Etre soldat de Hitler : la formation
Le premier aspect étudié est l’endoctrinement. Il débute dès le plus jeune âge au travers du Jungvolk, de la Hitlerjungend puis du RAD, et inculque les conditions essentielles afin d’être un bon soldat du Führer : la condition physique, la foi inébranlable en Adolf Hitler et dans les valeurs du régime nazi, l’Obrigkeit, c’est-à-dire l’obéissance à l’autorité et enfin le sens de la camaraderie donnant ce sentiment de faire partie d’une même communauté, la Volksgemeinschaft.
Puis, arrive le temps de l’appel à servir sous le drapeau du Reich à l’âge de 20 ans. Le conseil de révision, la délivrance du Soldbuch (le livret militaire), la vie à la caserne pour ces Grünschnabel sont ainsi développés par l’auteur. On peut déjà y déceler « un lien étroit entre la discipline en vigueur au sein de la Wehrmacht et l’idéologie du régime nazi, qui impose sa conception de la morale à l’institution militaire » (p.40-41). L’entraînement de ces soldats, encadré par des officiers qui sont les symboles de l’excellence, est aussi détaillé. Si au départ existe un véritable cycle d’instruction avancée, les exigences de la guerre réduiront l’entraînement à un reliquat de formation qui devra, en grande partie, s’apprendre sur le terrain.
La politisation de ces soldats de Hitler et le processus de nazification de l’armée font partie intégrante de ces années de formation. Ils passent bien sûr par l’éducation politique dans les casernes et les écoles d’officiers. Ainsi, l’armée accepte en grande partie « de se plier à l’antisémitisme de l’Etat qu’elle sert » (p.93). Pendant la guerre, la nomination d’officiers de propagande permet, notamment dans le contexte difficile de la fin du conflit, de mieux disséminer l’idéologie nazie et d’inculquer aux soldats la haine et une volonté d’extermination sans limite.
Benoît Rondeau précise aussi le cas particulier de la Waffen SS dont l’histoire débute dès 1936. Le recrutement est basé sur le volontariat, ce qui implique bien souvent des motivations politiques et idéologiques, et sur la sélection reposant notamment sur des critères physiques (ex : taille minimum de 1,75 m). Cela explique chez ces soldats une politisation plus forte que dans la Wehrmacht, l’absence de pitié pour l’ennemi, « un mépris des règles de la morale communément acceptées » (p.103) ou encore le sentiment d’être les meilleurs représentants de la race aryenne. Ce sentiment d’exception est cultivé par des codes, des pratiques et des usages : les runes et têtes de morts de leurs uniformes noirs ou feldgrau, le tatouage du groupe sanguin sous l’aisselle gauche, le tutoiement des officiers ou encore l’acceptation par le code d’honneur des officiers de la pratique du duel à l’épée.
Etre soldat de Hitler : l’expérience combattante
Les conditions matérielles et la vie quotidienne des soldats de la Wehrmacht au front sont parfaitement détaillées : l’alimentation, l’équipement, les tenues, les loisirs, le soin des blessés, l’enterrement des morts. Bien sûr, Benoît Rondeau nuance son propos en fonction des lieux et des saisons des combats : l’hiver russe, le désert nord-africain, le bocage normand ou les marais finlandais.
Les conditions de ces combats sont ensuite détaillées en fonction de la chronologie :
- les années fastes du Blietzkrieg (1939 à 1942). Cette stratégie repose sur la combinaison panzers/Luftwaffe qui rassure l’infanterie comme en Pologne ou en France. C’est une guerre harassante pour les soldats qui parcourent jusqu’à 50 km par jour ! L’été 1942 marque la fin de la période faste du Blietzkrieg avec les dernières chevauchées impressionnantes jusqu’à Stalingrad ainsi qu’à El-Alamein avec l’Afrikakorps.
- la transition vers une guerre de positions (1942-1945). Ces années sont marquées par la mise à l’abri de la Wehrmacht dans ses lignes bétonnées (bunker) puis par deux expériences nouvelles et déconcertantes : la retraite et l’encerclement. On peut citer l’opération « Bagration » en Biélorussie à l’été 1944 ou Stalingrad entre novembre 1942 et février 1943. Dans ce contexte difficile, les soldats doivent aussi combattre en état d’infériorité numérique. Face à l’URSS, en juin 1944, les Soviétiques sont 7,25 millions face à 2,62 millions d’Allemands. Sur le front de l’Oder, la Wehrmacht défend à 1 contre 4 en hommes … et à 1 contre 15 en blindés ! Le 25 août 1944, on ne compte pas plus de 380 000 Allemands en Normandie contre 1,4 million d’Alliés.
Les panzers et ses as apportent beaucoup à l’armée allemande. Elle inflige ainsi de très lourdes pertes en blindés à leurs ennemis : les hommes de Rommel détruisent 1 188 tanks en Libye en mai-juin 1942 (le double de leurs pertes). Au fil de la guerre, les blindés se perfectionnent mais restent toujours trop nombreux car si la production augmente, les pertes aussi ! Benoît Rondeau décrit alors avec précision les caractéristiques des Tiger et des Panther ainsi que les armes antichars : canons, mines, le bazooka …
De manière plus générale, l’auteur insiste sur un armement qui est de qualité mais extrêmement hétéroclite. Il passe en revue les missiles V1 et V2, entrés en action tardivement et mal employés, le matériel radio déficient à l’origine de nombreux problèmes de transmission, le parc automobile insuffisant et les problèmes logistiques entraînant de récurrentes pénuries de munitions ou de carburant.
La guerre aérienne de la Luftwaffe occupe tout un chapitre. Les hommes de Goering utilisent des appareils « entrés dans la légende de l’histoire de la guerre aérienne et de l’aéronautique » (p.302) comme le Messerschmitt Bf-109 ou le Junkers Ju-87 Stuka. Cette flotte aérienne, taillée pour une Blitzkrieg, est ensuite lancée dans la guerre mondiale avec deux missions prioritaires : bombarder et transporter. La Flak, la DCA allemande, constitue un des atouts maitres, « redouté et redoutable » (p.335) de la Luftwaffe.
La marine allemande des amiraux Raeder et Dönitz semble être la branche la plus défavorisée de la Wehrmacht. Les effectifs et les moyens ne sont pas suffisants. En effet, le tonnage et le nombre de bâtiments de la Kriegsmarine sont bien modestes. La grande affaire de la marine allemande est la lutte contre les Anglais dans l’Atlantique (et en Méditerranée). Mais, la multiplication des fronts ainsi que la puissance de ses adversaires « grèvent le panel des options possibles pour la Kriegsmarine » (p.353). En Baltique et en mer Noire sont, par exemple, déployées des unités allemandes. Faute de points d’appui en outre-mer, l’Allemagne est obligée de ravitailler grâce à une flottille de navires et de sous-marins ravitailleurs qui sillonnent les océans. Mais la Royal Navy réussit à démanteler ce système de ravitaillement en coulant la plupart de ces navires. L’autre difficulté pointée par l’auteur est l’impossible coopération avec le Luftwaffe. Les U-Boote sont indispensables à cette marine allemande mais y servir est terriblement risqué. 28 000 sous-mariniers perdent la vie durant la guerre et 5 000 sont faits prisonniers. 1 156 U-Boote ont été perdus dont 675 au combat et 396 sabordés ou saisis par les Alliés. L’auteur n’oublie pas de souligner que l’Allemagne a été devancière dans le domaine de l’assaut amphibie notamment lors de l’opération Weserübung en acheminant les troupes d’invasion de la Heer jusqu’en Norvège « au nez et à la barbe de la Royal Navy » (p.382). Afin d’assurer des rades sécurisées à la marine, de vastes bases bétonnées sont construites sous la férule de l’organisation Todt comme à Brest, Lorient, Kiel ou Hambourg.
Etre soldat de Hitler : les relations avec les civils
Benoît Rondeau s’intéresse, dans un premier temps, aux liens entre les soldats et les civils au travers du courrier ou du temps de la permission. Dans les pays occupés les relations sont « variables dans l’espace, sont de diverses natures (travail, réquisition, logement, amour …), elles connaissent également une évolution dans le temps : avec la perspective de la défaite – ou de la victoire pour les autres -, les relations évoluent, changent se nuancent » (p.421).
- A l’Ouest, aux premières heures de l’Occupation, les autorités bannissent toute forme d’arrogance. Le pillage, la destruction des biens des civils ainsi que l’oppression sont condamnés. Mais, l’hostilité prend un aspect plus marqué dès 1941 en raison de la dureté de l’Occupation et des déceptions vis-à-vis de Vichy.
- A l’Est, pour Benoît Rondeau, les Soviétiques « sont assimilés à des animaux, des sauvages illettrés et barbares » (p.444). Les relations avec les femmes slaves sont souvent empreintes de violence.
L’armée allemande, Wehrmacht et Waffen-SS, a pris une part directe dans les crimes commis au nom de l’idéologie nazie du pillage jusqu’aux actions criminelles perpétrées à l’encontre des minorités considérées comme des sous-hommes et vouées à disparaître.
- A l’Ouest, on pense bien sûr aux colonnes de réfugiés qui sont les cibles des attaques de Stukas lors de l’Exode ou aux massacres d’Ascq (2 avril 1944, 86 civils tués par les jeunes soldats fanatisés de la 12e Panzer SS Hitlerjungend en réponse à un attentat) ou de Nîmes (17 civils pendus par les jeunes Waffen-SS de la 9e Panzer SS Hohenstaufen. La violence se déchaîne après le Débarquement comme l’illustrent tragiquement les massacres d’Oradour-sur-Glane (10 juin 1944, la 2e Panzer SS Das Reich y massacre 642 hommes, femmes et enfants), de Tulle (99 otages pendus aux balcons et des centaines d’autres arrêtés et déportés en Allemagne) ou de Maillé (25 août 1944, les Waffen-SS de la 17e Panzergrenadier SS Götz von der Berlichingen anéantissent le village et assassinent 124 de ses habitants. L’auteur note que ces massacres « s’effectuent sous l’autorité d’un état-major de corps de la Wehrmacht et ne soulèvent aucune protestation » (p.470). Il faut ajouter à cette liste, les crimes commis contre les soldats alliés avec par exemple les exécutions de prisonniers.
- La campagne de Pologne est le laboratoire d’une guerre menée sous l’égide de l’idéologie nazie. Si celle-ci occupe une place relativement secondaire dans la guerre à l’Ouest, à l’Est le racisme imprègne l’armée allemande et va se traduire par une multitude de massacres. Pour Benoît Rondeau, « la Pologne constitue dans une certaine mesure une phase d’accoutumance à une nouvelle forme de guerre : une guerre menée sous le sceau de l’idéologie raciale. Cette nouvelle conception du combat trouvera son acmé dans l’affrontement contre l’Union soviétique deux ans plus tard » (p.474-475). La liste des crimes est longue : viols, massacres de soldats et de civils, incendies de villages, …
- Les massacres des prisonniers de guerre soviétiques constituent aussi un crime étant donné qu’aucune des garanties accordées aux prisonniers par les conventions de la Haye et de Genève n’est assurée. L’auteur rappelle ces chiffres : sur 5,7 millions de soldats soviétiques faits prisonniers par l’armée allemande, 3,3 millions sont morts en captivité, dont 2 millions au cours du premier hiver de la guerre en Russie. Les massacres ne se limitent pas à l’exécution des commissaires politiques, les soldats de Hitler procèdent rapidement à des massacres collectifs.
- En Union soviétique, les soldats de Hitler se font les complices de la Shoah. Le massacre de Kaunas, en Lituanie, survenu à peine 3 jours après l’invasion de l’URSS, cause la mort 1500 Juifs qui sont massacrés par l’Einsatzgruppe A. Ce crime est commis « au vu et au su des soldats allemands présents à Kaunas, dont le quartier général relève de la 16e armée » (p.491). Lors du massacre de Babi Yar, ce sont 34 000 Juifs qui sont assassinés dans ce ravin. La compromission de l’armée dans la Shoah y est à nouveau prouvée. En effet, les responsables de la Wehrmacht s’accordent avec les SS pour que les Juifs de Kiev subissent les représailles suite à une vague d’attentats servant de prétexte. Aussi, si les exécutions sont le fait des Einsatzgruppen, les soldats du génie de la Wehrmacht participent à la dissimulation du massacre. L’auteur relève aussi les quelques attitudes de refus dont le célèbre exemple de Wilm Hosenfeld porté à l’écran par Roman Polanski dans son film Le pianiste. Pour Benoît Rondeau, le constat est donc accablant pour l’armée de Hitler, « la Shoah ne serait jamais survenue sans son concours, ses victoires et sa fidélité sans faille au régime criminel qu’elle sert » (p.495).
- Les crimes commis sur les autres fronts ne sons pas oubliés comme ceux commis dans les Balkans ou en Afrique. L’idéologie nazie est évidemment aussi répandue au sein de ces unités mais « les soldats de la Wehrmacht pétris d’antisémitisme se heurtent aux pratiques des Italiens qui ne partagent nullement leur vision raciale de l’humanité » (p.501). Enfin, les crimes commis en Italie et enfin dans le Vaterland durant les derniers mois de la guerre sont abordés.
Etre soldat de Hitler : résister
La résistance à Hitler au sein de la troupe existe bien sûr. Le cas de Helmut Schmidt, futur chancelier de la RFA, est développé de son exclusion des Jeunesses hitlériennes à ses critiques des ténors du parti dont Goering. L’opposition naît véritablement de la perspective de la défaite à venir. Le général Henning von Tresckow devient alors l’âme d’une résistance qui se révèle de plus en plus active et radicale. Au départ, l’idée est de faire renoncer Hitler au commandement de la Wehrmacht puis elle se mue en la préparation de son assassinat menant à la célèbre opération Walkyrie et l’attentat du 20 juillet 1944. Benoît Rondeau met le lecteur en garde, « il ne faut pas voir en ces hommes des démocrates en puissance (…). Ils rêvent d’une société d’ordre et partagent bien des valeurs avec le régime abhorré (…). Le revirement de Stauffenberg s’explique aussi par la découverte du génocide subi par les Juifs et le refus d’accepter la guerre monstrueuse de Hitler, qui avait donc menti sur les causes de celle-ci » (p.514).
Etre soldat de Hitler : et après ?
En 1945 et dans l’immédiat après-guerre, les soldats assistent à l’effondrement d’un système de valeurs. La lutte jusqu’au bout coûte la vie à 1,5 million de soldats après décembre 1944 (sur les 5 millions). On dénombre aussi 8,7 millions de soldats allemands prisonniers à l’été 1945. Rapidement surgit le mythe d’une Wehrmacht « propre » dans un contexte de refoulement du passé et de négation de toute culpabilité. De nombreux anciens soldats de Hitler estiment être des victimes. Ce déni de culpabilité est notamment porté par des généraux et maréchaux comme Manstein ou Brauchtitsch qui ont l’occasion de rédiger un mémoire à l’intention du tribunal militaire international de Nuremberg. Pour l’auteur, ce procès au retentissement mondial « n’envisage à aucun moment l’éventuelle complicité et responsabilité de la Wehrmacht dans la Shoah » (p.545). Si certains de ses hauts responsables sont condamnés à mort (Goering, Jodl, Keitel) ou à l’emprisonnement (Raeder, Dönitz), la Wehrmacht n’est pas reconnue comme « organisation criminelle ». Le contexte international de la guerre froide viendra perpétuer ce mythe de la Wehrmacht au travers d’Eisenhower devenu commandant en chef de l’OTAN en 1951 ou du chancelier Adenauer. Durant l’après-guerre, une entraide existe entre les anciens de l’armée notamment afin de trouver un emploi ou pour obtenir des biens de nécessité, « la camaraderie du front se perpétue donc » (p.546). Ces anciens combattants du Führer perpétuent aussi la mémoire du mythe de la Wehrmacht propre et apolitique mais se heurtent aux réalités politiques. Lorsque Dönitz est inhumé à Aumühle en janvier 1981, les anciens de la Kriegsmarine sont outrés que le gouvernement fédéral n’ait pas accordé de funérailles nationales mais aussi de ne pas avoir été autorisés à revêtir leur uniforme pour l’occasion. Benoît Rondeau n’oublie pas de citer et de saluer le travail essentiel des historiens qui va venir préciser le quotidien, le rôle et l’implication de ces soldats de la Wehrmacht. Citons par exemple les travaux de Omer Bartov et plus récemment ceux de Marie Moutier-Bitan (Lettres de la Wehrmacht et Les Champs de la Shoah, l’extermination des Juifs en Union soviétique occupée, 1941-1944) ou de Christian Baechler (Guerre et exterminations à l’Est. Hitler et la conquête de l’espace vital 1933-1945).
Cet ouvrage n’est pas un simple livre d’histoire militaire. Benoît Rondeau nous offre une étude élargie et renouvelée de cette armée de Hitler. S’il développe avec précision la formation, l’armement ou le quotidien au front, il interroge aussi les liens avec les civils, le degré de nazification, l’implication et la responsabilité de ces hommes dans la Shoah ainsi que les enjeux mémoriaux. Il nous donne ainsi une image plus nette de ces hommes ayant servi, volontairement ou non, « une cause indéfendable, une cause qui devait perdre pour le bien de l’humanité. « L’honneur est le bien le plus précieux du soldat », affirme le général von Brauchitsch en 1938. L’honneur est pourtant ce qui a manqué à ces soldats de Hitler qui furent de formidables combattants et des professionnels sans égal » (p.596).
Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux