Depuis la publication de cet essai, en janvier 2008, au Seuil, la presse se fait abondamment l’écho des travaux de cet auteur. (voir Le Monde du 22/01/2008 et celui du 5/02/2008 mais aussi l’article publié dans la revue La vie des idées par Laurent Davezies lui même pour ne citer que les articles que j’ai eu « entre les mains ») Que contient donc cet ouvrage comme idées qui méritent d’être relayées ?
A l’origine de cet essai, une constatation faite par l’auteur : il existe un divorce géographique entre les forces productives et les dynamiques de développement. L’Ile de France est à la fois une région locomotive en matière de développement mais aussi une région où la pauvreté croît le plus rapidement.
Laurent Davezies, professeur de développement territorial à l’Université Paris Val de Marne, déroule au fil des 110 pages de son livre une démonstration dense qui vise à montrer les deux logiques économiques complémentaires mais opposées de fonctionnement d’un territoire. Pourquoi les régions qui produisent le plus de richesses ne sont-elles pas celles qui en profitent le plus ?
Son propos s’organise en trois grandes parties.
Les métamorphoses du territoire
Contrairement à ce que relaient les médias qui mettent en avant les méfaits de la mondialisation, les différences de revenus moyens par habitant n’ont jamais été aussi faibles à l’échelle nationale. Les mécanismes nationaux de redistribution du revenu (liés aux prélèvements, aux dépenses publiques et aux transferts sociaux) sont plus importants que ceux versés par l’Union Européenne au titre des fonds structurels. Pourtant, toute menace de désengagement de l’Etat dans le rural profond est mal vécue (cf. manifestation à Guéret en 2005 contre la fermeture de bureaux de poste et de perception). Les transferts de revenus se font au nom d’une solidarité redistributrice nationale. L’auteur voit dans le poids des prélèvements un aspect positif. Le principe de mutualisation permet la prise de risque. En cas de problème, les déboires sont absorbés par le système. C’est ce qu’ont connu la Lorraine et le Nord Pas de Calais : producteurs de richesse dans un premier temps, ils bénéficient aujourd’hui du système d’aides. La mutualisation s’oppose à la tentation sécessionniste apparue en Italie ou en Belgique.
Les retraites constituent un élément décisif de rééquilibrage des revenus des régions, dans la mesure où les régions au PIB le plus faible attirent les plus de 65 ans. Ainsi, ¼ des Parisiens quittent la ville à l’âge de la retraite au profit du Sud et des littoraux. De même, nombreux sont les Français à dépenser une partie de leur revenu lors de leur temps libre en dehors de leur région de résidence. Ces transferts d’argent sont loin d’être négligeables et les économistes d’aujourd’hui, d’après l’auteur (tel Paul Krugman), semblent ne pas avoir compris l’enjeu économique des mobilités.
La théorie de la base économique
Entre le pic de la production littéraire sur ce sujet dans les années 1960 et 1970 et l’émergence de la Nouvelle Economie Géographique (NEG) dans les années 1990, les chercheurs ont eu beaucoup de mal à modéliser les économies territoriales en raison de la mise en place de la décentralisation en France ou de l’Agenda 2000 dans le cadre de la politique régionale européenne (qui répartit les fonds structurels automatiquement, sans négociation en fonction du critère mécanique des 75% du PIB communautaire par habitant). La Nouvelle Economie Géographique, mise au point par Paul Krugman, appréhende le territoire comme un facteur de croissance. Les territoires productifs sont ceux de la métropolisation, dans le cadre de la mondialisation.
La théorie de la base économique met en avant deux modèles :
– l’économie locale résidentielle (la richesse produite par la satisfaction de la demande locale induite par la présence des habitants d’une ville). C’est ce qui se passe dans les régions du Sud de la France « colonisées » par les retraités. Ce sont des territoires de consommation.
– Et l’économie du territoire support d’activités générant des revenus.
Il existe, malgré tout, des territoires qui combinent développement productif et attraction – rétention de revenus résidentiels (par exemple : Nantes – Saint Nazaire ou Annecy).
Par l’utilisation redondante de l’expression « Travailler plus pour gagner moins », on comprend que l’auteur est définitivement pro-francilien. Il déplore tout au long de l’ouvrage que l’Ile de France soit autant ponctionnée alors qu’elle constitue un territoire gagnant. Il peste contre la « régionalisation de la recherche » mise en œuvre au titre de la politique publique au nom de la « recherche territorialement équitable ». Il défend l’idée d’une métropole parisienne puissante pour jouer dans la cour des grands de la mondialisation. Il regrette toutefois que cette tendance à la métropolisation exclue les classes moyennes de Paris Centre en raison d’un pouvoir d’achat trop faible. Paris devient alors le lieu des « cadres bobos » et des populations pauvres exclues de toute mobilité. (Voir à ce sujet l’article paru dans La vie des idées)
Repenser le développement local et le territoire national
Qu’un espace ne produise pas beaucoup de croissance économique ne signifie pas qu’il ne se développe pas. Pour cela, il ne faut pas mesurer la compétitivité des territoires mais leur attractivité. Les revenus de l’économie résidentielle se sont essentiellement renforcés sous l’effet du vieillissement de la population, du développement de la mobilité et des loisirs. L’auteur critique donc la NEG qui ne tient compte que de la compétitivité. Il faut repenser le développement local car celui-ci manque de cohésion avec le territoire national. C’est le résultat de la décentralisation qui donne beaucoup de pouvoirs aux élus. Les élus locaux n’ont pas encore compris que ce n’est pas la valeur productrice qui importe (les emplois et la richesse créés) mais l’attractivité du territoire qui amène des revenus. Quand ce fait sera assimilé, ils feront tout pour empêcher l’implantation d’axes, d’usines qui apporteraient des nuisances et pénaliseraient l’environnement. Pourtant, pour que la richesse soit transférable, il faut qu’elle soit produite quelque part. C’est tout le paradoxe du système.
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