Le mot espagnol  Retirada désigne la « retraite » des Républicains espagnols qui, entre le 29 janvier et la mi-février 1939 à la fin de la guerre d’Espagne, passèrent les Pyrénées en plein hiver et dans  des conditions épouvantables,  pour trouver refuge dans la « patrie des droits de l’Homme ».

Fuyant les troupes franquistes lancées  à leurs trousses, ce sont près de 450.000 Républicains, hommes, femmes et enfants, qui sont mal accueillis en France. Vaincus, ils laissent derrière eux leur pays, leurs idéaux et font la douloureuse  expérience d’un exil qui sera souvent définitif. La famille  Bartoli, originaire de Barcelone, a connu ce destin des vaincus de la guerre civile et c’est cette histoire familiale qui est évoquée dans le livre « La Retirada Josep Bartoli – Exode  et exil des Républicains espagnols ».

Ce n’est donc pas un livre d’histoire de la Retirada, mais un livre sur la mémoire douloureuse et blessée d’une famille espagnole qui, à partir de 1939, fait l’expérience de l’exode et de l’exil en France. Une famille parmi tant d’autres… Pas tout à fait, puisque l’un des protagonistes de cette histoire, Josep Bartoli (1910-1995), est devenu un peintre et un dessinateur reconnu internationalement. Le livre croise donc deux histoires, celle de la famille Bartoli exilée à Perpignan et celle de Josep, le dessinateur exilé aux Etats-Unis, qui a laissé un précieux témoignage graphique sur  son expérience des camps de concentration où il a été interné en 1939 et 1940.

La mémoire blessée des exilés espagnols en France

La Retirada est la réédition  d’un ouvrage de 2009, publié  dans le contexte des débats sur la reconnaissance de la mémoire des Républicains espagnols victimes de la répression franquiste et qui donna lieu au vote de la loi de la mémoire historique (ley de memoria histórica), votée en 2007 sous le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero. Ce contexte nous semble important pour mieux saisir la raison d’être de ce livre.

Le récit de l’exode et de l’exil de la famille Bartoli est fait par Georges Bartoli,  le neveu de Josep Bartoli. Né en France en 1957, c’est son père, son oncle et sa mère qui ont vécu la Retirada. Il met ici par écrit une mémoire familiale dont il est l’héritier direct,   où le traumatisme de la défaite et la douleur de l’exil,  – dont  ne sait pas encore qu’il est définitif – font partie du quotidien : « Je connaissais la guerre d’Espagne  avant de naître! » (page 49)

Georges Bartoli ne cherche pas l’objectivité de l’historien et c’est ce qui fait l’intérêt de son témoignage. Lui qui  a reçu « l’exil en héritage » se fait l’interprête de la douleur et des souffrances de ses parents exilés. Il se montre sévère envers l’attitude de la République française qui, en 1939, a ouvert des camps de concentration pour interner des Républicains espagnols vaincus et considérés comme des indésirables.  De belles pages aussi sur la place obsédante occupée par la guerre civile et le pays perdu (la Catalogne plus que l’Espagne, ici…) dans le quotidien de la famille. Présence du passé qui explique en partie les engagements politiques  de Georges Bortoli devenu  adulte et sa sensibilité à la souffrance des exilés et des vaincus, d’où qu’ils viennent.

Georges Bortoli écrit  le récit de l’exode et de l’exil de ses parents, menant ainsi pacifiquement un combat contre l’oubli et l’amnésie dont la démocratie espagnole s’est accomodée depuis 1978. Photographe de métier, son récit est accompagné des photos, en noir et blanc bien sûr, qu’il a prises sur les chemins de la Retirada. 

 

Josep Bartoli : dessiner « les camps du mépris »

retirada Josep BartoliInterné dans plusieurs camps de concentration du sud de la France, Josep Bartoli, dessinateur engagé dans le camp républicain, a mis son crayon et son talent artistique, afin de  témoigner des conditions de vie terribles auxquels ont été soumis les Espagnols qui pensaient trouver un refuge en France. Dessiner était aussi sans doute pour lui une forme de survie dans cet univers hostile.  Ces dessins, qui illustrent richement  le livre, sont réalisés au crayon, avec des moyens rudimentaires. Ce sont des épures dessinées sur le vif et c’est ce qui leur donne leur force expressive,  leur beauté et en font de véritables documents iconographiques sur la réalité des camps de concentration du sud de la France. Bartoli caricature  les gardiens (gardes mobiles, soldats) en utilisant les codes de l’animalité; en revanche,  il s’attache à mettre en avant les conditions de vie concrètes et l’humanité souffrante des prisonniers et des  prisonnières soumis à l’arbitraire. Ce sont ces dessins qui ont servi de trame au remarquable film graphique Josep, sorti sur les écrans en 2020.

 

La Retirada a donc pour ambition de lutter contre l’amnésie qui menace l’histoire de ces vaincus de la guerre civile. Au delà du destin de la famille Bartoli, ce livre nous parle du déchirement que représente l’exil, surtout quand il n’est pas choisi, que l’on vienne d’Espagne ou d’ailleurs...