L’épidémie de choléra de 1849 tua 20.000 habitants de la capitale. Elle laissa aussi derrière elle plusieurs centaines d’orphelins, qui furent pris en charge par la municipalité de Paris. Parmi les bénéficiaires de cette politique de bienfaisance communale figurait une fratrie d’origine lorraine : Nicolas, Marie et Michel Bryck. Leur placement sous la tutelle de la mairie du Ier arrondissement de Paris nourrit un dossier administratif qui a été exhumé par la professeure et documentariste Laurence Giordano. Élargissant cette matière initiale à une enquête biographique complète sur la destinée des trois enfants, sa recherche alimente un riche faisceau de pistes de réflexion sur l’existence précaire des gens du peuple et les pratiques de la contrainte sociale au XIXe siècle.

Une trajectoire familiale

Les origines des enfants Bryck se situent en Lorraine germanophone. Issus d’un modeste milieu artisanal sans patrimoine consistant, leurs parents s’arrachent à leurs racines pour rejoindre le flux d’exode rural à destination des métropoles qui s’accentue au cours de la Monarchie de Juillet. La famille s’établit dans les quartiers populaires de la capitale, mais son équilibre est perturbé par la mort prématurée du père. La disparition de sa veuve, victime du choléra, laisse leurs trois jeunes rejetons à la charge d’une tante qui a elle-même déjà une famille. Elle s’en remet donc aux services d’aide charitable supervisés par les mairies d’arrondissement du soin de s’occuper de ses neveux. La fratrie d’orphelins est alors dispersée et ne se retrouvera jamais plus. Les responsables de la tutelle légale des enfants Bryck veillent désormais à leur avenir avec une bienveillance condescendante et normative, peu indulgente aux écarts de conduite de ses pupilles.

Selon des modalités tout à la fois semblables et distinctes, l’existence de ces trois derniers, qui ont respectivement 14, 12 et 10 ans en 1849, est désormais soumise jusqu’à l’âge de la majorité à l’idée que se font les administrateurs, gardiens de la société bourgeoise, de ce que doivent être les perspectives d’avenir et le comportement des enfants du peuple. Bien que séparés, les jeunes Bryck vont ainsi subir des parcours singulièrement similaires. Confiés à l’autorité de maîtres d’apprentissage qui s’avèrent défaillants et maltraitants, ils endurent différentes situations d’enfermement ressortissant de la « répression éducative ». La petite Marie n’y survit pas : elle meurt en maison de correction à l’âge de 15 ans. Ses frères, eux, parviennent à l’âge adulte. Ils fondent des familles, sans s’extraire de leur condition sociale miséreuse. L’aîné s’enracine comme ouvrier agricole dans le département de la Marne. Son cadet est ouvrier cordonnier à Paris, où il s’unit à une autre Mosellane déracinée durant la période critique du siège de Paris par les Prussiens. Au bout du chemin, les attend la mort solitaire des gens de peu dans des institutions d’assistance. Nicolas succombe dans un asile d’aliénés, et Michel dans un hospice d’indigents de la capitale, à l’issue d’existences difficiles dont la précarité est caractéristique des destinées populaires d’autrefois.

Un essai de microhistoire

Rédigée dans un style très accessible, en empathie avec ses infortunés héros, l’enquête documentaire approfondie de Laurence Giordano est un exercice réussi de microhistoire. L’approche familiale élargie qui la structure mérite également l’estime des généalogistes. Et pour ajouter une minuscule contribution à ce travail, indiquons que la descendance de Michel Bryck s’éteignit avec son fils, livreur, mort célibataire le 25 décembre 1930 à Nanterre.

© Guillaume Lévêque