Réalisés en 2005 et exposés au musée de l’Homme en 2007-2008, les dessins présentés dans cet ouvrage questionnent le rapport à la nature de dizaines d’enfants des quatre coins du monde. Travail de fond de 14 chercheurs, essentiellement ethnologues, cette collecte transcende le cadre d’une recherche en s’affichant comme le témoignage indispensable de la prise de conscience des questions environnementales chez l’enfant.

Ciblant des enfants entre 9 et 13 ans, effectué dans la salle de classe ou en extérieur, le travail demandé répondait à la simple consigne de « dessiner sa nature ». Outre une présentation du cadre de vie où évoluent les enfants, l’analyse distingue le « vivre la nature », qui pointe les connaissances spécifiques sur le milieu, le type de transmission des savoirs…et le « penser la nature », qui passe en revue les perceptions, les croyances et qui démontre…que tout ne se dessine pas.

Si des écarts énormes existent entre des enfants familiers des techniques d’arts plastiques et ceux qui découvraient feutres et crayons de couleurs pour la première fois de leur vie, le rendu s’avère, dans tous les cas, épatant de précision. Qu’il s’agisse de représentations d’espèces ciblées (grues, coqs de bruyère, raies manta, zébus, tangues, squilles et autres poulpes), de composantes du paysage (prairies verdoyantes du Kirghistan, fjords du Groënland, champs d’oliviers de Syrie ou fonds sous-marins thaïlandais) ou encore de techniques de chasse, pêche, élevage et cueillette, les productions sélectionnées témoignent d’une connaissance aiguë des environnements quotidiens des enfants. Cela est d’autant plus vrai pour la pêche, les poissons n’ayant jamais pu être vus dans leur milieu naturel.

Les éléments de la modernité sont présents parfois : télévisions, moteurs sur les bateaux, coca-cola frais mais surtout moyens de transports qui symbolisent le rempart à l’isolement mais aussi les possibilités de sauvetage (aéroport, hélicoptères, motoneiges). Les petits malgaches ont même dessiné les 4×4 des chercheurs de l’IRD, les véhicules étant rares dans la région !

Deux régions, plus urbanisées, apportent d’intéressants éléments de comparaison avec les neuf précédents territoires, plus retirés. L’exemple de la Réunion est l’occasion d’introduire la question de la présence de la nature dans la ville et de montrer que les activités traditionnelles trouvent des débouchés plus modernes, dans les usines de canne à sucre. L’exemple du Piémont Jurassien montre lui, que la nature est présente dans les jardins et que la mobilité emmène facilement aux sports d’hiver et sur les plages des plans d’eaux.

Les chapitres se terminent donc sur les perceptions que peuvent avoir les enfants sur les forces et esprits qui animent la nature. On se questionne là sur l’origine des animaux (en Guyane, la chenille descend de l’arbre puis se transforme en poisson), sur les bons comportements à adopter (le génie des eaux gabonaises qui régulerait les ressources maritimes ou la transformation en lémurien pour les mahorais qui souilleraient le riz sacré) ou la toute puissance des éléments (vu la date de réalisation des enquêtes, la grande vague ayant touché la Thaïlande et la Birmanie est dessinée vivante avec des yeux et des dents, faisant même pleurer le soleil !).

Sur la forme, la conclusion de cette visite révèle avec éloquence l’acquisition précoce des savoirs naturalistes par les enfants. Sur le fond, le débat demeure celui de la sauvegarde d’un patrimoine matériel et immatériel menacé comme le symbolise l’ours sibérien en colère contre les détritus qui viennent s’amonceler sur ses terres.

Une œuvre réalisée dans la passion de la relation chercheurs-enquêtés, un splendide objet haut en couleurs, et donc une belle entrée dans la Cliothèque pour les éditions du CTHS, l’occasion de souligner une nouvelle fois (est-ce nécessaire ?) les talents de fin limier de notre gourou Bruno Modica, infatigable dénicheur de nouveaux « artistes ».