La pression humaine sur la biodiversité est telle qu’apparaissent désormais les conditions d’une « épidémie de pandémies » pour reprendre les termes de Serge Morand. La parole de l’écologue et parasitologue, chercheur au CNRS et au CIRAD, est ici récoltée par Marie-Monique Robin, journaliste et réalisatrice, et s’ajoute à la soixantaine d’interviews qui compose ce riche essai essentiellement rédigé en novembre 2020.
Avec un regard historique, Stephen Morse (New York), fondateur de l’expression « virus émergent » explique que les recherches sur les maladies infectieuses se sont ralenties, voire stoppées car on pensait avoir éradiqué le plus gros mais c’était sans compter l’entrée de l’homme dans l’équation comme facilitateur et même générateur de l’apparition des maladies.
L’expression « disease ecology » ou « écologie de la santé » doit, elle, beaucoup à Serge Morand et Jean-François Guégan, également écologue et parasitologue, et s’entend comme « l’étude des facteurs environnementaux sur l’origine et la transmission des agents infectieux ». Et sur ce qui a pu être mesuré depuis les années 1940, 60 % des maladies infectieuses émergentes viendraient des zoonoses.
Quels sont alors les territoires d’émergence ? Et bien la déforestation aboutit à la mise en place « d’écosystèmes simplifiés », une chaîne où il manque un élément. La proximité homme/animal dans les élevages industriels est un facilitateur très net de contamination. La « pathogéographie » ou géographie des pathogènes révèle naturellement un gros réservoir dans la zone tropicale. Et là où certains esprits peu éclairés, y compris dans les hautes sphères, pourraient raisonner en se disant que là où il y a plus de biodiversité, il y a plus de pathogènes et donc que l’éradication serait la solution ; il convient de lire les choses plus finement en se disant que moins de biodiversité amènerait davantage de maladies infectieuses puisqu’il faut compter sur « l’effet dilution ».
Là, les risques de transmission ne sont pas équivalents partout dans le Monde et pour différentes raisons. Une chauve-souris stressée s’affaiblira au niveau immunitaire et sera plus facilement vecteur d’une transmission à autrui. Le microbiome (ou flore intestinale) diffère selon les zones du globe et explique la plus ou moins grande immunité des uns et des autres. L’exposition à la biodiversité protège, à long terme, des agressions, allergies…
Les modifications climatiques s’invitent inévitablement dans l’analyse. Le réchauffement modifie la distribution des êtres vivants. Les espèces terrestres se déplacent vers le Nord à raison de 17 km par décennie alors que les espèces marines parcourent, elles, 72 km par décennie pour gagner des eaux plus froides. Une température élevée augmente la multiplication des virus dans le corps des moustiques, ce qui augmente la probabilité qu’ils soient infectés. Le dégel du pergélisol révèlerait des virus pour lesquels l’humanité n’a aucune immunité. C’est là que la « phylogénétique » peut s’avérer intéressante : via l’étude de l’évolution des relations de parenté entre les êtres vivants, on apprend que, lors des phases de changement climatique, les pathogènes alternent entre spécialisation et généralisation et que les virus s’adaptent vite.
Une vision différente sur l’écologie est nécessaire. Elle est le parent pauvre des sciences qui sont extrêmement balkanisées. Le regard sur les contenus de formation est également nécessaire (cas des cours d’entomologie médicale qui se réduisent à peau de chagrin). Une vision par les services écosystémiques est proposée : la nature propose un service d’approvisionnement (eau, bois, nourriture), de régulation (climat, maladies, qualité de l’eau), culturel (récréation, plaisir esthétique), « de support » (formation des sols, photosynthèse). Il serait bon d’évaluer positivement tous ces apports pour sauver ces écosystèmes qui nous les fournissent.
La pauvreté est également à prendre en compte très rapidement : le besoin impérieux de terres agricoles amène inévitablement à la déforestation ; la surpêche réduit la pêche artisanale qui aboutit à la stimulation de la chasse en lieu et place…
L’arrivée du Covid-19 doit être vu comme un coup de semonce. A l’image des Mayas, notre système pourrait s’effondrer avec le peuple d’abord, ses élites peu de temps après. La lucidité sur le sujet, de l’auteure, des personnes interviewés et des futurs lecteurs de l’ouvrage n’est pas sans générer un certain pessimisme. Des choix important sont à faire : produire localement (éviter d’importer du soja brésilien pour nourrir des vaches allemandes), favoriser les recherches transdisciplinaires, s’intéresser enfin aux causes et ne pas mettre l’argent uniquement dans les conséquences (vaccins).
Pour l’anecdote : l’anagramme « chauve-souris » n’est rien d’autre que « souche à virus » et un conseil de film que ce « Mystère d’Andomède » de 1971…