Cet ouvrage, traduit de l’anglais, livre donc en un peu plus de 300 pages de multiples pistes et fait cette passerelle parfois si difficile entre la théorie et la pratique. Organisé en huit chapitres, chacun se termine par un paragraphe qui récapitule l’essentiel. Il propose 25 pages de notes pour ceux qui veulent aller plus loin, ainsi qu’une petite bibliographie. On notera aussi l’index très pratique lorsque l’on cherche une notion précise. Les idées essentielles apparaissent clairement sous forme d’italique.
Une rencontre difficile
Dans la préface, Elena Pasquinelli pointe les difficultés de la rencontre entre les sciences cognitives et l’enseignement. Parmi elles, on peut citer la question de la pertinence des informations et des outils échangés entre la recherche et le terrain, ou encore le fait qu’il faut accepter de débattre de nos intuitions pédagogiques pour voir si elles sont vraiment étayées par les résultats de la recherche. Un des crédos de cet ouvrage est de montrer qu’on peut améliorer ses capacités, même si le cerveau n’est pas un muscle. En effet, on peut adopter, ou non, de bonnes stratégies et attitudes face à l’apprentissage.
Une mise en récit originale
Les auteurs ont choisi de partir de cas très concrets, d’histoires, pour aller vers la théorie. On abordera par exemple la question des méthodes de travail par le cas d’un entraineur de football américain. L’utilisation d’histoires dans des domaines parfois très éloignés de l’école pourrait faire croire que les conclusions ne seront pas utiles, or c’est tout le contraire ! Il faut souligner cet effort qui rend la lecture du livre très agréable. Il n’y en a pas moins d’exigences scientifiques car, petit à petit dans une partie, on progresse vers de la formalisation sans que cela ne soit jamais abscons ou artificiel. Les auteurs font la synthèse de nombreux travaux et ont choisi aussi d’appliquer à leur écriture deux principes auxquels ils croient profondément, à savoir la répétition espacée des idées clés, et l’entremêlement de sujets distincts mais liés. Ils formulent aussi leurs principales affirmations dès le départ pour que les choses soient claires.
De la difficulté d’apprendre
Peter C Brown, Henry L Roediger et Mark A McDaniel se proposent de réexaminer les nombreuses croyances sur le sujet. Ils ne croient pas, par exemple, qu’on apprend mieux si l’enseignement est adapté à son style, visuel, auditif et d’ailleurs aucune étude ne le prouve. Comme ils le montrent à travers différentes expériences menées, nous croyons parfois déployer de bonnes stratégies pour apprendre mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, lire et relire son cours peut donner l’illusion qu’on le possède bien, alors qu’en réalité c’est une impression. Il est beaucoup plus profitable de relire un texte si un temps suffisant s’est écoulé depuis la dernière lecture. Les auteurs insistent aussi sur la nécessité d’évaluer avant la réalisation finale. Ils citent des cas concrets d’expérimentation avec des résultats probants : des résultats meilleurs lorsque des évaluations formatives intermédiaires ont eu lieu et un ressenti positif de la part des apprenants. Ils évoquent également le feed back et ses modalités.
Diversifier son travail et affronter les difficultés
Parmi les mythes à déconstruire, les auteurs s’attaquent ensuite au mythe du bûchage. Le travail massé, ou intensif, ne donne pas de bons résultats et pourtant on continue à l’utiliser et à y croire. « Les études montrent de manière univoque qu’un travail d’apprentissage alterné est bien plus efficace pour l’acquisition et la maitrise sur le long terme qu’un travail d’apprentissage intensif. » On voit ici clairement le parti pris annoncé qui consiste à creuser peu à peu le sillon d’une idée précédemment évoquée.
Le livre aborde la notion de « difficultés souhaitables », ces handicaps à court terme qui favorisent un apprentissage plus solide. Ils font comprendre l’idée à travers l’exemple de parachutistes à l’entrainement. C’est l’occasion alors d’expliquer comment se passe techniquement le processus d’apprentissage. On lira surtout de très utiles remarques et études sur la façon de considérer l’erreur.
Eviter les illusions de savoir et dépasser les styles d’apprentissage
Le modèle de Dunning et Kruger ont montré que les gens incompétents pouvaient apprendre à progresser en apprenant à juger plus précisément leur propre niveau. Les auteurs reviennent sur le testing et sur « le travail de récupération pour vérifier ce que l’on sait vraiment par opposition à ce que l’on croit savoir ». Ils évoquent aussi les bénéfices de l’enseignement aux camarades. La question de l’intelligence et de sa mesure surgit alors et c’est l’occasion pour les auteurs de présenter les travaux d’Howard Gardner sur les intelligences multiples. Ils prolongent avec l’approche de Robert Stenberg qui parle plutôt de trois profils avec une intelligence analytique, pratique ou créative.
Améliorer ses capacités
Dans ce chapitre, le lecteur trouve un très utile résumé de ce que nous disent les neurosciences et dont on doit tenir compte. Parmi les éléments à retenir, il y a d’abord la plasticité du cerveau, puis ils reviennent sur la question du QI de l’entrainement cérébral. Reprenant les travaux de Dweck et d’autres, ils soulignent que « plus que le QI, c’est la discipline personnelle le désir et une motivation positive qui seront source chez une personne tout à la fois du sens des possibles, de la créativité et de la perséverance indispensables pour appréhender des apprentissages plus complexes et réussir ». Les auteurs font ensuite le point sur la question de la mémoire, des moyens mnémotechniques et l’importance des images pour retenir des informations.
Mets-toi ça dans la tête !
Ce chapitre est en quelque sorte un résumé des précédents, et pour se différencier d’une simple compilation, il aborde la question sous l’angle des profils d’apprenants : élève ou étudiant, enseignant, formateur, en axant sur les conseils principaux pour chaque catégorie sans qu’ils soient exclusifs de la catégorie citée. Là aussi les conseils sont appuyés d’exemples réalisés comme celui de Michaël Young, ce désormais brillant étudiant en médecine qui au départ ne semblait pas le mieux armé pour réussir.
Au final, voici un livre que chaque enseignant devrait lire. Parmi ses mérites, il y a d’abord le fait de ne pas être jargonnant alors qu’il évoque des travaux de recherche. De plus, au-delà de l’approche par matière, il permet à l’enseignant de réfléchir à ses pratiques et de les questionner. Un ouvrage à fortement conseiller et qui donne envie d’approfondir certaines des thématiques soulevées comme l’importance de l’évaluation formative ou encore le statut de l’erreur.
(c ) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.