Yann Bouvier, professeur d’Histoire Géographie, s’est fait connaître tout d’abord par son activité sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Tiktok, Youtube… et par son site « Objectif Bac » où il a toujours eu le souci de partager son travail, ses séances de cours pour éclairer les collègues curieux d’autres pratiques et accompagner ses élèves. Il milite aussi ardemment à travers ces plateformes numériques prisées par les jeunes (mais pas que…) pour « débunker » les fake news ou les fausses polémiques en lien avec des faits historiques qu’on peut y retrouver en s’appuyant sur des recherches et des démarches de professionnels de l’Histoire (la mort d’Hitler, les paroles de chansons dans la Pop Culture, une Tour Eiffel algérienne, la main sur la ventre de Napoléon… ?). On ne pourra que saluer son travail au service du bien commun et de l’esprit critique, toujours réalisé avec rigueur et non pas dans le but de faire le « buzz » sur les réseaux, dont il maîtrise par ailleurs très bien les codes de visibilité et les rouages.

Véritable hyperactif et passionné, on le retrouve ici dans un projet d’écriture de Bande dessinée, après s’être investi dans le domaine de la vidéo.

Microcosmes, a pour ambition de mettre sur le devant de la scène des hommes et des femmes (car oui, on retrouve le souci d’une certaine parité dans les personnages présentés) réels qui ont vécu des pans de l’histoire de France sans en être des acteurs majeurs. Les grandes périodes de l’histoire de France y sont traitées chronologiquement par de petits récits biographiques, entrecoupés de pages d’entr’actes sur les grands courants historiographiques expliqués :

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Une démarche microhistorique galvaudée ou renouvelée ?

Le lien avec les courants dès la fin du XXe siècle de la microhistoire ou de l’histoire sociale semble évident par le titre et la 4ème de couverture. La préface est d’Alain Corbin, spécialiste de l’histoire des sensibilités, ce qui permet d’apporter une certaine crédibilité à l’ouvrage pour tout historien qui commencerait la lecture avec une certain a prori de vulgarisation trop grande. La démarche est bien expliquée par l’auteur et les recherches documentaires pour représenter les réalités physiques, vestimentaires, de décors, de langages de chaque époque sont très poussées. Yann a le souci du détail et de la vérité. Tout est sourcé, annoté, pour permettre d’aller plus loin en cas d’incompréhension ou d’intérêt plus profond.

On peut s’interroger cependant sur la part donnée à l’explication de la « grande histoire » à travers l’histoire de vie de ces personnages moins connus et leurs intellects/milieux individuels. J’aurais trouvé intéressant de développer la vision subjective des individus choisis sur leur temps, leurs paroles rapportées, leurs visions de l’histoire qui se déroule sous leurs yeux. Que comprenaient-ils des évènements et des décisions politiques prises autour d’eux, sans que l’auteur leur ait apporter les éclairages historiques futurs ?

L’auteur s’adresse à un public qui ne maîtrise pas forcément les grands jalons et se doit de les lui rappeler pour être compréhensible et justifier le choix de ces personnages, d’autant plus que le format oblige la synthèse. Ce n’était pas un exercice facile et Yann a fait le choix de ne pas négliger le rappel des évènements importants de chaque siècle pour remettre dans le contexte ses personnages. Et les cases dédiées à l’histoire évènementielle, aux grandes figures et aux « petites » sont finalement bien équilibrées pour ne pas trop ombrager le projet initial.

L’autre avantage de l’approche microhistorique est qu’elle permet ici d’apporter des connaissances neuves et de déconstruire des « idées reçues » sur une histoire unique, de masse, enseignée avec les mêmes anecdotes fausses depuis un siècle.

 

Un ouvrage accessible et marquant pour la jeunesse ?

On voit difficilement un adolescent se plonger de plein gré dans cette bande dessinée et y accrocher. Surtout un collégien. Le public ciblé est majoritairement enseignant et pour une exploitation enseignante. La publication de cet ouvrage semble répondre à cette sempiternelle question posée au professeur : comment rendre attractive l’Histoire ? Face aux médiums du roman ou du jeu-vidéo, avec quelles qualités la « classe illustrée » de Microcosmes permet au jeune public d’appréhender notre discipline ? L’attrait des jeunes pour l’histoire se fait aussi, et on le voit dans nos classes, par l’aventure, la description mêlée de sentiments, d’identité, l’activité, l’interactivité, et pas seulement par une démarche volontairement apprenante. Certes ici, des illustrations fidèles permettent de plus visualiser l’époque pour le lecteur. Mais le renvoit à la classe de M. Bouvier, à ses travaux, empêche parfois le lecteur de s’évader dans une histoire racontée.

Le parti pris graphique des dessins d’Eloi Chevalier, et les dimensions de l’ouvrage (près de 200 pages d’illustrations) sont loin du rendu de bandes dessinées à destination d’apprentis historiens telles que les Alix de Jacques Martin, ou des romans graphiques d’Art Spiegelman comme Maus. Notons que les infographies (cf. l’organisation de la monarchie absolue sous Louis XIV,p.77), les cartes, les fresques… réalisées par Eloi Chevalier sont très didactiques et le point fort du dessinateur.

 

Un usage pédagogique et scolaire certain

Cette BD est à acquérir par tous les CDI, au moins lycéens, dans une démarche accompagnée par l’enseignant. Les raisons ?

  • Elle explique de façon très claire et synthétique dans vos documents utilisés en classe ou des exposés réalisés par les élèves des courants historiographiques et permet de décentrer la vision des professeurs et des élèves d’une histoire unique. Les pages « entr’acte » sont plus accessibles qu’un texte théorique jargonneux de la discipline, notamment quand il s’agit d’expliquer ce qu’est « l’Histoire » en introduction de l’année de Première HGGSP.
  • Chaque période historique traitée peut clairement faire écho et compléter un cours de l’année en Collège ou Lycée. Les notions définies en bas et haut de page et réinvesties dans les dialogues sont celles que l’on voit avec les élèves. Je recommande la lecture par un élève d’un chapitre en DM facultatif ou supplémentaire, afin de réinvestir les connaissances de la leçon, d’amener à la lecture, d’exposer à ses camarades le parcours d’un personnage méconnu dont ils maîtrise déjà le contexte.