La traduction de deux récits de voyages chinois du XVe siècle

L’épopée de l’explorateur chinois Zheng He est souvent mise en avant par le pouvoir chinois pour contrebalancer le récit de l’ouverture atlantique européenne du XV-XVIe siècle. Contrairement au journal de bord de Christophe Colomb, au récit de l’expédition de Magellan par Antonio Pigafetta ou à la relation des voyages de Vasco de Gama publiée par Chandeigne, les lecteurs francophones pouvaient être frustrés de ne pas pouvoir lire le récit de l’une des sept expéditions de Zheng He dans le Nord de l’Océan indien. En effet, dès le début de son règne, l’empereur Yongle soutient des expéditions vers l’Ouest, à la fois terrestres et maritimes.

Dans sa « bibliothèque chinoise », les Belles Lettres viennent de publier le récit de deux missions d’exploration du début du XVe siècle. Cette publication est bilingue : en chinois (page de gauche) et en français (page de droite).

Ancien pilote de ligne, Michel Didier avait longuement travaillé sur le voyageur Chen Cheng dans le cadre de sa thèse de doctorat (« Chen Cheng (1365-1457), ambassadeur des premiers empereurs Ming » sous la direction d’Anne Cheng). Elle a été publiée sous une forme remaniée en 2012, dans le numéro 11 de la bibliothèque de l’Inalco.

Les deux textes, agrémentés d’une longue préface, sont présentés et traduits par Michel Didier, décédé en 2020, peu de temps avant la dernière relecture de l’ouvrage. Dès les premières pages, l’éditeur remercie le sinologue Jean-Pierre Drège, pour avoir accepté de reprendre le manuscrit quasi-achevé.

Deux témoignages de première main

Le Mémoire sur les royaumes indigènes des terres d’Occident fut rédigé par Chen Cheng (1365-1457) au retour de sa première mission à travers l’Asie centrale jusque dans l’empire timouride de Chahrokh, fils de Tamerlan. Quant au Mémoire sur les royaumes indigènes des mers d’Occident, il rend compte de la dernière expédition maritime du célèbre amiral Zheng He (1371-1433), passant par l’Asie du Sud-Est et les côtes de l’Inde jusqu’à la Mer rouge.

Les Belles Lettres, 2022

Le 20 janvier 1416, le haut fonctionnaire Chen Cheng présente son « mémoire sur les royaumes indigènes des terres d’Occident » à l’empereur. Il décrit les villes et les royaumes observés lors de sa mission en Asie centrale. Partant de Suzhou dans l’actuel Gansu à proximité de la passe de Jiayu, Chen Cheng décrit son voyage vers l’Ouest et le trajet permettant d’atteindre la ville d’Hérat. En chemin, il passe par Tachkent, Boukhara, Samarcande, ou encore Balkh. Pour chacune, l’auteur situe la ville, évalue ses remparts et décrit les coutumes (fête, funérailles), les productions agricoles (thé), la faune et la flore, l’organisation de la ville, les lois et des traits de caractères qu’il a observés de la population. Pour les habitants de Samarcande par exemple, Chen Cheng précise que « les gens sont élégants et raffinés et leurs ouvrages témoignent de beaucoup d’adresse et de savoir-faire. On y trouve de l’or, de l’argent, du cuivre, du fer et des productions de tapis » (page 83). A chaque fois, son récit doit permettre à l’empereur d’envisager des échanges commerciaux, le montant des tributs demandés et les possibilités de prendre la ville en cas de conflit.

Ecrit en 1434, au retour de la septième expédition de l’eunuque Zheng He dans l’Océan indien par Gong Zhen, le « mémoire sur les royaumes indigènes des mers d’Occident » n’avait jamais été traduit dans une langue européenne. Sa relation de voyage contient les descriptions de vingt pays, « soit environ les deux tiers de ceux visités par Zheng Ge au cours de ses voyages » (page 133).

Cette relation de Gong Zhen sur les royaumes côtiers contient vingt description rédigées à la suite d’escales s’égrenant entre l’actuelle Asie du Sud-Est (Champa, Java, Sumatra, Thaïlande, Malacca, Sumatra), le Sri Lanka, les côtés de l’Inde (Bengale, Calicut, les îles Maldives), la péninsule Arabique et le golfe Persique (Ormuz, Aden, Zufar), et la mer Rouge (La Mecque).

Mémoire sur les Royaumes indigènes des mers d’Occident, Les Belles Lettres, 2022, page 14

Le style de l’auteur est normé pour tenir compte des exigences de l’empereur et similaire d’étapes en étapes. A propos de l’Etat de Nagur, Gong Zhen écrit :

  1. Nagur est un petit État situé au nord-ouest du royaume de Sumendala. Peu étendu, il se limite à un gros village de montagne peuplé d’un millier de familles. Son territoire et celui de Sumendala sont contigus.
  2. Tous les hommes portent sur le visage la marque d’une fleur bleutée tricuspide, ce qui vaut à leur roi d’être aussi appelé le roi des faces tatouées.
  3. Les champs sont rares et les habitants nombreux. Ils vivent de l’agriculture. Les céréales sont peu nombreuses : on y trouve porcs, chèvres, poules et canards.
  4. La langue et les usages sont en tout point identique à ceux du royaume de Sumendala.

On y produit rien d’autre.

Mémoire sur les Royaumes indigènes des mers d’Occident, Les Belles Lettres, 2022, page 267

 

Source : Extrait tiré du livre « Mémoire sur les royaumes indigènes des terres d’Occident » publié par les Belles Lettres, 2022, pages 55-56

Le second récit écrit par Gong Zhen pourrait être mobilisé dans le cadre d’une séance sur l’ouverture atlantique en classe de seconde. L’objectif serait ainsi décentrer le regard à propos des expéditions maritimes européennes et de souligner les relations maritimes anciennes entre la Chine et l’Afrique de l’Est, l’Asie du Sud, le monde musulman et l’Asie du Sud-Est.

L’objectif de la « Bibliothèque chinoise » éditée par les Belles Lettres est « d’offrir au lecteur non sinophone une entrée de plain-pied dans les ouvrages les plus représentatifs de l’immense production écrite qui caractérise la culture chinoise depuis Confucius (-554/-479) » (rabat intérieur de la couverture). Grâce à une édition minutieuse, une mise en page qui permet de confronter le texte original avec sa traduction en français, et par la profusion des notes de bas de page, le pari est tenu.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes