Ce roman graphique présente trois affaires intimement liées sur fond de décolonisation et de lutte de pouvoir dans les coulisses des ministères de la IVe et de la Ve République.
« Tonton est en rayon » Blog de l’illustratrice Jeanne Puchol
Historien de formation, Patrick Rotman a forgé sa réputation sur des documentaires et des publications de grand sérieux. Ainsi, avec Hervé Hamon, il a été l’auteur de Génération (1987 et 1988) sur les années 1960. On lui doit La Guerre sans nom (1992), conçu avec Bertrand Tavernier, L’Ennemi intime et Violences dans la guerre d’Algérie (2002). Ces deux documentaires ont nourri le scénario qu’il a conçu pour L’Ennemi intime, film réalisé par Florent-Emilio Siri (2007).
Parmi ses nombreux ouvrages, Mitterrand, raconté … par le roman du pouvoir, co-écrit avec Jean Lacouture et Un homme à histoires (Seuil 2016), décrivent les agissements d’un homme au cœur des arcanes politiques.
Dans la bande dessinée, Patrick Rotman a scénarisé La veille du grand soir et Octobre 1917 aux Éditions Seuil-Delcourt. Il s’associe pour ce roman graphique avec Jeanne Puchol illustratrice depuis 38 ans.
Un homme à histoires
« J’ai passé ma vie à sculpter ma statue pour l’histoire ».
Une belle mise en abyme montre François Mitterrand, en 1994, posant devant un sculpteur, interrogé par une journaliste qui s’intéresse aux zones d’ombre de l’ancien président. Vaste programme selon lui !
En effet, ce roman graphique présente trois affaires intimement liées sur fond de décolonisation et de lutte de pouvoir dans les coulisses des ministères de la IVe et de la Ve République. Au milieu des années 1950, juste avant le retour de De Gaulle, François Mitterrand envisage déjà d’atteindre le sommet de l’État. Il est au centre de beaucoup de scandales qui secouent la vie politique.
« Vous êtes le Chopin de l’assemblée ! »
En mai 1954, l’affaire des fuites sous le gouvernement Mendès France est corrélée à la défaite de Dien-Bien-Phu et la fin de la guerre d’Indochine. Des renseignements auraient fuité du conseil de défense vers le PCF proche du Vietminh. Bien qu’innocenté, François Mitterrand a été l’objet de calomnie. Même Mendès l’a soupçonné. Il le considère premier de sa génération mais « devant se cuivrer la peau ». Si le gouvernement Mendès tombe au début de la guerre d’Algérie, Guy Mollet appelle Mitterrand à la Justice.
L’affaire du bazooka servira plus tard à « l’homme des ombres ». A Alger en janvier 1957, un attentat manqué vise le général Salan, commandant en chef de l’armée. Il s’agit de le remplacer par un sympathisant gaulliste partisan de l’Algérie française soutenu par Michel Debré.
En lien avec des inimitiés anciennes et des divergences politique, l’attentat de l’Observatoire en octobre 1959 s’avère un double coup monté. Ce faux attentat est proposé à François Mitterrand par un ancien député poujadiste, Robert Pesquet afin de redorer sa popularité . Le canular vite démasqué ruine un temps la réputation de l’homme visé. Lors du jugement, le futur locataire de l’Élysée fait ressurgir l’affaire du bazooka contre le premier ministre de De Gaulle.
Cet album évoque bien des ombres connues de François Mitterrand : d’anciens Collabos infiltrés au PCF, les dessous des négociations de Genève, la préparation du 13 mai 1958 à Alger, les plateaux de cinéma hantés par un séducteur en quête de starlettes aux studios d’Epinay, les dîners politiques à la brasserie Lipp…
Pourquoi un roman graphique ?
Ce médium convient parfaitement à la vie rocambolesque de l’ancien président. Tout en nuance de gris, le dessin de Jeanne Puchol, les allers et retours du récit mené par Mitterrand lui-même, scandent à merveilles les péripéties à la manière d’un bon polar. On ne lâche pas l’album jusqu’à la fin, même si ces événements nous sont partiellement connus.
Pour ceux qui ont vécu la victoire de la gauche et l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981, le passé trouble de ce dernier s’est dilué dans d’autres événements plus opaques encore. Les plus jeunes apprécieront de découvrir les dessous d’une histoire dont les déviances seraient, on l’espère, impossibles aujourd’hui !