Qu’apporte la lecture du corpus, inexploré à ce jour, des chansons populaires à la saisie du phénomène touristique ? Que nous permet de comprendre des chansons populaires leur croisement avec le tourisme ? La réponse, simple à formuler, est riche dans ses développements : en paroles, en musiques et en pratiques, être touriste, c’est choisir une manière d’habiter le Monde.
Olivier Lazzarotti, géographe et professeur à l’Université de Picardie, nous emmène dans une balade musicale au doux air de vacances. Il avait aimablement de venir dans notre café virtuel en juillet. Merci à lui !
Qu’est-ce que le tourisme ?
Selon l’Organisation mondiale du tourisme, le tourisme comprend « les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité ». Le touriste, à la différence de l’excursionniste, passera au moins une nuit hors de chez lui. En France, avant le Covid, il y a eu 85 millions de touristes en 2018.
Cette définition comporte de multiples limites. Par exemple, elle met sur le même plan quelqu’un qui s’installe dans un pays pour le visiter et un autre qui ne fait que le traverser pendant plus de 24 heures pour se rendre dans un autre lieu de vacances.
La Géographie a permis d’approfondir la notion en réfléchissant aux activités pratiquées, à la rupture créée avec le quotidien dans le voyage, aux intentions des touristes eux-mêmes et à ce qu’ils sont. On voyage pour découvrir certes, mais aussi pour se reposer, pour joueur, voire pour faire du shopping. L’intérêt s’est progressivement déplacé des équipements vers les touristes eux-mêmes.
L’apport des chansons
On a longtemps méprisé ce que le répertoire musical pouvait apporter à la compréhension du monde présent. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des expositions, des prix distribués à des chanteurs (Bob Dylan est prix Nobel de littérature en 2016), des séminaires universitaires sont venus corriger le tir. Les géographesL’ouvrage a déjà été chroniqué par Christophe Meunier tentent de ne pas être en reste et cet ouvrage en fournit un témoignage.
Olivier Lazzarrotti a compilé un nombre impressionnant de chansons, essentiellement françaises, que l’on peut écouter au fil de la lecture en faisant jouer la magie YouTube. Pour les besoins de son ouvrage, il n’en a retenu que 200, allant de 1891 à 2020. On ne sera pas surpris, c’est au cœur des Trente Glorieuses que se niche le maximum de chansons de vacances, près de la moitié du total. Au registre des chanteurs, Henri Salvador, Alain Souchon, les Parisiennes, Pierre Perret ont produit une abondante discographie. Parmi les mots les plus fréquemment psalmodiés, on retrouve « plage », « soleil », « mers », « dimanches » et tous les mots d’amour. Paradoxalement, les mots du corps ne sont pas autant surreprésentés qu’on pourrait le penser.
Quant aux lieux, si le mot « France » est le plus cité, d’autres, plus précis, reviennent plusieurs fois : Saint-Tropez, Paris, Venise, Deauville, Capri, etc. Ils sont la transposition exacte et inattendue de la réalité géographique avec de grandes concentrations de visiteurs dans la capitale, sur la Côte-d’Azur et en Normandie. Les lieux hors de France, de Venise à New-York, fournissent un même décalque.
Les meilleurs passages pour le professeur
J’ai surtout retenu deux chapitres, à savoir le chapitre I et le chapitre V. Non pas que les autres ne soient pas intéressants mais ils seront sans doute moins faciles à articuler dans nos cours de Géographie. Un professeur de Français ou de Philosophie ferait certainement un autre choix.
La chapitre I s’intéresse à la dimension politique du voyage. Les chansons interrogent nos motivations : est-ce un refus du travail ? De l’école ? Voire de la famille ? Elles défissent notre rapport à l’altérité, nos valeurs de solidarité et de fraternité, notre appartenance à une même génération. Plusieurs répercutent une manière française d’habiter un monde américain. Pour découvrir la playlist, c’est par ici…
Le chapitre V évoque par contre la critique du tourisme dans la chanson. Les vacances sont un passage trop obligé pour être vraiment appréciées. Le visiteur est trompé par des arnaques multiples, son couple est mis à rude épreuve, les classes sociales s’y affrontent. Les résidents s’opposent aux touristes. La mixité n’existe pas. Envahisseurs, égoïstes, inconséquents, les touristes ont tous les torts. C’est en septembre, nous dit Gilbert Becaud, « que l’on peut vivre pour de vrai ». Pour découvrir la playlist, c’est par ici…