reçu en service de presse par une expédition spontanée de l’éditeur, le 22 août 2014, cet envoi coïncide avec la journée la plus meurtrière de l’histoire de France, un siècle auparavant. Lors de cette bataille des frontières, pendant cette période que l’on a appelée la guerre du mouvement, le nombre des victimes dans les deux camps a littéralement dépassé l’entendement.
Cet ouvrage de Christophe Dutrône qui est présenté sur le site de l’éditeur comme historien militaire consacre un chapitre entier à cette bataille des frontières, sans rien négliger, y compris l’affaire du 15e corps en Lorraine en août 1914. Nous avons déjà évoqué cet épisode à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Jean-Yves le Naour, « la légende noire des soldats du midi. »
De l’avantage allemand…
Christophe Dutrône revient très opportunément sur les doctrines stratégiques et tactiques de l’armée française à la veille de la guerre qui explique les difficultés rencontrées lors des premiers mois du conflit, jusqu’au redressement lors de la bataille de la Marne. Le général Joffre appliquant le fameux plan 17 s’engage à l’assaut de l’Alsace. Partant du principe que les populations se soulèveront comme un seul homme pour accueillir l’armée de libérations, Joffre s’engage, ou plutôt engage ses troupes sur un chemin que l’artillerie lourde allemande avait déjà largement balisé de repères d’artillerie. Le résultat est un échec sanglant. C’est d’ailleurs pendant cette période que les conseils de guerre pour lâcheté et désertion devant l’ennemi ont le plus fonctionné, notamment avec la complicité de médecins militaires très enclins à suspecter des cas d’automutilation.
Incontestablement pendant les premiers mois de la guerre l’avantage tactique a été celui des Allemands. Bien équipés, dotés de téléphones de campagne, de systèmes d’observation, d’une artillerie lourde à très grande portée, les soldats allemands ont très vite compris que l’offensive à outrance face à des nids de mitrailleuses pouvait se révéler dévastatrice. L’état-major français, surtout après la défaite de 1870, avait remis au goût du jour la doctrine napoléonienne, basée sur des mouvements rapides d’infanterie assortie d’une artillerie mobile. Le fameux canon de 75 s’inscrivait dans cette logique, avec sa cavalerie permettant de déplacer les pièces et les caissons de munitions très rapidement sur le champ de bataille.
En dehors de notices de l’auteur, bien rédigées et surtout accessibles à des non-spécialistes de l’histoire militaire, ce qui en la matière est une qualité, l’auteur ajoute des témoignages qu’il présente comme inédits, et notamment dans ce qui reste « un beau livre » une très belle collection de photographies. Celle-ci présente d’ailleurs la guerre dans toute sa réalité, les scènes où figurent les cadavres d’hommes tués au combat sont présentées sans aucun fard. Parmi les textes les plus intéressants, on notera ceux qui évoquent le fameux baptême du feu, qui est le fil conducteur de cet ouvrage.
Au redressement français…
Lors de ces premiers mois de la guerre, en dehors des régiments de cavalerie qui servent d’éclaireurs et qui doivent rechercher le contact avec l’ennemi afin d’y amener l’infanterie, les hommes se battent au pas de gymnastique, comme le rappelle le caporal Yves Kevadek du 2ème régiment de zouaves. Sans aucune protection, les hommes partent à l’assaut dans des champs de blé, totalement découverts, souvent exposés au feu d’un ennemi invisible tant les portées des armes sont devenues importantes. Très rapidement pourtant, et de nombreuses photos l’attestent, les fantassins ont vite compris l’importance de se mettre à l’abri, même si certains croyaient encore que les obus de 77 Allemands étaient inoffensifs. C’est la preuve de l’efficacité d’un bourrage de crâne dans lequel la presse française s’était largement compromise. Les premières tranchées françaises ne sont bien souvent que les trous de combat jointifs, en septembre 1914. C’est bien plus tard, avec la stabilisation de la ligne de front à partir de novembre, que les tranchées deviennent un véritable dispositif sans que pour autant le confort du soldat soit une priorité.
C’est sans doute à propos de la bataille de la Marne que l’ouvrage se révèle le plus intéressant. Des images issues d’archives militaires britanniques montrent la capitale mise en état de défense sous l’impulsion du général Gallieni, tandis que les cartes viennent illustrer précisément la localisation de cet affrontement. Le redressement français que la bataille de la Marne a pu constituer est le résultat d’une appréciation empirique du général Joffre, dont on se souvient qu’il n’avait pas hésité à dénoncer de façon totalement injuste les soldats des régiments méridionaux pour dissimuler ses erreurs d’appréciation. Joffre a parfaitement conscience qu’il joue sa carrière sur ce terrain, il permet au général Gallieni d’envoyer des troupes sur le flanc des Allemands, ce qui permet le miracle de la Marne à partir du 7 septembre. Si l’on rappelle l’épisode des taxis de la Marne réquisitionnés le 7 septembre sur l’esplanade des Invalides, l’auteur rappelle très opportunément le rôle des chemin de fer qui ont permis aux troupes françaises d’être acheminées très rapidement, face à des lignes allemandes très étirées. L’état-major allemand a perdu dans cette affaire sa réputation d’invincibilité, et a sans doute payé assez cher sa conception envisageant la conduite des opérations militaires sur le terrain comme une sorte de Kriegspiel, éloigné des théâtres d’opérations.
Les limites de la victoire de la Marne
Pour autant, l’auteur insiste largement sur les limites de ce succès de la Marne. Si celui-ci a permis d’éviter une défaite, il n’a pas permis de remporter la victoire en raison de l’incapacité à pouvoir poursuivre les troupes allemandes qui faisaient retraite. Si lorsqu’on atteint les dernières pages de cet ouvrage, on sait bien que l’on est encore loin de la fin de la guerre, l’auteur termine par une évocation, faite par le sergent Frédéric Branche du 99ème régiment d’infanterie, des tentatives de fraternisation. Celles-ci ont lieu pour la veillée de Noël entre le 24 et le 25 décembre 1914. Pendant ces quelques heures, sans doute parce que les armées essayaient de reconstituer leurs forces, il semblerait que l’on ait pu assister à une baisse d’intensité des opérations militaires, ce qui permet à des soldats d’avoir l’impression que la guerre allait s’arrêter.
Au-delà de l’intérêt que l’on peut éprouver pour ces témoignages à propos de la Grande guerre, il peut être particulièrement intéressant de relever dans cet ouvrage quelques textes afin de sortir des sentiers battus. Certains sont d’une incontestable qualité, y compris littéraires, et on notera ce témoignage du caporal René-Charles Andrieu du 9ème régiment d’infanterie qui évoque déjà, à la fin de l’année 1914, la lassitude des combattants. Si la plupart d’entre eux font leur devoir, ils n’en restent pas moins lucides et se rendent bien compte que l’image de l’ennemi que la propagande leur présente est très éloignées de la réalité.
Bruno Modica