Jean Moulin est aujourd’hui le plus connu des résistants, il est le symbole même de la Résistance, et depuis sa panthéonisation en 1964, et l’apostrophe lancée par André Malraux, « Entre ici Jean Moulin », il est le héros de la Résistance. Mais n’est-ce-pas surtout et quasi seulement, son nom qui est connu ?
L’auteur fait remarquer que les biographies de Jean Moulin sont rares, et que plus rares encore sont celles qui soient le fruit du travail d’un historien, celle de Jean-Pierre Azéma, Jean Moulin, le politique, le rebelle, le résistant[1] a aujourd’hui plus de 20 ans. Il y a certes la biographie d’Henri Michel[2], historiographiquement dépassée ; il y a le colossal travail de Daniel Cordier, qui fut le secrétaire de Jean Moulin et qui se fit historien, mais Jean Moulin, La République des catacombes[3]est un ouvrage de près de 1000 pages, cependant beaucoup plus abordable que les trois volumes de son Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon[4] ; il y a les travaux d’investigation de Pierre Péan[5] et enfin deux ouvrages de synthèse récents : Jean Moulin : artiste, préfet, résistant de Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon, ainsi que Jean Moulin, le préfet de la Résistance de Pierre Allorant[6].
Une biographie scientifiquement fondée et accessible à un large public
A l’occasion de la commémoration du 80ème anniversaire de la fondation du Conseil national de la Résistance par Jean Moulin, les éditions Plon ont eu la bonne idée de confier à Fabrice Grenard, directeur scientifique de la Fondation de la Résistance, l’un des meilleurs historiens actuels de la Résistance française, auteur d’une douzaine d’ouvrages dont la Cliothèque a toujours rendu compte, la rédaction d’une biographie de Jean Moulin. Malheureusement, l’éditeur n’avait pas cru devoir nous communiquer l’ouvrage et nous n’avions pu en rendre compte. Voila qui est réparé, avec sa parution en édition de poche, dans la collection Texto.
Fabrice Grenard nous propose une biographie accessible à un large public, tout en étant scientifiquement incontestable, car les polémiques n’ont pas manqué sur le sujet. On a souligné ici assez souvent la clarté et la rigueur des écrits de Fabrice Grenard, pour ne pas avoir à y revenir. Il fallait sa parfaite connaissance de la France des « années noires » et de l’univers résistant pour parvenir à raconter avec aisance le rôle historique de Jean Moulin, traduire la complexité de son action à l’interface de la résistance extérieure et de la résistance intérieure, évoquer ses difficiles relations avec les chefs des mouvements aux fortes personnalités et aux stratégies divergentes, qui tout en ayant besoin de lui, lui sont parfois hostiles, faire le point sur quelques-unes des questions qui ont longtemps donné lieu à polémiques. Il a fait le choix d’aller à l’essentiel, de construire un récit facile et agréable à lire, structuré en onze courts chapitres, eux-mêmes divisés en paragraphes dotés de sous-titres explicites, de ne pas trop multiplier les notes, mais de donner néanmoins toutes les précisons de sources et de bibliographie. La progression n’est pas platement linéaire mais procède par récurrences à partir de situations décrites de la manière la plus vivante qui soit : ainsi le livre s’ouvre sur la rencontre entre Jean Moulin et De Gaulle, « la rencontre de deux géants », le 25 octobre 1941 à Londres, pour revenir ensuite sur la jeunesse et la carrière de Jean Moulin.
« Au service de l’Etat et de la République »
Si Jean Moulin est né à Béziers, sa famille est originaire de Saint-Andiol, en Provence. Jean Moulin est le dernier de la phratrie, devenu le grand espoir de la famille à la mort de son frère ainé. Elève médiocre, il a reçu une solide formation républicaine, attachée au parlementarisme et au progrès social. Il gardera une grande affection pour son père, radical fin XIXème (anticlérical, dreyfusard, franc-maçon etc.). Plus à gauche que son père, il adhère au Cartel des gauches et au Front populaire.
Jean Moulin accède à la carrière préfectorale par la voie de la « recommandation républicaine », ce qu’on appellerait aujourd’hui vulgairement, le « piston » : les relations et les réseaux politiques de son père. Il entre au cabinet du préfet qui l’apprécie et le reprend en 1919. Le secrétaire général de la préfecture l’emmène à Albertville, avant de devenir sous-préfet (le plus jeune de France à 27 ans). Devenu ami de Pierre Cot, jeune turc du parti radical, celui-ci l’appellera à son service, comme directeur de cabinet lors de sa nomination comme Ministre de l’Air. Sa carrière est menée admirablement, jugé très bon dans son poste. Préfet de l’Aveyron puis de l’Eure-et-Loir, il est le plus jeune préfet de France, à 37 ans. D’autant plus qu’il n’a jamais mis dans sa poche ses opinions.
En effet Jean Moulin était un homme de gauche qui a adhéré au Front Populaire. Pierre Cot lui demanda de diriger une cellule clandestine d’aide militaire aux Républicains espagnols, alors que la politique officielle du gouvernement Blum était la non-intervention. Il gère des sociétés écrans qui font passer des armes et il recrute des pilotes. C’est alors qu’il rencontre Gaston Cusin, Pierre Meunier, Robert Chambeiron et le commandant Manhès qui seront ses plus proches collaborateurs dans la clandestinité.
Volet peu connu de son existence: Jean Moulin a eu une grande sensibilité artistique. Les spécialistes jugeront d’ailleurs son travail intéressant. Moulin publia des caricatures et des aquarelles, devenant collectionneur d’art moderne. Malgré tout Jean Moulin a su garder du temps libre pour pratiquer du sport et multiplier les conquêtes féminines dans les boites de Montparnasse. Cet aspect est peu développé par Fabrice Grenard, qui s’attache essentiellement au personnage historique. On regrettera cependant qu’Antoinette Sasse soit totalement absente, alors qu’elle joua un grand rôle à ses côtés.
« Dans la tourmente de 1940 »
Contrairement à beaucoup de préfets, Jean Moulin a tenu bon à l’été 1940. Alors que toutes les institutions s’effondrent, Jean Moulin s’emporte contre les services d’Etat qui partent à vau-l’eau. En poste à Chartres, il réquisitionne alors quelques personnes pour permettre aux services de tenir quelque peu. Il reçoit les Allemands à leur entrée dans la cité où il reconnait la défaite.
Il est alors convoqué par trois officiers de la Wehrmacht. Ceux-ci lui demandent de reconnaitre des massacres qui auraient été commis par des soldats sénégalais, ce qu’il refuse. Il est battu et torturé pendant sept heures pour le pousser à signer ce protocole. Il est jeté en cellule avec un tirailleur sénégalais. Craignant de céder et de signer le document le lendemain, Moulin préfère mourir et se tranche la gorge en cellule. Il est soigné tout de même et survit. « La mort plutôt que la honte. Ce geste révèle déjà le courage, le sens de l’honneur et du sacrifice dont il fera preuve au plus haut point au sein de « l’armée des ombres ». Il s’agit indéniablement d’un « premier combat », pour reprendre la formule qu’utilise lui-même Jean Moulin pour servir de titre au journal dans lequel il raconte l’événement. Mais le qualifier d’ « acte de résistance » constitue en réalité un anachronisme. Tout d’abord parce que la Résistance en tant que telle n’existe pas le 17 juin 1940 (…) Ensuite et surtout parce que le choix de Jean Moulin de basculer dans la dissidence n’apparaît nullement fait au cours de ces premières journées tragiques de l’Occupation. »
En effet, Jean Moulin restera quelques mois préfet sous Vichy. Fabrice Grenard consacre un chapitre à cette période, sans éluder aucune des questions qui pourraient paraître entacher l’étoffe du héros. Moulin veille à un strict respect de la convention d’armistice et défend chaque fois que nécessaire les intérêts de la population française face aux abus de l’occupant. Il est tout de même dans le collimateur des autorités et sera révoqué, parce que jugé trop républicain et trop « front populaire ». Avant cela Moulin a usé de son influence pour se faire des faux papiers au nom de Joseph Mercier.
Sa fausse identité tiendra un an. Il retourne dans sa famille et se fait déclarer à la mairie comme agriculteur. Il continue tout de même à correspondre avec Vichy et se verra même offrir un poste dans la préfectorale en 1942 ! Sa double-vie continue, Moulin cherchant à gagner Londres. Il obtient un passeport et des papiers en règle sous sa fausse identité, de Joseph Mercier, professeur à New York, pour partir aux USA.
Pendant l’attente des visas d’entrée en Espagne et au Portugal, Jean Moulin fait une enquête sur la résistance naissante, pour pouvoir aller à Londres en ayant des informations qui manquent cruellement à De Gaulle et aux Anglais. En zone occupée les contacts sont rares. La résistance est embryonnaire. Mais au Sud des groupes commencent à se former. Il rencontre François de Menthon, Henri Frenay à Marseille, Emmanuel D’Astier. Il prend conscience du potentiel mais aussi du soutien financier essentiel et nécessaire à ses embryons d’organisation.
Durant son attente de plusieurs semaines à Lisbonne, Moulin rédige un rapport sur l’état de la résistance. Un texte de neuf pages, une sorte de rapport d’inspection administrative, une expertise.
« Au nom du général de Gaulle »
Jean Moulin arrive à Londres le 20 octobre 1941. De tous ceux qui arrivent, il est le seul qui ait conçu son arrivée non seulement comme un ralliement individuel, mais plus encore, comme l’ouverture de perspectives adossées à une description de la résistance intérieure. Il se présente comme un homme libre, disponible, « un trait d’union virtuel entre deux versants d’une Résistance » (Azéma). Il est déterminé à revenir en France.
A son arrivée, Moulin subit un débriefing. Rapidement on est convaincu de sa bonne foi et une rencontre est organisée avec De Gaulle. Mais nous n’avons rien sur cette rencontre. Si tout oppose ces hommes en apparence, l’opposition à Vichy et le refus de la défaite les rapprochent. De Gaulle lui demande alors de rentrer en France. Durant son séjour en Angleterre, Moulin suit des stages de formation au codage et décodage des messages et au saut en parachute.
Fort de son entrainement, il est parachuté dans la nuit du 31 décembre 1942 près de Saint-Andiol et reprend son identité de Jean Moulin pour Vichy. Il apporte 1 million de francs pour les organisations naissantes, et est porteur aussi d’une capsule de cyanure, d’une accréditation manuscrite de De Gaulle, et de trois ordres de mission, dans le cadre global de la « Mission Rex ».
Jean Moulin reçoit trois missions : Les mouvements doivent faire allégeance au général De Gaulle ; Les mouvements doivent séparer les activités militaires de la propagande, pour former une « armée secrète » en fusionnant leurs groupes armés ; A moyen terme, fusionner si possible les mouvements.
Durant son séjour à Londres, les groupes qu’il avait rencontré ont évolué et trois mouvements s’imposent en zone Sud : Libération, Combat, Franc Tireur. Seul, avec sa force de caractère et en jouant sur les dissensions, Jean Moulin va obtenir l’allégeance au général. Il sera plus difficile de constituer l’Armée secrète, Henri Frenay (Combat) voulant en prendre la tête. Les conflits éclatent entre Fresnay et d’Astier. Jean Moulin nomme alors le général Delestraint chef de l’Armée secrète.
La fusion des mouvements est réalisée en deux temps :
- Un Comité de coordination est créé en octobre 1942, présidé par Moulin et rattaché organiquement à la France combattante. Il comprend les trois chefs des trois mouvements et Moulin qui le préside avec voix prépondérante, en restant représentant du Comité national français de Londres.
- Le 26 janvier 1943 sont créés les Mouvements Unis de Résistance, présidés par Moulin, assisté de trois « commissaires »
Parallèlement Jean Moulin crée autour de lui quelques services qui constituent la « Délégation générale » qui doivent accroître l’efficacité de la Résistance et ses liaisons avec Londres. Une quarantaine de personnes, pas plus :
– Un secrétariat de très grande qualité, totalement dévoué, sous la direction de Daniel Cordier, qui coordonne les agents de liaisons (souvent des femmes)
– Le Bureau d’information et de presse, agence de presse clandestine, dirigée par Georges Bidault
– Le Comité général d’études, groupe d’universitaires qui doivent réfléchir aux institutions futures
– Un service de transmissions radio
– Un service de parachutages et atterrissages
« La résistance intérieure et De Gaulle »
Moulin séjourne à Londres du 14 février au 20 mars 1943 avec le général Delestraint, chef de l’Armée secrète. Il y rencontre les Anglais, les dirigeants du BCRA et ceux du Commissariat à l’Intérieur. Moulin est alors fait Compagnon de la Libération. Moulin devient alors un gaulliste inconditionnel, une sorte de « haut commis d’un Etat gaullien virtuel » (Azéma). Il est renvoyé en France avec de nouvelles instructions.
Lors de son séjour à Londres, De Gaulle et Moulin prennent la décision de former un Conseil de la Résistance, calqué sur le modèle du Comité de coordination de zone Sud, mais pour l’ensemble du territoire. Cet organisme devra compter en plus des mouvements de résistance, des syndicats et les anciens partis politiques. Il s’agit pour De Gaulle de garder le contrôle de l’ensemble des forces de résistance alors que les socialistes ont menacé de créer une structure autonome, et d’obtenir une légitimité : en effet les Américains ne connaissent pas les mouvements de résistance alors qu’ils connaissent les partis politiques et leurs dirigeants. Mais le CNR est capital pour De Gaulle, en très mauvaise passe en 1943.
En effet, De Gaulle est alors dans une situation politique très fragile : les Américains ont libéré l’Afrique du Nord mais ils ont refusé de le reconnaître et s’appuient sur le général Giraud qui maintient les lois de Vichy sous leur protectorat. Pour surmonter l’hostilité de Roosevelt et imposer la France Libre, De Gaulle estime qu’il lui faut l’appui de toute la Résistance intérieure et aussi celui des forces politiques traditionnelles que connaît Roosevelt. Il lui faut créer une sorte de parlement clandestin, un embryon de représentation nationale.
On peut être surpris par l’intensité et la violence des oppositions que suscite ce projet. C’est la partie la plus difficile des missions de Moulin ; c’est la cause de l’hostilité et même des haines dont il est l’objet. C’est aussi ce que la postérité a retenu de son rôle historique. A l’intérieur de la France combattante, Moulin rencontre l’opposition de son camarade Pierre Brossolette. Il est en mission en zone Nord, accompagné de Passy, le chef du BCRA en février-mars 1943. Il doit prospecter et organiser la Résistance en zone Nord. Sa mission a des acquis solides, mais il n’applique pas les consignes de Londres au sujet de l’intégration des partis politiques. Il a une altercation violente avec Moulin. Socialiste devenu gaulliste, il refuse de réintégrer les partis de la IIIème République, qu’il juge comme beaucoup, en partie responsables de la défaite. L’opposition vient aussi des mouvements eux-mêmes, jugeant les partis politiques condamnables et estimant que d’eux seuls peut venir une renaissance de la France. Si on y ajoute l’autoritarisme de Moulin et la tension de la clandestinité, de vraies haines se développent.
« Le président du Conseil de la Résistance »
Malgré toutes ces difficultés, une activité incessante durant trois mois permet à Moulin de réaliser l’objectif de sa mission. La réunion a lieu dans un appartement du 48 rue du Four, Paris 6e, et rassemble 17 hommes. Huit d’entre eux sont les représentants de huit mouvements de résistance, six sont les délégués des partis politiques non compromis avec Vichy, deux sont les délégués des deux centrales syndicales. Le 17ème est « Max », Jean Moulin. Par leur présence et par le communiqué qu’ils adoptent et envoient à Londres, ils viennent de donner naissance au Conseil de la Résistance qu’on appellera plus tard le Conseil National de la Résistance. Une étape essentielle de l’histoire de la Résistance venait d’être franchie.
Moulin lit un message de De Gaulle et fait voter à l’unanimité une motion qui exige que le gouvernement provisoire de la République française soit confié au général. Fort de l’appui de la Résistance française, De Gaulle peut gagner Alger le 30 mai où est constitué le Comité français de libération nationale le 3 juin. Jean Moulin atteignait un objectif qu’il poursuivait depuis seize mois. Il était fatigué ; presque épuisé. Il se savait recherché et se sentait menacé. Mais il avait triomphé des obstacles nombreux et il venait d’offrir au général De Gaulle un atout essentiel pour être enfin reconnu par les Américains comme le représentant de la France dans la guerre.
Du piège de Caluire à la prison de Montluc, « antichambre de la mort »
Le 21 juin 1943 Jean Moulin est arrêté à Caluire et meurt peu après sous la torture. Fabrice Grenard fait le point de manière synthétique sur l’affaire, allant à l’essentiel, exposant la genèse du piège et fixant les responsabilités. Son arrestation a pour cause profonde le contexte d’affrontements violents entre les dirigeants de la Résistance, particulièrement entre ceux de Combat (Frenay et Bénouville) et Jean Moulin, plus particulièrement depuis l’affaire suisse. La volonté de s’opposer à Moulin au cours de la réunion qu’il a convoqué à Caluire le 21 juin explique que les règles de sécurité ne soient pas respectées et que Bénouville prenne la responsabilité d’y envoyer René Hardy, un homme qi n’est pas convoqué et qui s’avèrera être un agent des Allemands. Fabrice Grenard affirme clairement la responsabilité de René Hardy : « C’est grâce à lui que les Allemands sont arrivés sur les lieux. Volontairement ou non, il a trahi ses camarades. »
Pour Klaus Barbie qui l’avait attrapé, le faire parler était une priorité absolue. Torturé à mort, Jean Moulin n’a pas parlé. Transféré à Paris puis en direction de l’Allemagne, il est mort dans le train Paris-Berlin, le 8 juillet 1943. Sa mère et sa sœur en seront informées le 19 octobre seulement.
« Entre ici, Jean Moulin »
C’est le titre du dernier chapitre qui traite de la mémoire de Jean Moulin. Durant les deux décennies qui suivirent la Libération, le rôle historique de Jean Moulin fut très largement ignoré (la première biographie le concernant ne parut qu’en 1971) et sa mémoire fut l’objet d’un relatif oubli. Il n’occupait une place très secondaire face aux héros et héroïne qu’étaient alors Pierre Brossolette, Jean Cavaillès ou Danielle Casanova. Puis la politique étatique de la mémoire le promut héros emblématique de la Résistance française. La date charnière étant celle du 19 décembre 1964, « la cérémonie de la panthéonisation et le discours prononcé par André Malraux constituent bien un tournant mémoriel ». Moulin incarna dès lors la Résistance et la mémoire collective s’empara de lui.
Le texte de Malraux entend démontrer et affirmer que De Gaulle, c’est la France ; que la Résistance c’est De Gaulle, et donc que la France, c’est la Résistance. Ainsi se fonde l’image et la représentation d’une France gaulliste et résistante, un mythe qualifié par les historiens de résistancialiste. Un mythe qui convient aussi à la mémoire communiste. Le peuple de gauche récupèrera la figure de Moulin dans les années 1980, notamment avec la montée au Panthéon de Mitterrand, le 21 mai 1981, une rose rouge à la main et déposée sur son cénotaphe. Mise en scène signée Jack Lang, cérémonie conçue sur le modèle inverse de celle de 1964, sans protocole, sans apparat militaire, dans une joyeuse cohue.
Mais parallèlement au fait qu’il incarnait désormais la Résistance, et sans doute à cause de cela, car attaquer sa mémoire c’était attaquer la Résistance entière, sa personnalité et son action furent l’objet de profondes remises en cause : il fut qualifié d’homme du PC, de « crypto communiste », puis d’agent du KGB, voir d’espion américain !
Paradoxalement, les historiens universitaires, ceux qui citent leurs sources et ne confondent pas les faits et les hypothèses, durent se mettre au travail. Colloques et études se multiplièrent dans les années 1990, participant ainsi à un profond renouvellement historiographique. Fabrice Grenard nous fournit aujourd’hui la synthèse la plus à jour et la plus accessible sur le rôle historique de Jean Moulin. Or, comme il l’écrit lui-même dans son introduction « Il y a une forme d’urgence dans le contexte actuel à rappeler ce que fut la Résistance française et l’importance qu’a pu revêtir son action ».
[1] Paris, Perrin, 2003 (rééd. Tempus, 2006).
[2] Jean Moulin l’unificateur, Paris, Hachette, 1964.
[3] Paris, Gallimard, 1999.
[4] Paris, Jean-Claude Lattès, 1989-1993.
[5] Vies et morts de Jean Moulin, Paris, Fayard, 1998 ; La Diabolique de Caluire, Fayard, 1999.
[6] Signalons à ceux qui désirent se reporter aux sources, la publication par le professeur Louis Berriot des deux volumes Jean Moulin – Écrits et documents de Béziers à Caluire