Plus d’une vingtaine de contributions apportent de nombreuses réflexions sur les perceptions des territoires, assez peu sur l’incidence des aménagements et très peu sur l’influence des constructeurs sur les mobilités. Pour le géographe Gilles Fumey les mobilités, sont d’abord « une affaire de culture » : il s’agit donc de « dégager les sens des mobilités par des approches culturelles ».
La contribution la plus innovante semble être dans l’avant-propos de Gilles Fumey, quant à la vitesse (même si la part des constructeurs semble effacée) « ….L’aspiration la plus pressante d’aujourd’hui est devenue la vitesse. La vitesse est, elle-même, une donnée culturelle que se sont appropriés les pays modernes pour faire évoluer les pratiques de mobilité vers un « meilleur » accès aux réseaux. Elle a offert, au moins dans les intentions, la satisfaction d’une revendication à ceux qui se sentaient confinés chez eux. Perçue comme une valeur sociale et culturelle, la vitesse peut pourtant y aliéner certains territoires …. »
Les constructeurs, peu présents par ailleurs, apparaissent en filigrane avec Lourdes DIAZ OLVERA – Didier PLAT – Pascal POCHET – Maïdadi SAHABANA dans « la double vie de la moto en Afrique: usages privés, offre publique ». Pour les chercheurs du CNRS et de L’université de Lyon « L’absence de constructeurs de véhicules n’est pas un frein au développement de pratiques innovantes. » Ils constatent également « Il n’y a pas là de solution miracle à la crise du transport urbain. Le mototaxi ne constitue qu’une réponse partielle aux besoins de déplacement.
De même, trop rares sont les contributions (3/25) évoquant les questions d’aménagements.
Pour la géographe, Marie-Agnès LANNEAUX, la fonction culturelle des transports se voit à travers l’exemple de Lille, de Glasgow. Pour cette universitaire de Lille 3, les manifestations publiques (« les capitales européennes de la culture ») contribuent à remodeler l’espace urbain et mettent en œuvre un nouveau partage de la rue: avec un PDU (Plan de Déplacement Urbain) et la volonté de limiter la circulation automobile en centre-ville… Il s’agit d’une agréable invitation au voyage pour voir de près la piétonisation de la « Grande Place ».
D’un autre côté, Yves Boquet dans « Transport et mobilités quotidiennes dans les grandes villes d’Asie » se demande comment les villes asiatiques assurent l’efficacité nécessaire à la mobilité quotidienne. Le géographe de l’université de Bourgogne montre les dilemmes de tous les aménageurs où une mobilité de style US ne semble plus soutenable. L’auto est-elle encore mobile ? Faut-il laissez-faire (Bangkok, Pékin) ou limiter la croissance de l’utilisation de l’automobile (Singapour, Hong Kong) ? Faut-il accroître le kilométrage de voiries (Bangkok, Shanghai) ou démolir une autoroute (Séoul) ou mettre en place un péage urbain (Singapour dès 1975) ? Faut-il faire des gros travaux (métro aériens) BRT (Bus Rapid Transit) ou des systèmes locaux de transports (minibus, « jeepneys » et 3RM) ?
Avec Mathieu STRALE dans « organiser les flux vers La Mecque », on entre dans la logistique par le biais d’un pèlerinage religieux. Pour le géographe de l’université libre de Bruxelles, Le Hadj ou Hajj déplace près de 2,5 millions de pèlerins en 2007 ! En Caravane au 19eme, en bateau au début XXe et surtout en avion fin XXe, les flux de voyageurs viennent de plus en plus loin. L’organisation logistique semble complexe en amont (contrôle et limitation des visas, ouverture du marché aux compagnies aériennes) et en aval (transport, ravitaillement, logement, santé).
Dans cet ouvrage collectif, l’influence des aménagements sur les mobilités contemporaines aurait donc mérité quelques contributions supplémentaires. Les « déplacements doux » y sont aussi très peu abordés.
Les contributions de type « territoires et comportements » sont par contre les plus nombreuses (15/22) Que d’espaces vécus !
Jean-Jacques BAVOUX, dans « science fiction et hyper-géographie des transports » voit la mobilité à travers le prisme des œuvres de sciences fiction ! Paradoxalement, ce géographe de l’université de Bourgogne fait émerger de « vieux débats » qui ont autant de rapports au présent. Remarquable !
Samuel CARPENTIER dans « Mobilités et Ségrégation. Pratiques et représentations des modes de transport et de l’habitat » montre la corrélation entre l’habitat et les déplacements. Dites nous où vous habitez, nous vous dirons comment vous vous déplacez. Il s’agit d’une bonne contribution pour illustrer les « frontières invisibles ». Ces dernières sont également abordées par le géographe Frédéric DOBRUSZKES dans « religion et pratiques de mobilité: l’exemple des étudiants bruxellois ». Il y est question de la complexité de différents clivages sociaux et la complexité des bassins de recrutements des écoles de Bruxelles. La mobilité quotidienne des écoliers est analysée en fonction de différents clivages (sociaux, linguistiques, confessionnels) et des types d’écoles. Les situations sont complexes mais révèlent parfois ce que la carte scolaire ne dit pas.
Lourdes DIAZ OLVERA – Didier PLAT – Pascal POCHET – Maïdadi SAHABANA dans « la double vie de la moto en Afrique: usages privés, offre publique » se demandent, dans quelle mesure les 2RM (les « ben skins » à Douala) présentent dans les villes d’Afrique subsaharienne des usages innovants et quelle perception en ont les citadins de Douala et Niamey ? De quoi remettre en question nos propres perceptions d’occidentaux, nos manières de voir. On peut toutefois regretter que les chercheurs de l’université de Lyon ne fassent pas la distinction entre cyclomoteurs et motos.
La question de l’identité émerge notamment à travers plusieurs contributions dont celle d’ Antoine BEYER dans « Repérer les modes de transport. La numérotation des bus parisiens. » Le géographe de l’université de Paris-IV Sorbonne pointe des incohérences d’un système et la difficulté pour les usagers des transports en commun à s’identifier, à trouver des repères dans l’espace. Cette étude devrait amener nombre de voyageurs et d’aménageurs à réfléchir sur les logiques d’organisation de leurs systèmes de bus. L’auteur fait la comparaison avec le système d’organisation des TC à Curitiba, New York, Zurich et Séoul. Le géographe offre de nouvelles perspectives, peu onéreuses, pour donner de l’attrait aux bus.
Omar SALAZAR ALVAREZ dans « Caracas, ville autoroute » se demande comment un espace a priori répulsif peut devenir attractif ! Pour cet architecte-urbaniste, l’autoroute (un « non-lieu » ! ) peut devenir symbolique et suffisamment représentative pour devenir identitaire, dans une mégapole (Caracas) ou tout est organisé autour des systèmes routiers. La voie rapide coupe la ville d’est en ouest et devient par conséquent un repère urbain. Une sculpture d’une déesse indigène (Maria Lionza) sur la voie express fait objet de culte religieux, avec autel, offrandes !!. Des manifestations politiques y ont lieu sous forme de marches et cette autoroute se transforme même en parc urbain le dimanche !
La communication peut aussi induire de nouveaux déplacements : D’abord, Georges RIBEILL, dans « comment un chemin de fer invente un site » passe par le biais des affiches publicitaires du XIXe puis des guides touristiques « vu du train ».. Le chercheur montre comment le chemin de fer invente des itinéraires et propose un tourisme « à petite vitesse », par opposition au TGV actuel…. Ensuite, Kevin SUTTON dans « Traverser les Alpes par les affiches » étudie des supports publicitaires et la promotion de la traversée des Alpes du XIXe au XXe. Les massifs alpins et les tunnels occupent un place originale dans les techniques de marketing… pour ce géographe de l’université de Savoie.
Enfin, Michel VRAC s’attache aux métropoles avec « la gare un lieu de cinéma ». Cet universitaire de Franche-Comté illustre les liens complexes entre les gares (lieux en réseaux ou en marge – lieux culturels, lieux de tournages, lieux touristiques vite identifiables) le 7eme art et les mobilités à partir de bases de données en ligne ! Le terminus devient alors le cadre d’un évènement cinématographique. Pour le géographe Michel VRAC les mobilités filmées sont autant d’indices du phénomène de métropolisation. Sa contribution nous emmène à New York, Los Angeles (Hollywood), Paris, Londres, Berlin, Hong Kong et Bollywood en Inde. L’universitaire constate, avec amusement, que la mise en cinéma créé de nouvelles mobilités.
De manière encore plus novatrice, Jean-François TROIN dans « Œuvres d’art et lieux de transport » invite le lecteur à ouvrir les yeux sur l’architecture, la sculpture, la peinture mais aussi les graffitis, les tags dans les gares, lors des déplacements. Il s’agit pour ce géographe de l’université de Tours d’ouvrir de nouveaux champs de recherches sur les œuvres officielles et les œuvres clandestines (Graffs, logos, tags). Il y a là autant de nouvelles pistes pour les jeunes générations de géographes.
Au delà de toutes ces contributions, on se demande pourquoi ont été sacrifiés certains documents iconographiques… Des photos en noir et blanc ne sont pas toujours de bonne qualité, sauf quand elles sont reprises en couverture. Des cartes sont parfois difficiles à lire (p 99 pour « la typologie résidentielle de l’espace urbain lyonnais »). D’autres sont souvent trop petites avec des hachurés à l’ancienne ! Il y a parfois des incohérences dans des graphiques.
Certains dysfonctionnements de la mobilité (accidents p 141) appelleraient quelques contributions. La première cause de mortalité chez les 15-25 ans en France mériterait des recherches renouvelées. Les géographes auraient beaucoup à apporter non seulement du point de vue des comportements, mais aussi des aménagements et des véhicules inutilement puissants. L’accidentalité mériterait une contribution géographique, une analyse systémique et cartographique pour faire émerger des dynamiques nouvelles… La mobilité des usagers vulnérables (piétons, cyclistes) devrait être davantage étudiée.
L’ouvrage possède toutefois de nombreux intérêts pour les enseignants.
8 pistes de recherches sont exploitables avec des élèves de secondes dont pour sortir des sentiers battus avec Jean-jacques BAVOUX dans « science fiction et hyper-géographie des transports »: Comparer une œuvre de science fiction avec des problèmes contemporains.
En s’appuyant sur les travaux de Samuel CARPENTIER « Mobilités et Ségrégation ».. et ceux d’Emmanuel RAVALET: « localisation résidentielle et activités quotidiennes » : En ECJS par exemple, réaliser une enquête sur les migrations pendulaires en tenant compte des lieux de résidences. Faire émerger l’espace vécu.
Il y a 4 possibilités au moins avec des élèves de première dont en tenant compte des suggestions de Jean-François TROIN dans « Œuvres d’art et lieux de transport » il est possible d’innover avec des élèves de 1eres (et pas seulement en histoire des arts HIDA) pour étudier « l’âge industriel ». En ECJS, le tag peut être analysé comme marqueur d’identité, d’intégration voire d’exclusion. Le « street art comme un hurlement de solitude et parfois, un murmure de tendresse » (d’après une citation de François Maspero).
En puisant dans la méthode de Kevin SUTTON dans « Traverser les Alpes par les affiches »: il est possible d’exploiter l’article avec des élèves de premières en histoire et en géographie notamment dans le cadre du chapitre « réseaux et flux en France et en Europe ». On peut également envisager une étude de cas sur les traversées alpines hier et aujourd’hui.
Pour des terminales, l’article d’Yves Boquet: « Transport et mobilités quotidiennes dans les grandes villes d’Asie » permet de réfléchir sur le « modèle américain » avec des élèves de terminales. Il est possible de l’ intégrer également dans les chapitres consacrés aux « aires de puissances » et « l’Asie du sud-est » et au cours sur la mondialisation.
Avec la contribution de Mathieu STRALE: « Organiser les flux vers La Mecque », il s’agit d’un bon exemple d’espace mondialisé. A partir de l’article, on pourrait demander aux élèves de terminales de réaliser un croquis sur la mise en réseau d’un lieu de pèlerinage. Le plan de la contribution permet de réaliser une légende structurée.