageur » (p 138) ou encore vérité pédagogique incontestable « De la même façon qu’à l’oral ou à l’écrit, il peut être utile d’expliquer plusieurs fois la même chose de façons différentes pour faire comprendre une idée. La carte permet aussi cette astuce rhétorique » (p 130).
En définitive, c’est bien la force cet ouvrage : une bonne rhétorique des auteurs à l’image du message qu’ils veulent faire passer ! L’exemple le plus réussi reste sans doute celui présent dans l’ultime chapitre : la cartographie, en huit exercices de style à la Queneau, de la richesse mondiale au travers de l’indicateur PIB impitoyablement décortiqué au préalable : édifiant et aux antipodes de la cacocartographie (p 170) !
Et s’il est une infime réserve sur le fait de ne pas avoir placé d’images pour appuyer le bref historique de la cartographie à travers les âges (pp 17-21), le lecteur se délectera de toutes les autres illustrations, riches et variées et surtout impeccablement reproduites (et en couleur !). Un bijou !