Avec Notre Révolution, Guillaume Mazeau, historien spécialiste de la période, propose une fresque dense et nuancée de la Révolution française, brillamment illustrée par Mathieu Dunhill et Jean-Paul Krassinsky. Publiée dans la remarquable collection Histoire dessinée de la France, cette bande dessinée dépasse les récits scolaires pour donner à voir les tensions, les contradictions et les dynamiques multiples qui ont traversé les années 1760 à 1799. Le récit repose sur une narration stimulante : un affrontement verbal et idéologique entre Charlotte Corday et de Jean-Paul Marat, figures symboliques aux visions opposées de la Révolution. Cette joute permanente, à la fois comique, critique et dramatique, structure le récit et en fait un véritable théâtre d’idées. Cette bande dessinée nous immerge au cœur des événements révolutionnaires, déconstruit les mythes tenaces tout en rendant sensible la complexité de cette période fondatrice.

Une révolution aux multiples visages : diversité des acteurs et pluralité des interprétations

L’un des grands mérites de cet ouvrage est de ne pas céder à une vision uniforme ou héroïsée de la Révolution. À travers l’opposition théâtrale et stimulante entre Charlotte Corday et de Jean-Paul Marat, Notre Révolution offre un regard pluriel sur les événements : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, célébrée comme un texte fondateur des libertés modernes, peut-elle aussi être lue comme un texte d’exclusion, ignorant les femmes, les esclaves ou les pauvres ? Les sans-culottes représentent-ils l’émergence d’un homme nouveau, engagé dans la conquête de ses droits, ou bien une masse populaire fanatisée, caricaturée par ses adversaires, moustaches et piques à la main ? Les biens du clergé ont-ils été légitimement nationalisés au nom de la souveraineté populaire, ou s’agit-il d’une spoliation brutale et idéologiquement motivée ?

L’un des grands apports de cette bande dessinée est justement de ne pas trancher. Chaque situation est lue dans sa complexité, dans son historicité, à travers des voix qui s’opposent sans que l’une écrase l’autre. La guerre, par exemple, est à la fois perçue comme un vecteur d’émancipation, au nom de la fraternité entre peuples et de l’universalité des droits, et comme un instrument de domination, où la République mène des campagnes impérialistes sous couvert de libération. La bande dessinée donne ainsi à voir la richesse des positions politiques, sociales et idéologiques qui ont traversé la décennie révolutionnaire.

Une révolution élargie : des campagnes françaises à Saint-Domingue, des Lumières à Bonaparte

Le récit inscrit résolument la Révolution française dans un cadre élargi, tant géographique qu’historique. Loin de se limiter à Paris ou à Versailles, l’ouvrage explore les révoltes frumentaires des campagnes, l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, l’écho des idées des Lumières à travers l’Europe ou encore nous transporte à Coblence, le « QG » des émigrés contre-révolutionnaires. La trame narrative, qui débute en 2010 à Haïti avec la découverte de l’acte d’indépendance de 1804, invite à réfléchir à l’héritage ambigu de la Révolution dans les anciennes colonies.

Ce jeu d’échelles et de temporalités montre bien que la Révolution n’est pas seulement une affaire française, mais un phénomène global, dont les promesses d’émancipation ont souvent été contredites par la réalité des rapports de domination.

Histoire et pédagogie : un outil précieux

En mêlant rigueur documentaire, réflexion historiographique et narration graphique, Notre Révolution s’impose comme un outil pédagogique précieux. Le dossier final de Guillaume Mazeau éclaire utilement les enjeux de mémoire, les dilemmes politiques et les choix difficiles auxquels furent confrontés les acteurs de l’époque.

L’ouvrage aborde aussi la difficulté de gouverner dans un contexte d’instabilité permanente, d’expérimentations politiques et de conflits idéologiques insolubles. Il rappelle que la Révolution fut aussi une lutte pour donner sens à l’idée même de nation, à un moment où cette notion restait encore floue et contestée.

Notre Révolution réussit brillamment à conjuguer exigence historique, accessibilité et inventivité narrative. En bousculant les certitudes et en restituant la complexité du moment révolutionnaire, cette bande dessinée ouvre un espace de réflexion essentiel, aussi bien pour les enseignants, les étudiants que pour tout lecteur désireux de comprendre les racines de notre modernité politique. Un ouvrage aussi stimulant qu’indispensable !