La mobilité ? Encore les mobilités ?? Et oui ! La mobilité est un « analyseur de la vie en société » (Vincent Kaufman). Elle rend compte des interactions entre les acteurs de la société, de leur appropriation du temps et de l’espace. Elle mobilise un imaginaire riche et ambivalent. Elle est depuis plusieurs années érigée en valeur sociale, à la fois comme un droit et une nécessité. Elle participe à l’émancipation de l’individu. « Ces mobilités sont en effet au cœur de nombreux enjeux sociétaux contemporains : individuation, ségrégation socio-spatiale, consommation énergétique et émission de gaz à effet de serre, pour n’en citer que quelques-uns des plus emblématiques. » (p. 18). Elles concernent de nombreux disciplines car croisées avec celle de la durabilité, elles sont « une forme de transaction entre position sociale et spatiale » (p. 18). Elles sont donc incontournables pour comprendre le monde d’aujourd’hui.
Les contributions présentées dans ce volume sont issues du 9ème colloque au Luxembourg du centre de recherche en sciences sociales (CEPS/INSTEAD) de mars 2009. Ce colloque avait été réuni dans la lignée du programme de recherche MOBILLUX (comprendre les interactions entre mobilités quotidiennes et résidentielles au Luxembourg et dans son aire métropolitaine transfrontalière). Huit études de cas (essentiellement qualitatives à défaut de l’existence de vastes enquêtes quantitatives) sont présentées ici. Elles permettent de comprendre comment les mobilités sont essentielles « pour construire des spatialités à géométrie variable, des modes d’habiter porteurs de résilience. » (p. 24). Il faut entendre par mode de vie « l’ensemble des activités et expériences qui donnent sens à la vie d’une personne ». Cela comprend l’expérience sensible, le développement de relations sociales et la pratique d’activités.
Le cas des jeunes est particulièrement intéressant quand il est croisé avec la problématique des mobilités. Plusieurs articles traitent de manière plus ou moins directe de ce thème. Dans ce cadre de l’étude des mobilités résidentielles, il apparaît que « la question de l’autonomie de l’enfant est constamment mise en avant et valorisée » (p. 35). Ainsi, Raymonde Séchet et Frédéric Leray montrent que les Bretonnes qui se retrouvent à la tête d’une famille monoparentale choisissent leur domicile en fonction du bien-être de leur enfant (choix d’un domicile à proximité du précédent afin ne pas changer l’enfant d’école et de pouvoir mettre sur pied une garde alternée). Une étude suisse sur l’organisation quotidienne des familles fait apparaître que la desserte en transports publics joue un rôle central dans le choix de la résidence. Ainsi, 80% des familles interrogées ont souligné l’importance de la desserte en transports publics, surtout lorsque ces familles comptaient des adolescents, « les parents acceptant de moins en moins de jouer les « parents taxis ». (p. 35). Les transports ne sont pas le seul facteur de localisation. L’analyse en composantes principales (les enquêteurs demandent aux gens de noter 19 variables sur une échelle de 1 à 4) menée a fait ressortir aussi : la sécurité routière, la proximité du logement avec la famille, le calme et la tranquillité du lieu. Une étude menée par Joël Meissonnier à Istanbul fait ressortir l’importance de l’image du quartier habité par les jeunes. Quand le quartier a une mauvaise image et que les jeunes y vivent depuis peu de temps, ils cherchent à le quitter au quotidien et dans le futur. Toutefois, ceux qui y ont toujours vécu ont un autre rapport à l’espace, ils se sentent bien dans leur quartier et ne voient pas quel bénéfice ils auraient à tirer à aller ailleurs. On retrouve ces mêmes problématiques dans les travaux de Nicolas Oppenchaim, qui a travaillé sur les jeunes habitant des ZUS (zones urbaines sensibles) en Ile-de-France. Ce dernier montre qu’il existe jusqu’à cinq figures de jeunes dans leur rapport à la mobilité (les adolescents du quartier, les passionnés, les flâneurs, les flâneurs exclusifs et les encadrés à faible mobilité). Leur rapport différencié à la mobilité et à l’espace est à comprendre par le biais de leur apprentissage de la mobilité. L’initiation aux transports en commun passe par la famille, les pairs. Plus les parents ont vécu, eux mêmes, une mobilité au long court, moins ils sont hostiles à ce que leurs enfants bougent.
Les jeunes ne sont pas la seule clé de lecture des mobilités. Le cas des retraités double-résidents ou des hyper-mobiles ayant un logement sur leur lieu de travail éloigné de leur domicile familial est particulièrement intéressant (travail mené par Magali Pierre). Pour les uns (les vieux), c’est un choix. Pour les autres, c’est un compromis. Pas question d’ancrage comme en témoigne Eric : « S’il n’y a personne à la maison quand j’appelle le soir, je leur laisse un message : « Je suis au placard, vous me rappelez ! » (rires) (…). C’est un placard à balais où je peux mettre le balai à l’horizontal. Voilà comment je le définis. »
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes