Gilles Antonowicz, avocat, porte son regard depuis une dizaine d’année sur l’histoire judiciaire contemporaine. Il a publié Défendre ! Jacques Isorni, l’avocat de tous les combats (2008) et plus récemment Mort d’un collabo (2013) et L’Enigme Pierre Pucheu (2018).

Il s’intéresse ici à Maurice Garçon, l’une des grandes figures du barreau de l’entre-deux-guerres, dont le journal couvrant la période 1939-1945 a été publié en 2015 chez le même éditeur. Né en 1889, avocat pendant plus de 50 ans, Maurice Garçon s’est construit une solide réputation dans les milieux littéraires et mondains. Les quatre procès présentés ici par Gilles Antonowicz éclairent cependant un autre aspect de la carrière de Maurice Garçon, celui des procès politiques qu’il a le plus souvent cherché à éviter. Ces quatre affaires ont en commun un contexte particulier, la Seconde Guerre mondiale, qui leur donne une dimension complexe et largement médiatisée. Leur mise en perspective, claire et bien documentée, permet de saisir les préoccupations et les angoisses d’une société bousculée par l’instabilité et la violence des événements.

Le premier procès présenté est celui de l’affaire Grynszpan, du nom d’un jeune juif d’origine allemande poursuivi pour avoir assassiné un diplomate à l’ambassade d’Allemagne à Paris en 1938. L’affaire est instrumentalisée par les nazis et entraîne, trois jours plus tard, la Nuit de Cristal. Goebbels entend faire du procès une tribune pour montrer le danger représenté par les juifs. Il fait solliciter Maurice Garçon qui hésite longuement, sentant la portée politique du procès et refusant de prendre la défense du régime nazi. S’il accepte finalement, c’est dans un souci d’apaisement entre les deux pays mais il exige pour la forme d’être nommé commis d’office. Néanmoins, la procédure est longue et ne prend pas la tournure espérée par les nazis. Le déclenchement de la guerre reporte le procès. Après de nombreuses péripéties, Herschel Grynszpan est probablement assassiné en Allemagne dans des circonstances troubles.

La deuxième affaire est celle dite des piqueuses d’Orsay (1942). Dans la panique de la débâcle de juin 1940, quatre infirmières injectent un produit létal à des malades intransportables avant de prendre le chemin de l’exode. L’une des personnes, présumée morte, se réveille miraculeusement, mais il y a six victimes en tout. Un temps étouffée, l’affaire éclate à la fin de l’année 1940 et le procès se déroule en 1942. Au-delà des faits, Maurice Garçon entend en faire le procès de la débâcle et présente les infirmières comme des victimes abandonnées à leur sort par des autorités défaillantes.

La troisième affaire est celle de l’exécution du docteur Guérin (1943), collaborationniste poitevin assassiné par cinq étudiants qui espèrent par ce geste intégrer les Francs-tireurs et partisans (FTP). Au terme d’un procès où Maurice Garçon parvient à leur éviter la peine de mort, le dossier est récupéré par la justice allemande qui juge le verdict trop clément et condamne à mort quatre des étudiants pour leur implication dans une autre affaire, celle du déraillement d’un train qui a tué son mécanicien, et auquel s’ajoute le vol à main armée d’une machine à écrire. Ils sont exécutés au Mont-Valérien tandis que le dernier étudiant rejoint le maquis.

La dernière affaire, probablement la plus complexe, concerne René Hardy, résistant accusé d’avoir livré à la Gestapo des informations qui auraient conduit à l’arrestation du général Delestraint, puis à celle de Jean Moulin. Le procès connaît de multiples rebondissements en raison de l’apparition de nouveaux éléments et du comportement ambivalent de l’accusé, finalement acquitté au terme d’un second procès en 1950.

Gilles Antonowicz nous offre une vision captivante de ces affaires qui débordent largement du strict cadre judiciaire. Elles nous révèlent le fonctionnement de l’institution judiciaire en temps de guerre, où l’idéal de justice est souvent relégué au profit de considérations politiques et où plane partout la présence de l’Allemagne nazie.