Les biographies revisitées de plusieurs personnages semblent avoir la faveur des éditeurs, mais aussi sans doute des lecteurs. La réédition en collection de poche de cet ouvrage assez ancien, permet à son auteur de revenir sur la fin de ce livre sur les conditions sans doute encore sujettes à caution de la mort de Nicolas II au début du mois de juillet 1918. Le tsar Nicolas II était monté sur le trône en 1894 et a gouverné le pays à l’époque la plus difficile pour la Russie. Un gouvernement faible, un mouvement grandissant d’ouvriers et la première guerre mondiale ont rendu la monarchie faible et ont amené l’empire russe vers la révolution.
Après la révolution de février en 1917, Nicolas II a été arrêté, puis plus tard déporté à Tobolsk, une ville sibérienne, et enfin à Ekaterinbourg. En août 1918 la Russie s’est trouvée dans le feu de la guerre civile – les armées rouge et blanche se combattaient avec un succès variable. L’armée blanche a entouré Ekaterinbourg et a créé une menace directe sur la libération du tsar. C’est pourquoi les bolcheviques ont décidé d’exécuter le tsar avec sa famille et de cacher leurs restes.
La mort de la famille Romanov en question
Quatre-vingts ans plus tard, jour pour jour, les restes des Romanov ont été ensevelis dans la nécropole impériale de la cathédrale Pierre et Paul, à Saint-Pétersbourg. Le souverain, son épouse Alexandra, leurs filles Tatiana, Olga, Maria, Anastasia et le tsarévitch Alexeï, ont rejoint au panthéon des saints du calendrier orthodoxe les trois autres dirigeants de l’État russe à y figurer : Vladimir le Grand, qui a christianisé la Russie (988), Daniil, chef de la principauté de Moscou et Dimitry Donskoï, qui vaincu les Tatars.
Toutefois, lors de cette inhumation en grande pompe à Saint-Pétersbourg, une partie de l’église a refusé de participer aux cérémonies pour autant qu’elle jugeait, sans tro le dire, que toute la famille n’y figurait peut-être pas. Pourtant, des tests ADN, menée à partir de prélèvements effectués sur la famille royale anglaise, apparentée aux Romanov, ont bien montré des liens avec les restes découverts dans la forêt proche de la ville de Ekaterinbourg. Mais il semblerait qu’il manque deux ou trois corps à la série, ce qui a pu permettre d’accréditer la thèse de survivants, et on pense évidemment à la princesse Anastasia, et même au tsarévitch Alexis dont il avait été retrouvé des traces dans une forêt de l’Oural.
Mais bien entendu, cette partie qui se trouve en fin d’ouvrage et qui relèvent de ces énigmes historiques qui suscitent toujours de l’intérêt, mais pas celle qui est la plus intéressante. La biographie de Marc Ferro, nous éclaire surtout sur les conditions politiques de la Russie lors de son accession au trône en 1894.
Retour à Nicolas le Sanglant
La démarche de l’auteur et de montrer les similitudes qui peuvent exister entre le tsar Nicolas II et Louis XVI, lui aussi victime des convulsions de l’histoire. Nicolas II tout comme Louis XVI n’était pas vraiment un homme de pouvoir. Associé vaguement au règne de son père, le tsar Alexandre III, le tsarévitch Nicolas ne brille pas par sa constance ni par sa compétence. Après avoir consacré sa jeunesse à organiser des parades militaires et des chasses, il obéit à son père le tsar Alexandre III, largement influencé par l’empereur Guillaume II, pour épouser la duchesse Alice de Hesse, dont il tombe éperdument amoureux. Alice se convertit à l’orthodoxie, et le couple sera résolument uni, en toutes circonstances. Quatre filles et un garçon, le malheureux tsarévitch Alexis, hémophile, composeront cette famille exemplaire. Le tsar Nicolas II est très clairement dépassé par les convulsions qui agitent la société russe. Les cérémonies du sacre se déroulent plutôt mal, une bousculade cause 1282 décès, ce qui peut apparaître comme un sinistre présage. De plus, le jeune tsar prend comme modèle le père de Pierre Legrand, Alexis le pieux, le plus traditionaliste de tous les princes qui ont régné sur la Russie, entre 1645 et 1676. C’est d’ailleurs en réaction aux troubles qui ont marqué le règne de son père, que Pierre Le Grand s’est engagé dans son combat pour la modernisation de la Russie et son ouverture en Occident.
Le tsar Nicolas II est loin d’être de la trempe de Pierre Le Grand et de Catherine de Russie, il est profondément conservateur, extrêmement pieux, réfractaire à tous les bouleversements, et très clairement antisémite.
Les nombreuses biographies du tsar Nicolas II qui ont été publiées après la première édition de cet ouvrage, les films documentaires qui lui ont été consacrés, n’insistent pas vraiment sur le contexte social et politique de la Russie sous le règne de celui que l’on appellera à la fin de son règne, Nicolas le sanglant. On assiste habituellement sur son sens de la famille, sur l’amour qu’il porte à la tsarine, sur ses talents de photographe et sur son profond patriotisme. Et c’est sans doute ce qui le conduit, à deux reprises, en 1904, comme en 1914, à engager l’empire dans des guerres que l’économie russe était incapable d’assumer, d’autant plus que le pays ne disposait pas de la structure administrative efficace indispensable pour mener à bien une militarisation de la société.
Cette biographie présente un tsar clairement dépassé par des événements trop grands pour lui, pour lequel on peut éprouver une certaine empathie, et à certains égards de la pitié. Il n’était pas un homme de pouvoir, mais son entêtement à vouloir maintenir le système autocratique, hérité de son père Alexandre III, et de la plupart de ses prédécesseurs, lui a été fatal.
L’ouvrage est également riche de détails sur cette période qui précède l’entrée en guerre de 1914, avec les rapports de force politiques qui s’expriment au sein de la douma concédée après la révolution de 1905. Encore une fois, le tsar Nicolas II n’a pas compris ce qui pouvait se passer, et notamment le fait que insensiblement, une partie significative de la société russe avait déjà évacué de ses schémas mentaux la référence au tsarisme.
L’exécution ou l’assassinat, comme on voudra, de la famille impériale, qu’elle ait été totale ou incomplète, s’inscrit dans la logique politique de rupture que le pouvoir bolchevique voulait imposer. Il fallait tirer un trait sur le tsarisme en mettant fin à une dynastie. Alors peut-être que l’exécution s’est faite sous le coup de la nécessité, peut-être avec une décision prise au niveau local, tant il est vrai qu’en juillet 1918, en pleine guerre civile, l’existence du tsar pouvait apparaître comme menaçante. De plus, des forces blanches, et notamment la fameuse légion tchèque, se trouvait à quelques journées de cheval de Ekaterinbourg.
La libération du tsar et de sa famille par les blancs aurait sans doute porté un coup fatal au pouvoir bolchevique et très probablement incité les forces occidentales à apporter un soutien beaucoup plus déterminé aux armées blanches de Denikine.
Au moment où l’on a souvent tendance à développer un registre compassionnel face aux convulsions de l’histoire, cet ouvrage qui présente les rapports de force dans la Russie prérévolutionnaire n’est pas dénué d’utilité. Il permettra aux professeurs et aux étudiants de remettre en perspective historique la fin de la dynastie des Romanov et les débuts de la Russie soviétique.
Bruno Modica ©