En 1729, des colons français installés près de la Nouvelle-Orléans sont massacrés par les Natchez. La riposte a conduit à leur presque disparition. Dans cet ouvrage Gilles Havard tente d’éclairer ce drame.

Gilles Havard, chargé de recherche au CNRS, associé aux travaux de l’Université de l’Indiana et de l’Université Laval de Québec. il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de la Nouvelle-France Histoire de l’Amérique française, Gilles Havard, Cécile Vidal, Flammarion, collection champs histoire, 2019, (première audition 2003) et Histoire des coureurs de bois : Amérique du Nord 1600-1840, Les Indes savantes, 2016 (réed. Perrin, Tempus, 2021); Empire et métissages, Indiens et Français dans le Pays d’en Haut 1660-1715, Québec, Éditions du Septentrion, 2017 ; L’Amérique fantôme – Les aventuriers francophones du Nouveau Monde, Flammarion, 2019.

 

L’ouvrage s’ouvre sur le portrait d’un chef natchez en 2022, ce peuple immortalisé en France, au XIXe siècle, par Chateaubriand et dont la mémoire est connue en Amérique du Nord.

L’énigme

L’introduction rappelle le massacre d’un groupe de colons français, le 28 novembre 1729 par des guerriers natchez avec lesquels ils vivaient jusqu’ici en bonne intelligence sur les rives du Mississippi. Ce geste soudain n’a pas été compris à l’époque. Il marque une rupture dans les relations entre les Natchez et les Français.

L’auteur replace l’événement dans l’histoire de l’expansion européenne, des XVIIe et XVIIIe siècles. Il cite quelques tueries comparables.

En utilisant l’anthropologie, l’auteur veut relire cet épisode des relations franco-amérindiennes. Il rappelle le contexte culturel de l’écriture des romans de Chateaubriand, Atala, René et Les NatchezAtala et René sont des épisodes détachés des Natchez, écrits par Chateaubriand pendant son exil londonien. C’est un roman : le héros René est accueilli chez les Natchez, par le vieux Chactas qui dans Atala lui raconte ses aventures, René sera assassiné par un Natchez..

Il présente son enquête pour retracer l’univers mental des Européens du XVIIIe siècle et pour reconstituer le point du vue amérindien grâce à l’ethnohistoire.

La rupture d’une alliance 1699-1729

Panique à la Nouvelle-Orléans

Le récit débute avec l’annonce à la Nouvelle-Orléans, fondée dix ans plus tôt, de la nouvelle de l’attaque. L’auteur a, en effet, choisi de raconter avec beaucoup de détails l’ambiance, les personnages, les événements, sans pour autant abandonner une rigueur scientifique qui donne lieu à de nombreuses et précieuses notes (p. 443 à 541). La sidération s’empare des responsables comme des habitants de la colonie, puisqu’on est en paix avec les divers peuplesCarte p. 48

La Louisiane, au début du XVIIIe siècle, compte moins de 5 000 habitants européens et esclaves africains. Ce sont des engagés par la Compagnie des Indes, des Rhénans, des forçats et des filles de la SalpêtrièreImmortalisées dans le roman de l’abbé Prévost Manon Lescaut, une population bigarrée, incertaine de son sort. Le poste de Natchez est le plus important établissement blanc après La Nouvelle-Orléans, à trois semaines de navigation, sur le fleuve, vers le Nord, un poste dispersé dans la campagne amérindienne.

Les colons craignent la fuite des esclaves noirs vers les villages indiens. La volonté d’éviter tout rapprochement entre les autochtones et les Noirs était clairement affichée. L’auteur décrit même une « psychose collective » (p. 57).

Les Chaouacha, installés depuis 1718, sont attaqués le 8 décembre 1729, quelques jours après le massacre des Natchez, par des esclaves noirs, encadrés par un Européen. Ils viennent d’une concession proche de leur village. Cette expédition punitive vise à mettre dos-à-dos les esclaves noirs et les Amérindiens. Elle est soutenue par les autorités de la colonie, mais désapprouvée à Paris.

Connaître les Natchez

Pour comprendre la massacre, il faut « s’immerger autant que faire se peut, dans la société natchez » (p. 63) à partir des écrits de deux témoins Dumont de Montigny et Le Page de Pratz qui, tous deux, ont vécu proche des Natchez.

L’auteur rappelle le contexte intellectuel de la France du XVIIIe siècle et montre l’intérêt pour le « bon sauvage » qui est tantôt un Huron du Canada, tantôt un Natchez de Louisiane. Il présente les témoignages occidentaux les concernant et leurs limites.

Les Natchez, sans doute environ 4 000 en 1699, 30 000 50 ans plus tôt, ont vu leur population décimée par le choc microbien. Ils sont présentés comme doux, civilisés, mais on leur reproche une grande permissivité sexuelle et le sacrifice des proches et des serviteurs au décès d’un chef.

Gilles Havard compare les descriptions et le récit des deux grands témoins du massacre, deux rivaux de plume, qu’il présente longuement.

Le « Grand Soleil » un roi sacré ?

C’est une question importante, qu’est-ce que les contemporains ont compris ? Comment leur référentiel de la monarchie absolue apparaît dans leur témoignage ?

Ce rapport au chef est une des clés de compréhension des événements. L’auteur, partant de la rencontre entre les Français et le chef des Natchez, en 1700, rapportée par Pierre Le Moyne d’Iberville, tente de définir le statut du chef, sa place dans la hiérarchie sociale. Les rituels ostentatoires, qui l’entourent, ont été perçus, par les Occidentaux, comme une expression de l’absolutisme. Pourtant, sa sœur, « Femme-Chef » serait plus puissante que le « Grand Soleil ». On peut sans doute parler de gouvernance duelle qui délègue au chef de guerre, le « Serpent Piqué », les relations avec les Français. Le « Grand Soleil » était plutôt un chef-prêtre dont la demeure est appelée, par les chroniqueurs français, le temple. La société repose sur un équilibre entre le politique et le religieux. Le feu était la représentation d’un dieu solaire. Le chef est alors un intermédiaire entre le peuple et le dieu et il est soumis à des rituels stricts.

La société dualiste se manifeste lors de la fête du maïs. Un jeu de balle oppose le camp du Soleil en blanc au camp de la guerre en rouge, les « Soleils » et les « Puants ». Les blancs représentent une aristocratie, le camp céleste face aux « Puants » qui représentent la terre, l’eau et la pourriture.

Si les mariages se faisaient entre les deux camps, il n’y avait pas d’élévation sociale. L’époux « Puant » d’une femme « Blanche » reste un « Puant ». Seuls des guerriers valeureux peuvent accéder au camp blanc. Un « Puant » peut aussi changer de statut si, lors de la mort d’un chef, il sacrifie l’un de ses enfants.

Cette réalité donne l’occasion d’une réflexion sur le sens de la guerre chez les Natchez, et ses rituels, notamment la pratique du scalp.

La description du sacrifice mortuaire, la marche des cadavres, permet de la rapprocher de telles pratiques plus connues comme celles des Aztèques, des Mayas ou de l’ancienne cité de CahokiaDans l’actuel d’État d’Illinois : Cette cité amérindienne, abandonnée au 14e siècle fascine les archéologues. De façon certaine, certains peuples, dont les Natchez, ont pratiqué la mise à mort de plusieurs hommes, femmes ou enfants, de son entourage, à la mort d’un chef. On parle de « morts d’accompagnement ». Ces meurtres rituels sont rapportés en détail par différentes sources françaises, dont Penicaut« Relation, ou annale veritable de ce qui s’est passé dans le païs de la Louisiane pendant vingt-deux années consecutifes… ».

C’est une forme de maintien de la relation du mort avec son entourage.

Une histoire de voisinage

Cette partie est consacrée à la cohabitation entre les communautés amérindiennes et les postes coloniaux.

Au début du XVIIIe siècle, la communauté natchez est constituée en sous-groupes, villages alliés qui connaissent parfois des rivalités comme en atteste la mésaventure de quatre voyageurs français et les représailles qui opposèrent certains agresseurs natchez à d’autres natchez, alliés des Français. La crise se termine par un calumet en août 1716.

L’auteur, suivant les écrits de Dumont de Montigny, décrit les installations des colons, en 1721, au poste des Natchez, à proximité du « grand village des sauvages » et du fort Rosalie construit au moment de l’accord de 1716Carte p. 135. Les colons cultivent le tabac, grâce à leurs esclaves noirs achetés à La Nouvelle-Orléans. Des échanges de biens entre le poste, les concessions, le fort et le « grand village » créent des relations de voisinage mais aussi des situations d’incompréhension interculturelle, en particulier à propos de la cession de terres à un colon.

Le déroulement des fêtes autochtones montre que les Français sont placés du côté des nobles et non parmi les « Puants ». L’auteur évoque les fréquentations sexuelles entre les deux communautés. Quelques mariages, avec enfants font, de fait, entrer les Français dans la communauté natchez.

En 1722 et 1723 on constate des brèches dans l’alliance. L’étude cette tension permet de comprendre le mécanisme qui conduit au massacre.

Le conflit part d’un troc en octobre 1722 qui finit avec morts d’hommes de part et d’autre. Après un retour au calme précaire, des vols de chevaux se multiplient au printemps 1723, gestes de démonstration de jeunes guerriers désireux de se montrer. Dans ce contexte, l’auteur évoque la possible influence de colons anglais de Caroline du Sud. Partie de La Nouvelle-Orléans, une colonne militaire attaque, le 23 octobre 1723, le village mutin de la Pomme. Le schéma est identique à celui de l’incident de 1716. Un mois plus tard, la libération des Natchez prisonniers semble régler l’affaire. Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, gouverneur de Louisiane fume le calumet avec le « Serpent Piqué ».

La mort du « Serpent Piqué » en 1725 risque de déstabiliser les relations franco-natchez. Les Français sont conscients de l’importance du personnage. L’auteur reprend longuement le témoignage de Le page sur le sacrifice de ses proches. Sa mort est susceptible d’entraîner un sacrifice à grande échelle.

Durant cette période, le poste des Natchez se développe alors que le fort est, lui, en mauvais état selon la description de Dumont, lors de son séjour entre juin 1727 et janvier 1729. Il est commandé par le capitaine Dechepare, un Basque irascible tandis que le « Grand Soleil » vient de mourir au « grand village ». Malgré des rumeurs, les colons semblent insouciants.

La mort contagieuse 28 novembre 1729

Meurtres et captivités

Ce chapitre est consacré à ce massacre soigneusement préparé

La tuerie

Le récit fait par les femmes épargnées permet de reconstituer les faits.

Les Natchez s’en sont pris aux hommes, aux guerriers, au fort mais aussi sur les concessions, avec un rituel d’offrandes. Il ne s’agit pas d’attaques contre des ennemis. Si quelques Français et des esclaves s’échappent, le massacre fait environ 200 victimes. Les dépouilles sont déposées en cercle selon un plan précis qui permet de rattacher la tuerie aux rituels de « mort d’accompagnement » ou à un simulacre de chasse.

Captives

Des femmes et des enfants ont été capturés, quelques uns tués. L’auteur évoque, grâce à des témoignages, les occupations domestiques auxquelles elles sont soumises. En tant que servantes, elles peuvent être soumises à la mort rituelle. Pour certains esclaves noirs, la tuerie est l’occasion de se venger ou de fuir.

Autopsie du coup

L’analyse de l’événement s’appuie sur le vocabulaire employé par les auteurs de l’époque. Elle permet de saisir l’imaginaire français du massacre et l’emploi de ce mot depuis le Moyen Age.

L’analyse porte aussi sur les mots de révolte et de rébellion, qui renvoient aux émeutes populaires. Dans le monde colonial, c’est la crainte d’une révolte générale des Amérindiens.

Le récit fait par les chroniqueurs font du capitaine Dechepare, un coupable idéal, en l’absence de figure amérindienne qui aurait été à l’origine du massacre. Les Natchez viennent de perdre, en peu de temps deux chefs, le « Grand Soleil » et le « Serpent Piqué ».

Les contemporains font porter la responsabilité sur le commandant du fort, accusé d’incompétence. Il aurait tenté de s’accaparer des terres du village de la Pomme. L’analyse des écrits du XVIIIe siècle montre que certains se saisissent de l’événement pour exprimer à la fois un anti-esclavagisme et une remise en cause de la colonisation. Dechepare est présenté comme l’antithèse du « bon commandant, ami des Indiens ».

Gilles Havard émet l’hypothèse d’une tentative de Dechepare de s’arroger les prérogatives du chef, ce qui montrerait une forme d’intégration des deux cultures.

Le récit des contemporains s’inscrit dans le modèle de la conjuration, forme classique du récit historique à l’époque moderne.

Les hommes rouges : Si « peau rouge » est bien une expression amérindienne du XVIIIe siècle, la symbolique de cette couleur renvoie au monde souterrain, aux marécages. Il se peut qu’elle ait servi de levier à une résistance contre la colonisation.

L’auteur rappelle les guerres indiennes et les attaques contre les premiers découvreurs de la vallée du Mississippi. Elles montrent que le massacre de 1729 n’est pas le premier en Amérique du Nord. C’est une invitation à réfléchir au sens à lui donner : pas une révolte mais une tuerie avec une dimension rituelle. Les morts ne sont pas des ennemis, mais des amis, des proches du grand chef, récemment disparu. Gilles Havard parle de mort contagieuse, inscrite dans la culture natchez. Les colons sont blancs et perçus comme des parents, « la possibilité d’un sacrifice collectif des Français est banalement évoqué par leur chef, comme preuve ultime de leur adoption. » (p. 233) ; il est normal qu’ils se plient au sacrifice.

Les voies de l’exil

Quelle fut la riposte des colons ?

L’auteur la présente en deux temps sous le gouvernorat de Perier puis de Bienville.

Etienne de Perier invite, des alliés Chacta et Petites Nations à une guerre ouverte contre les Natchez. L’auteur cherche, dans ce récit, à caractériser la violence coloniale. Il montre l’acharnement des représailles, les motivations et le rôle des Chacta qui attaquent les Natchez, s’emparent des captives et des esclaves. Après deux mois de combats, les captives rejoignent La Nouvelle-Orléans, dans une ville en deuil où la crainte d’une entente entre les Natchez et les esclaves en fuite est bien présente. Dans ce contexte, les autorités laissent leurs alliés pratiquer la torture sur leurs prisonniers, une violence qui rejoint celles des châtiments (roue, bûcher…) pratiqués en France. Au printemps suivant, de nombreuses veuves du massacre, se remarient.
L’année 1730 est marquée par des rumeurs d’attaques amérindiennes sur la ville. Perier organise une seconde expédition punitive en 1731. le recours à la violence par les autorités coloniales est justifié par la défense des intérêts économiques de la colonie en Louisiane comme dans la région des Grands LacsL’auteur évoque la guerre des Renards : L’Empire face aux Renards – La conduite politique d’un conflit franco-amérindien, Raphaël Loffreda, Québec, éditions du Septentrion, 2021.

En 1730 et en 1731, certains captifs natchez sont envoyés à Cap-Françaisen Haïti pour y être vendus comme esclaves. C’est une guerre totale qui a été faite au peuple natchez. Il reste, vraisemblablement entre 300 et 500 Natchez qui pratiquent, pour survivre, la chasse et les embuscades. La crainte d’une révolte noire reste très présente et justifie une répression aveugle.

En 1723, Bienville revient au poste de gouverneur, la chasse aux Natchez se poursuit. Bien que bon connaisseur des Amérindiens, il les voie désormais comme un peuple à soumettre car prompt à la rébellion.

Pendant les années 1731-1736, les Natchez cherchent refuge chez les Chicacha, eux-mêmes considérés par les Français comme peu fiables. Pour les soumettre et poursuivre la chasse à l’homme, le gouverneur renforce l’alliance avec les Chacta.

D’autre part, la cohabitation ethnique Natchez-Chicacha est délicate, ce qui amène certains à chercher refuge plus au nord, dans la colonie anglaise de Caroline du Sud.

L’auteur décrit les combats menés par les Français et les Chacta en mars 1736, un échec cuisant face à la détermination des Amérindiens, soutenus par quelques Anglais ou Écossais.

Après l’expédition de 1739, la pression franco-chacta impose de trouver de nouveaux refuges au sud des Appalaches et dans la vallée de l’Ohio.

On peut alors parler de diaspora.

En 1743, Bienville informe Paris de la destruction totale du peuple natchez. Mais des groupes se sont installés, officiellement (« Settlement Indians »), dans les colonies anglaises. Ils ont rejoint des villages creeks dans les actuels Alabama et Tennesee.

Deux questions se posent : s’agit-il d’un exil définitif ? Les Natchez ont-ils conservé leur culture ?

Déportation et invisibilisation

Cette dernière partie est consacrée à l’histoire des Natchez sous le régime américain, au sein des peuples creek et cherokee.

D’un traumatisme à l’autre

L’auteur rappelle les traités signés par la jeune république américaine avec divers groupes autochtones. À ce moment, les autorités font encore la différence entre les Natchez et les peuples d’accueil, Creek et Cherokee. Malgré les garanties données, cette politique vise à chasser les Amérindiens de la rive gauche du Mississippi. De nombreux conflits ont opposé les Amérindiens à l’appropriation de leurs terres par les colons.

« Au fond, civilisation et expropriation sont les deux faces d’une me pièce : l’espoir est que les Amérindiens, une fois « civilisés », comprennent qu’il est dans leur intérêt de renoncer à leur souveraineté et, grâce aux revenus générés par la vente de leurs terres, d’investir dans la modernisation de leurs exploitations. L’Indien, dès lors, doit s’américaniser ou céder la place en se déplaçant plus à l’ouest.» (p. 315-316)

L’auteur analyse les lignes de fractures entre « assimilés » et défenseurs de la tradition. Il semble que les Natchez aient privilégié l’alliance avec les Américains durant la guerre creek de 1813-1814 et la guerre des Séminoles (1818).

Dans les sources américaines du XIXe siècle, les Natchez ne sont plus reconnus comme un groupe distinct, identifié. Ce sont deux savants, le Français Pierre-Etienne du Ponceau et le Suisse Albert Gallatin qui s’intéressent à leur langue, dans les années 1820.

En 1826, l’un des signataires, au côté des Creek, du traité de Washington, Ishalakte se présente comme le fils d’un « Soleil », ce qui atteste d’une mémoire collective de l’organisation sociale.

L’auteur rapporte les conditions désastreuses des exodes forcés, notamment celui des Chacta, en 1830 et rapporté par Alexis de Tocqueville. Il articule les sources américaines et la tradition orale des Natchez. Cette tradition a été collectée, dans la première moitié du XXe siècle, notamment auprès de Creek Sam qui fut témoin de la déportation de quelques 14 000 Cherokee en 1838, alors même que ce peuple avait choisi l’assimilation.

Gilles Havard montre le poids, dans les débats du Congrès, du lobby des planteurs. Il détaille le traité de Washington, qui en mars 1832, repousse les Creek au-delà du Mississippi. Leur résistance est réprimée, de juillet à octobre 1836, 2 500 Creek sont déportés et 15 000, dont des Natchez, acceptent l’exil. Certains tentent de survivre au sud des Appalaches.

L’exode des Cherokee, en 1838, reste dans les mémoires comme le « chemin des larmes de jadis »En cherokee : Nunna daul Isunyi, « La piste où ils ont pleuré » . Ils sont regroupés dans des camps à la frontière du Tennessee et de l’Alabama. L’auteur note l’ampleur des pertes humaines de ces voyages sans retour.

La permanence d’un peuple

Malgré l’exode et assimilés aux Creek et aux Cherokee, les Natchez ont conservé leur identité et leur langue. Les témoignages recueillis par les anthropologues, au début du XXe siècle, permettent de saisir comment s’est organisée la survie dans la Grande Prairie, si différente du milieu forestier de leurs terres ancestrales. Ils ont pu conserver leurs rituels, malgré les divisions durant la guerre de Sécession.

Comme d’autres peuples, ils sont soumis à la parcellisation des terres, la résistance s’incarne, alors, dans des sociétés secrètes locales. C’est un échec politique, mais un renouveau des pratiques spirituelles et rituelles. Les Natchez recréent, grâce à l’activisme de la famille Sam, une aire cérémoniale à Sulphur Springs pour des cérémonies secrètes de l’« homme-médecine » et où se pratiquaient aussi le jeu de balle et des danses.

Si les Américains souhaitent la disparition des Indiens en tant que peuple, des ethnographes ont cherché à en préserver la mémoire la richesse culturelle. Le premier d’entre eux est Albert Samuel Gatschet. Les travaux portent sur la langue, avant la disparition des derniers locuteurs, et la connaissance de la structure sociale ancienne des « Soleils » et des « Puants ». Toutefois, la tradition orale des Natchez ne semble pas avoir conservé le souvenir du massacre de 1729.

« Que signifie être Natchez aujourd-hui ? » (p. 378), telle est la question que pose Gilles Havard dans son dernier chapitre.

Longtemps invisibilisés, ils sont fidèles à la fois à l’accueil de leurs ancêtres parmi les Creek et les Cherokee et les citoyens américains. L’identité natchez s’est exprimée dans les années 1960-1970 avec Archie Sam qui lutte pour la défense des droits des Amérindiens. Cette famille semble être un pilier d’une communauté qui se cherche. On peut parler de revitalisation de la culture natchez (danses, cérémonies rituelles).

En 1996, un nouveau « Grand Soleil » a été désigné : Hutke Fields qui est aussi travailleur social, même si son origine natchez est contestée par certains.

En conclusion, Gilles Havard revient sur sa rencontre avec les Natchez. Il plaide pour une réconciliation avec la France. Une grande cérémonie est prévue en mars 2024 sur le site de « Grand Village » à Natchez avec la présence de la représentante de l’ambassade de France.

Cet ouvrage, très dense qui éclaire le massacre de 1729 est, à la fois, une reconstitution de l’événement, une analyse critique des sources et une réflexion sur les mémoires d’un événement traumatique. Il incarne une nouvelle perception des « guerres indiennes », comme en écho à quelques œuvres cinématographiques comme Danse avec les loupsGilles Havard rappelle, que l’un des acteurs, West Studi est lui-même un Cherokee-Natchez et l’arrière-petit-fils de Creek Sam.

 

Interview de l’auteur dans le journal du CNRS