Mein Kampf, publié en 1925 et 1926 appartient au cercle noir des ouvrages sulfureux. Alors qu’il est récemment entré dans le domaine public et que sa réédition suscite de vives polémiques, Claude Quétel, historien et ancien directeur du Mémorial de Caen pose, dans son ouvrage, dix questions cardinales sur la genèse, le contenu de cette œuvre ainsi que son impact réel sur l’Allemagne du IIIe Reich, son accueil en France dans les 1930 et dans le monde. Cet ouvrage raconte l’étonnant et, surtout, l’inquiétant succès de Mein Kampf jusqu’à nos jours.
Qui, jusqu’à ces récentes dix dernières années, se préoccupait de Mein Kampf ? A vrai dire, pas grand monde hormis les spécialistes de la question. C’est tout juste si les médias avaient évoqué, le 8 Mai 2015, le 70e anniversaire de la capitulation sans condition du IIIe Reich. Tout semblait, alors, enseveli à jamais sous les décombres du nazisme et avec eux, la « bible du nazisme ». Or, à l’automne 2015, une nouvelle déchira le mur médiatique : Mein Kampf allait prochainement tomber dans le domaine public au 1er janvier 2016. Cela voulait-il dire que ce livre maudit portait encore des droits d’auteur ? Ces droits n’étaient-ils pas tombés du fait même de la mort de Hitler le 30 avril 1945 ? Eh bien non. Par une de ces pirouettes de l’Histoire, les Alliés avaient tout simplement transféré les droits d’auteur au Land de Bavière, au prétexte surréaliste que le domicile fiscal de Hitler n’était ni la Chancellerie, ni le Berghof mais son vaste appartement de Munich…Ainsi donc les droits avaient-ils continué à courrir bénéficiant de la protection littéraire que le Lande de Bavière ne se priva pas d’exercer, même si ce fut pour en prohiber les rééditions. Le gouvernement bavarois reste, après le 1er janvier 2016, détenteur d’un droit moral car celui-ci, à la différence du droit patrimonial, est imprescriptible. Cela concerne le droit au respect de l’œuvre, qui donne, aux ayant droits, la possibilité de défendre l’intégrité d’une œuvre et notamment de s’opposer à une adaptation défavorable. Qu’allait-il se passer ? A partir du 1er janvier 2016, n’importe quel éditeur allait-il pouvoir traduire et éditer Mein Kampf librement ? Sur Internet, en deux petits clics, la version française de Mein Kampf est intégralement accessible en version PDF. Or la publication d’un texte aussi violent, antisémite et belliciste, sans être assorti d’une critique ou d’un avertissement peut être assimilé en France à une incitation à la haine raciale et tombe sous le coup de la loi Pleven du 1er juillet 1972. Mais la jungle d’Internet bénéficie, pour l’heure, d’une extraordinaire impunité.
L’échéance du domaine public pour Mein Kampf agita le monde éditorial. Le Land de Bavière prit les devants et confia à un centre de recherche de Munich une édition critique du livre jusqu’alors interdit à la vente en Allemagne. Une entreprise identique se réalisa en France sous la conduite d’historiens. Cette annonce, en octobre 2015, déclencha une intense polémique. Le meneur de la France insoumise s’érigea contre ce projet d’édition critique. L’argument principal des opposants à une nouvelle édition papier de Mein Kamp réside dans la crainte que ne soient ainsi flattés les idéologies d’extrême droite et l’antisémitisme. Le livre conserve donc, à 70 ans d’intervalle, toute sa part vénéneuse. L’édition critique française ne va-t-elle pas, sous le vernis d’une maison d’édition respectable, ouvrir les portes du Mal ? Dans le camp du nom et sur un plan épistémologique, l’historien spécialiste du nazisme Johann Chapoutot affirme que « cette focalisation sur Mein Kampf a l’inconvénient d’encourager une lecture hitléro-centriste du nazisme ». Il ajoute que le seul intérêt d’une telle édition serait d’en montrer les faiblesses. Enfin, de façon plus prosaïques, nombreux sont celles et ceux qui, historiens ou non, se disent indignés à l’idée de voir Mein Kampf en tête de gondole chez les libraires. Les partisans du oui sont moins nombreux. Pierre Assouline en décembre 2011 dans la revue L’Histoire, réagissant à l’indignation d’un internaute objectait que cela fait des années que l’on se débarrasse du problème, en espérant que le temps le noiera dans les brumes d’un cerveau dont il n’aurait jamais dû sortir. L’historien, de nouveau interrogé dans Le Magazine littérraire sur la polémique qui faisait rage à l’automne 2015 persistait. « Même s’il n’est pas central dans l’édifiction, l’évolution et la compréhension du nazisme, ce pamphlet n’en est pas moins un document de premier ordre pour comprendre la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas le livre d’un malade mental, mais celui d’un agitateur habité par une projet politique nourri de l’amertume et de l’humiliation vécues par les Allemands à la suite du traité de Versailles ». Nombreux furent les historiens qui montèrent au créneau, comme Christian Ingrao (CNRS). De leur côté, les éditions Fayard qui s’apprêtait à publier Mein Kampf se proposaient de museler l’œuvre. En fait, c’est la doctrine de son interdiction qui révulsa certains historiens. Denis Peschanski parla d’une disposition régressive tandis qu’Henry Rousso renchérissait : « si l’on va au bout de la logique, où s’arrêtera-t-on ? On ne parlera plus de Vichy ? ». Après la tempête médiatique, les éditions Fayard adoptèrent une politique de discrétion. Les historiens qui travaillèrent sur le projet de Mein Kampf restèrent anonymes. Seul le traducteur Olivier Manoni, qui termina un travail de deux ans a bien voulu répondre à la presse : « Ce fut, confie ce traducteur de nombreux philosophe et écrivains allemands, un travail accablant que j’ai arrêté plusieurs fois et repris ensuite en pensant, par moments, que ne n’irais pas au bout. Accablant non pas pour ce que dit le texte, que je connais, mais davantage par l’épaisseur de la pensée de l’auteur qui agit comme une espèce de colle terrifiante. ». En attenant ce dinosaure éditorial de 2 000 pages, Claude Quétel avance qu’il faut cesser de parler de Mein Kampf comme si tout un chacun l’avait lu ou, à tout le moins, savais précisément ce qu’il contient. Précédé de son aura démoniaque, de ses interdits, le livre reste mystérieux à plus d’un titre. Son contenu est très difficile à lire tant de son indigence d’écriture que par son histoire éditoriale pleine de rebondissements.
Que dit Mein Kampf exactement ? Ramassis incohérent de pensées haineuses, à commencer par un antisémitisme omniprésent, ou authentique idéologie ? Qui est Hitler au moment où il écrit Mein Kampf et en est-il bien l’auteur ? Comment le livre est-il né ? Paru en deux tomes en 1925 – 1926, est-ce qu’il annonce les crimes à venir du IIIe Reich ? Quel fut, avant la guerre, le destin de Mein Kampf en tant qu’objet éditorial, en Allemagne d’abord mais aussi dans le reste du monde, à commencer par la France ? et faut-il croire les Allemands qui ont vécu sous le IIIe Reich quand ils affirment aujourd’hui qu’ils ne l’avaient pas lu ? Et qu’est devenu Mein Kampf depuis la fin de la guerre, jusqu’à aujourd’hui ? Quels sont les pays où on le lit encore et où on l’achète ? Et, surtout, on peut se demander ce que l’on doit faire de Mein Kampf, ce livre empoisonné ?
Bertrand Lamon
Pour les clionautes