Ce nouveau numéro de la Documentation photographique est consacré à plusieurs des aspects centraux des programmes d’Histoire et d’HGGSP du lycée, à savoir le XIXe siècle dans sa dimension politico-culturelle d’une part, la construction des Etats-Nations d’autre part, tout ceci dans un contexte de tensions et de rivalités multiples.
Comme tous les numéros de la Documentation photographique, la revue est divisée en 3 parties: « Le point sur » qui a pour ambition de définir les thématiques abordées dans ce numéro ; « Thèmes et documents » qui approfondit légèrement un point en particulier en s’appuyant sur des documents d’époque ; et enfin la « Bibliographie ».
Les auteurs nous proposent un numéro extrêmement riche, et ce, dès la première partie. Le XIXe siècle est une période qui est revenue en grâce ces dernières années, notamment sous le traitement de l’histoire globale et transnationale, mais aussi par le traitement des Studies venus d’outre-manche ou d’outre-atlantique. Ainsi, cela permet au lecteur français de se décentrer de cette vision souvent franco-centrée autour des événements politiques qui ont touché notre pays.
Car l’agitation est partout dans ce foisonnant XIXe siècle. Les réflexions intellectuelles autour des notions d’Etat et de nation traversent les sociétés européennes, le bouillonnement politique est partout, les revendications « politico-socio-ethnico-économiques » plurielles. La grande force de la revue est d’en tisser les liens, d’en montrer les proximités mais aussi les rivalités.
Plusieurs grands temps rythment l’analyse des auteurs : la Révolution française et la propagation de ses idéaux en Europe sous l’égide de Napoléon; le congrès de Vienne; le « moment 1848 »: la décennie 1870. A chaque fois, ces événements sont mis en perspective au regard de l’historiographie récente, dans la volonté de les replacer dans un contexte plus global en Europe.
A travers cette base temporelle, les auteurs abordent des thématiques qui résonnent encore dans nos sociétés: la question de l’identité et de ce qui fait, soude, construit une Nation et/ou un Etat. A travers cette question rejaillissent plusieurs problématiques: la place de l’autre, l’intégration, la xénophobie.
Mais est aussi évoquée l’idée de « cimentification » de cette Nation à travers l’action politique: cette dernière va s’appuyer sur l’Ecole, la propagande, la construction d’ennemis réels ou fantasmés. Tout cela dans une longue trame qui mène doucement vers le point culminant des tensions nationales que représente la Première Guerre mondiale.
Enfin, dernier élément important, la question des acteurs. Au fur et à mesure des articles, les auteurs s’attardent sur ceux et celles qui ont fait cette période, que ce soit les personnalités les plus connues, en haut de l’échelle sociale et politique, que d’autres, moins reconnus dans le grand récit historique. Evidemment, une place est accordée aux femmes, souvent absentes des analyses historiques précédentes.
Comme très souvent avec la Documentation photographique, la partie « Thème et documents » est extrêmement fournie en documents divers, facilement réutilisables en classe, à n’importe quel niveau d’enseignement. Même si chaque article de cette partie est malheureusement est trop court (mais qualitatif évidemment), les auteurs mettent assez de liens pour aller approfondir si une thématique attise la curiosité du lecteur.
En définitive, un numéro indispensable pour tout enseignant d’HG dans le Secondaire, mais aussi pour toute personne curieuse de cette période si bouleversante pour nos sociétés. Il permet de créer du lien dans des programmes scolaires qui parfois en manque, il met de la perspective et élargit notre focale de raisonnement.
Présentation de la revue sur le site de l’éditeur
« L’histoire des nationalités européennes au XIXe siècle peut apparaître comme un sujet brûlant, que le temps n’aurait pas refroidi, tant les références à cette époque envahissent encore le débat public sur la nation aujourd’hui. En France, l’école de la IIIe République est sou- vent vantée pour avoir inculqué l’amour de la patrie auprès des enfants, tandis qu’en Italie, le siècle du Risorgimento est célébré comme ayant consacré l’unité du pays, au terme d’un processus dont on retient surtout les étapes et les visages glorieux. Dans un registre différent, l’Allemagne s’est longtemps interrogée sur la supposée “voie particulière” (Sonderweg) de sa construction nationale au XIXe siècle qui l’aurait conduite au nazisme, tandis qu’en Espagne la thèse d’une nationalisation faible ou ratée, qui expliquerait un prétendu échec de la modernisation du pays, continue de faire débat. Pour- tant, les recherches récentes tendent à nuancer et complexifier ces idées reçues sur notre passé : ce sont ces nouvelles problématiques que nous mettons en avant dans ce numéro. Si l’on croit tout savoir de la construction des États-nations en Europe, il n’en reste pas moins que plusieurs approches historiographiques ont profondément renouvelé cet objet d’histoire au cours des dernières décennies. Elles ont conduit à s’éloigner des perspectives traditionnellement centrées sur les chefs d’État : ainsi, au lieu du face à face bien connu entre Napoléon III et Bismarck, longtemps mis en lumière dans les travaux sur la guerre franco-allemande de 1870, on étudie davantage aujourd’hui le rôle des combattants français et allemands, des volontaires internationaux mais aussi des civils, acteurs d’un véritable conflit transnational. Plus largement, les recherches actuelles s’at- tachent à rendre leur place aux acteurs ordinaires de la construction nationale et à montrer le rôle central des peuples dans ces processus. Les femmes constituent d’autres protagonistes oubliés de l’histoire de la construction des États-nations, à une époque où, paradoxalement, on crée des allégories féminines pour incarner les nations européennes, de Britannia à Germania en passant par Helvetia et Marianne. Même privées de droits, les Européennes ont contribué à faire les nations, par exemple en participant aux barricades de 1848, mais aussi en dénonçant les limites de constructions poli- tiques qui tendaient à les exclure. Leur implication rappelle également que l’émergence des États-nations au XIXe siècle, loin d’être un processus linéaire et inéluctable, a donné lieu à des débats, des combats et des projets variés, qui ont contribué à façonner la modernité politique de l’Europe. Enfin, l’idée que les communautés nationales auraient été homogènes et endogames au XIXe siècle a été remise en cause. Le tournant global et connecté pris par l’historiographie depuis une trentaine d’années a permis de porter un regard nouveau sur des phénomènes qui avaient été surtout étudiés à l’échelle nationale. En analysant ces processus à d’autres échelles, du local au global, on constate que les migrations, les brassages, les hybridations culturelles et les circulations politiques qui marquent le long XIXe siècle ont eu des répercussions considérables sur la naissance et la structuration des États-nations, et que l’histoire de ces derniers ne peut s’écrire sans prendre en compte ces phénomènes transnationaux. »
Présentation des auteurs
Delphine Diaz
Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, membre du laboratoire CERHiC, membre junior de l’Institut universitaire de France.
Alexandre Dupont
Maître de conférences en histoire contemporaine, membre du laboratoire ARCHE.