Les éditions Retz proposent un nouvel opus de la très intéressante collection « Mythes et réalités » dont plusieurs titres ont déjà été chroniqués sur le site comme « L’intelligence » en 2018 ou « L’origine sociale des élèves » en 2019. L’ouvrage dont il est ici question est le fruit du collectif « Didactique pour enseigner » qui réunit une quarantaine de professionnels de l’éducation à des titres divers (enseignants, formateurs, chercheurs …). Dès l’introduction, les auteurs précisent plusieurs de leurs convictions. Ainsi, ils souhaitent s’inscrire en faux contre deux conceptions : la première que le métier de professeur ne s’apprendrait pas mais serait en quelque sorte inné, la seconde qui voudrait que connaitre ce qui est à enseigner suffirait pour enseigner. De façon globale, le livre entend se méfier de tous les dualismes, et notamment du redoutable qui tend à opposer théorie et pratique. Neuf idées sont passées au crible et, comme à chaque fois, elles sont reprises et résumées de façon très synthétique à la fin de l’ouvrage.
Une structure en quatre temps
Le livre est structuré de la façon suivante : la présentation du thème, une synthèse des travaux existant, la description d’un ou plusieurs exemples et enfin un répertoire d’orientations pour l’action. Précisons ce que les auteurs entendent par cette dernière expression : ce sont des hypothèses de travail et même, pour être plus juste, des hypothèses à travailler. On trouve d’ailleurs un lien vers un blog car ce livre voudrait permettre d’initier un dialogue ou de prolonger la discussion. Les neuf idées abordées sont variées et essentielles. On peut citer pêle-mêle « Il faut différencier ! », « Maitriser les savoirs suffit pour enseigner » ou encore « Les élèves ne peuvent pas apprendre s’ils n’ont pas les bases ». Comme à chaque fois dans cette collection, les propos des auteurs s’appuient sur des articles de recherche qui ne sont pas toujours facilement accessibles. C’est notamment ce genre d’apports qui constitue un des plus de cette collection.
Evaluer, c’est mesurer les progrès des élèves
L’article rappelle d’abord combien l’évaluation n’est pas une science exacte. Il est donc nécessaire de repenser l’évaluation pour aller vers ce que les auteurs appellent la « valuation ». Par ce terme il faut comprendre qu’au-delà d’un contrôle, un dialogue doit s’établir entre le professeur et l’élève. C’est en quelque sorte une démarche plus formative et le chapitre propose des exemples avec notamment un exercice progressif d’écriture au cours préparatoire.
Il faut différencier !
Si on entend souvent cette injonction, force est de constater que le terme peine à avoir une définition stabilisée. L’article s’appuie notamment sur la conférence du CNESCO et souligne que l’on peut différencier avant, pendant ou après. Il faut cependant agir avec prudence car si différencier signifie donner un texte à lire moins compliqué, cela ne fait que creuser les différences entre les élèves. Il est utile de réfléchir à la différenciation en terme de production de la part des élèves. Pour bien différencier, il faut surtout avoir bien cerné ce qui doit être maitrisé par les élèves.
Formes d’enseignement et attention
Le débat est ancien entre les deux conceptions sans être exempt parfois d’idéologie. Que peut-on en retenir ? Un enseignement constructiviste fonctionne si le professeur consacre une part importante du temps aux interactions. L’élève doit comprendre clairement ce qu’il doit accomplir, ce qui ne signifie pas forcément que le professeur explicite tout. On ne pourra que souscrire au point de vue des auteurs quand ils invitent à utiliser un « éventail de stratégies ». Il faut « faire vivre des dispositifs dont la première fonction est de faire comprendre ». Un autre article revient sur l’idée que pour enseigner, il faut obtenir l’attention des élèves. Le constat part du fait qu’aujourd’hui les jeunes sont soumis à de multiples stimulations. Pour autant, l’article insiste sur le fait qu’ « il ne suffit pas de penser les mécanismes neurologiques de l’attention pour obtenir celle des élèves ».
Qu’est-ce qu’enseigner ?
Plusieurs entrées sont consacrées au métier en tant que tel. Le chapitre 5 se demande ainsi si « maitriser les savoirs suffit pour enseigner ». Il s’agit là d’une idée qu’on entend et qui fait s’affronter les valeurs et les savoirs. Pourtant, le bon professeur est celui qui maitrise le savoir à enseigner et qui, ensuite, réfléchit à la manière d’organiser son enseignement. Le chapitre 6 se focalise sur la question du programme. Le point central de la réflexion est de dire qu’il faudrait passer de ce problème des programmes à un programme de problèmes, c’est-à-dire que les élèves aient le temps d’expérimenter et d’apprendre. Le travail de l’élève devrait être dès que possible un travail d’enquête.
Les élèves ne peuvent apprendre s’ils n’ont pas « les bases »
Les auteurs soulignent ce que cache cette idée de bases : cela révèle une certaine conception de l’enseignement vu comme un empilement. En partant d’exemples concrets liés aux sciences, on se rend compte que la tension est plutôt entre un savoir déjà là et un savoir à construire. Les auteurs précisent trois pistes à explorer : travailler à partir de ce qui « résiste », reprendre l’ancien dans le nouveau et se demander s’il n’est pas judicieux de repenser la situation quand l’élève échoue.
A l’école, on n’apprend pas en imitant
L’idée de jeu d’imitation consiste à envisager les situations d’imitation comme un moyen pour le professeur et les élèves « de (faire) comprendre ce qu’il y a à imiter, reproduire, répéter ». Imiter, ce n’est pas seulement reproduire mais également re-produire c’est-à-dire s’engager dans quelque chose qui nous était inconnu au départ.
Pour mieux enseigner il faut s’appuyer sur les résultats de la recherche
On revient ici sur un couple infernal, à savoir le terrain et la recherche, et sur qui influence qui. Les résultats de la recherche doivent être communiqués pour être utiles. Ainsi, les travaux sur les effets néfastes du redoublement n’ont pas été accompagnés d’une communication efficace en direction du terrain. Ils ont donc eu beaucoup de mal passer et le quasi abandon du redoublement a même été vécu par certains comme une dépossession de leurs prérogatives. Une solution qui semble de bon sens est d’aller vers des travaux menés par des collectifs et ce livre est un exemple de ce type de collaboration. Les auteurs plaident pour une coopération plutôt qu’une collaboration car la coopération c’est un « processus de partage et d’élaboration des connaissances communes ». Ils en appellent à la mise en place d’ingénieries didactiques coopératives.
En conclusion, les auteurs insistent et disent que les savoirs exogènes à la pratique sont utiles mais qu’ils ne peuvent avoir en aucune façon « la prééminence, ils sont les servants de la pratique ». Il faut aussi se méfier de l’idée de preuves en pédagogie.
On apprécie vraiment dans l’ouvrage le tissage permanent qui est fait entre la recherche et des exemples concrets. En ce sens, ce livre remplit complètement le cahier des charges évoqué en introduction en proposant une réflexion qui évite de basculer dans des visions binaires.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes