Trente-six « chansons géographiques », à savoir « qui portent sur un lieu (réel ou imaginaire) ou sur un type de lieu » : voilà ce sur quoi porte ce très bel ouvrage dirigé par Raphaël Pieroni et Jean-François Staszak.
Construit sur l’analyse de géographes genevois tenant en une page mise en regard des paroles de la chanson étudiée, cet itinéraire musical s’étend de 1930 à nos jours et brasse des styles musicaux variés ainsi que des visions de l’espace également diversifiées.
On trouve donc au sein de ce livre des lieux réels multiples avec une légère surreprésentation de Genève (« Genève…ou bien » de Marie Laforêt, « Genève » présentée par William Sheller lui-même ou encore « YMCA » des Village People dont on apprend que le siège mondial de cette association se trouve à Genève) mais également des types de lieux comme par exemple l’île (réelle : « Belle Ile en Mer-Marie Galante » de Laurent Voulzy ou fantasmée : « La Isla Bonita » de Madonna) ou la banlieue décrite à maintes reprises. Certains y verront la face sombre non sans fierté parfois (« Seine-Saint-Denis Style » de NTM, « Belsunce Breakdown » de Bouga, « Rouge-Gorge » de Renaud), d’autres railleront les ghettos huppés (« Auteuil, Neuilly, Passy » des Inconnus, œuvre qui fera écho aux travaux des sociologues Pinçon-Charlot). La comparaison internationale est même possible avec les « Suburbs » d’Arcad Fire.
Les lieux dédiés à la musique sont abordés (les karaokés et discothèques qui ravivent « Alexandrie Alexandra » de Claude François) tout comme le pouvoir de production d’espace de certaines chansons (« Vesoul » se visite plus volontiers depuis Jacques Brel, le café Pouchkine a été crée à la suite de la chanson « Nathalie » de Gilbert Becaud).
Chacun décrit des lieux qui n’existent pas vraiment comme ça car les chansons, nécessairement subjectives, sont souvent composées ailleurs que l’endroit dont elles relatent les contours (on parle ainsi « d’imaginaires géographiques » ; on parle aussi de l’adjectif « anatopique » en écho à « l’anachronique »). De ce fait, les exagérations et approximations ne sont pas rares et quelques clichés, plus ou moins graves et robustes, se font sentir par endroit. L’Afrique en est hélas victime (pochette ensablée d’une Ethiopie pourtant non saharienne dans le « SOS Ethiopie » de Renaud ; racisme sexualisé gênant du « Africa » de Rose Laurens).
Il y a donc dans cet opus de quoi alimenter de nombreux cours de géographie dans différents cursus. Mention spéciale peut-être au « Dans ma ville, on traîne » d’Orelsan presque prêt à l’emploi avec une très fine description de la trame urbaine de la ville de Caen avec, en prime, un riche vocabulaire.
Une maquette sobre et graphique, une lecture très agréable qu’on prendra plaisir à accompagner des écoutes en question et, pour conclure, deux remarques minimes si jamais il prenait aux auteurs l’idée d’engager un second volet sur le sujet (il y a largement matière lorsqu’on regarde l’intéressante page 9 qui liste les « autres lieux ayant fait l’objet d’une ou plusieurs chansons – à savoir non retenues dans l’ouvrage): peut-être imaginer une petite carte de localisation des différents lieux (quand c’est possible) pour visualiser les sources d’inspiration et ajouter une brève biographie/bibliographie des contributeurs pour voir dans quelle mesure leur parcours les a amené à choisir telle ou telle chanson. On s’amusera enfin, au-delà de la question spatiale qui nous occupe ici, d’être les témoins des confidences éhontées des auteurs de ces contributions quant à leurs égosillements personnels sur les morceaux les plus kitchs de la sélection.