Massalia (Marseille)
Auteurs : Gilbert Bouchard, Jacques Martin Date de parution : 27/11/2013
Collection : Jacques Martin
Serie : Les Voyages d’Alix
Pages : 48
Prix : 12,90 €

Le traitement de l’actualité sous l’angle de faits divers plus ou moins sanglants fait souvent oublier que la ville de Marseille est riche d’un passé prestigieux. La publication de cet album des voyages d’Alix, dont le texte particulièrement dense est enrichi par des planches qui s’inscrivent dans la tradition du dessin de Jacques Martin vient donc à point nommé pour proposer à un public très large une autre vision de la cité phocéenne.

C’est la pression des perses de Cyrus II en 546 avant notre ère qui a contribué à ce que ce comptoir de commerce fondé en – 600 se développe. Cette cité étend peu à peu son influence comme en témoignent les premières frappes de monnaie et vers 400 av. J.-C., la fondation de la ville d’Agde, à quelques kilomètres de Béziers.
Les massaliotes s’engagent très tôt dans des explorations à longue distance et peuvent être considéré comme les maîtres d’œuvre de la première mondialisation.

C’est le cas d’Euthymènes, qui longe la côte africaine du Sénégal et du golfe de Guinée, après avoir passé les colonnes d’Hercule. I siècle plus tard, en 350 av. J.-C., Pythéas remonte vers le nord, découvre l’Islande le Groenland et s’approche du cercle polaire.

La première mondialisation

Massalia s’adapte parfaitement à l’expansion romaine et, après avoir subi la pression des gaulois, fournit des navires à Rome pendant les deux guerres puniques. Les marseillais font parfois de mauvais choix et lors des guerres civiles qui opposent César à Pompée choisissent ce dernier ce qui leur vaut d’être assiégés en 49 av. J.-C.
Sous l’empire Marseille poursuit son développement, même si elle constitue un enjeu dans l’affrontement entre l’empereur Constantin et son beau-père Maximien en 308 de notre ère. La cité ouverte sur l’extérieur semble précocement christianisée et le concile d’art en 314 en présence de l’évêque de Marseille montre l’importance de cette cité dans la diffusion de ce qui deviendra sous Théodose la religion de l’empire.
Les différents participants à l’écriture de cet album insistent largement sur le site exceptionnel de Marseille comme abri pour les navires dans une zone méditerranéenne qui n’est pas spécialement un calme. Massalia a pu rayonner au large de ses côtes, y compris en Corse, mais dans le même temps il conserve des liens avec la Grèce notamment en constituant un trésor dans le sanctuaire de Delphes.
La cité profite de l’affaiblissement des carthaginois après la guerre punique. Les massaliotes installent des comptoirs comme Antipolis ou Nikae, au détriment des populations locales, ce qui les conduit à mener des guerres fréquentes. Dans cet album on apprécie tout particulièrement les détails qui concernent la navigation antique et notamment la gestion du port avec des neoria, des sortes de loges couvertes qui servent à héberger les galères. Il s’agit de ce que l’on appelle aujourd’hui des cales sèches.

Ville innovante

Le port de Marseille est également régulièrement désenvasé grâce à des navires dotés de systèmes de drague à balancier qui porteront bien plus tard le nom évocateur de « Marie-Salope ». Les auteurs mettent en situation les découvertes nombreuses dans cette cité où le moindre coup de tractopelle met à jour une histoire multimillionnaire, en associant des photographies d’excellente facture d’objets retrouvés lors des fouilles et notamment dans les nécropoles. À la fin de la république et au début de l’empire, Marseille est également une cité universitaire ou l’aristocratie romaine peut envoyer ses enfants se perfectionner dans la culture grecque. Dans le même temps, de multiples métiers se développent, directement liés à la navigation mais également à l’arrière-pays comme la vigne le vin de Massallia est recommandé par les médecins, comme Gallien au deuxième siècle qui précisera sa prescription : « s’il n’y a pas de vin doux, on utilisera un vin léger et blanc, peu astringent, comme le falerne, le massaliote, le sabin, (…) N’ayant encore pris en vieillissant aucun goût piquant. »

Ville cosmopolite

Au niveau de la religion les marseillais réalisent une forme de syncrétisme qui associe Athéna, représentée assise à Massalia, mais aussi, avec les Romains, Artémis, sœur jumelle d’Apollon qui est, ce qui peut sembler étonnant, dieu de la mer et des marins pour les marseillais. Parmi les planches qui seront sans doute les plus utiles aux professeurs, on appréciera les dernières qui concernent les termes et les installations hydrauliques. Les Grecs avaient largement anticipé les installations plus sophistiquées des Romains, avec un système de baignoire individuelle qui est très contemporain. Comme les autres albums de la collection, celui-ci s’achève par des représentations de différents objets que l’on peut trouver dans les musées de Marseille, des musées qui sont présentés par leurs collections et une série de renseignements pratiques utiles aux visiteurs.
Le choix des éditions Casterman de s’appuyer sur un des auteurs de bandes dessinées parmi les plus prestigieux de l’école belge, dont l’œuvre a été poursuivie par plusieurs autres dessinateurs, nous apparaît pertinent, dès lors que le texte proposé et qui constitue l’essentiel de l’ouvrage est suffisamment précis et dans le même temps didactique. Cela n’a pas été le cas pour l’un des albums de cette collection qui a été présenté sur la Cliothèque, mais pour Massalia les auteurs semblent avoir fait un sans-faute. Mais l’auteur de ses lignes ne prétend pas être un spécialiste de l’histoire ancienne.

En guise de conclusion

Au passage, on insistera sur l’intérêt d’une réflexion plus globale sur les « dossiers » qui présentent les différents chapitres des cours d’histoire dans le second degré. Quels que soient les éditeurs ils présentent toujours les mêmes sites, la même iconographie, souvent lointaine, alors que l’étude de Marseille pour les élèves de la France méridionale, voire celle de la cité d’Agde pour ceux qui se situeraient de l’autre côté du Rhône serait tout à fait pertinente. Cet album pourrait incontestablement aider à cette mise à jour des manuels, numériques ou non, en resituant la part de découverte que peut représenter le cours d’histoire dans un environnement qui serait moins abstrait. Mais il est vrai que le « pilotage du système éducatif » préconisé par l’institution ne semble pas favoriser l’inventivité et la créativité. Il est clair que pour les années à venir, cet album qui peut parfaitement figurer dans les rayonnages des centres de documentation, dont il serait souhaitable qu’ils ne constituent plus seulement des « parcs à ordinateurs », mais des lieux où l’on accède au livre, pourrait servir aux professeurs qui se refusent à se comporter comme des « répéteurs de notices » et des « égréneurs de consignes ».

Bruno Modica