Le grand incendie du 15 avril 2019 a suscité une émotion qui a touché non seulement les parisiens habitués à côtoyer Notre-Dame mais aussi l’ensemble des français et au-delà, la communauté internationale. Cette émotion ainsi que les millions de touristes qui visitent chaque année la cathédrale montrent l’attachement à ce monument emblématique de l’histoire de France. Cet ouvrage, sous la direction de Boris Bove et de Claude Gauvard, accompagnés d’une quinzaine de spécialistes, n’est pas une énième histoire de la cathédrale Notre-Dame. Il est bien plus que cela comme une partie de son titre l’indique : une cathédrale dans la ville. C’est une histoire de la cathédrale replacée dans son environnement territorial, économique, social, politique, de ses origines jusqu’à nos jours, c’est d’une histoire totale de Notre-Dame dont il s’agit dans cet ouvrage. Les meilleurs spécialistes retracent donc l’histoire de la cathédrale et de son environnement, avec de nombreuses illustrations, certaines déjà connues comme des miniatures sur le bâtiment, d’autres plus rares comme des plans en 3D pour montrer les différentes étapes de la construction. Le texte est agrémenté de nombreux encadrés pour approfondir certains points comme par exemple le travail des charpentiers, le compte-rendu du Moniteur universel sur la décision prise par la Commune de Paris de détruire la galerie des rois ou encore la révision de la chronologie au regard des dernières découvertes permises par la restauration du monument après l’incendie de 2019.
Après une très intéressante introduction de Claude Gauvard et Boris Bové qui retracent une histoire rapide de la cathédrale de sa construction à l’incendie de 2019, l’ouvrage s’articule en 14 chapitres divisés en trois parties :
La genèse du bâtiment
Après un premier chapitre intitulé « Notre-Dame dans la cité » où Hélène Noizet retrace l’histoire de l’île de la Cité et les différents états du bâtiment avant la construction gothique, Maxime L’Hériter nous emmène sur « Le chantier de Notre-Dame de Paris au XIIe et XIIIe siècles ». Toutes les étapes sont retracées avec l’appui de plans en 3D et de nombreux encadrés qui détaillent les différents matériaux utilisés et les corps de métiers à l’œuvre (charpentiers, technique de la charpente, utilisation du fer en appui de la pierre). Du financement du chantier à l’emploi détaillé des matériaux, des différents artisans et ouvriers à la technique de construction, rien n’est oublié pour nous emmener au cœur de la construction de la cathédrale, même si l’auteur précise que les différentes études scientifiques en cours pourront permettre d’affiner encore nos connaissances.
Pour terminer cette première partie, Daniel Russo nous invite à étudier « L’iconographie à Notre-Dame de Paris (1163-1265) ». En parcourant la façade occidentale, « la plus déclamatoire » de la cathédrale et ses trois portails, puis les façades des bras des transepts et enfin les vitraux qu’il reste de cette période réduite, l’auteur montre comment le personnage de Marie est célébré dans tous ses aspects.
Les fonctions de la cathédrale (XIIe-XVIIIe siècle)
La première des fonctions de la cathédrale est la fonction cultuelle, décrite par Isabelle Brian et Catherine Vincent dans « Le clergé de Notre-Dame ». D’autres fonctions, parfois oubliées, sont éclairées par les études de Thierry Kouamé sur « L’école cathédrale », de Julie Claustre sur « Les justices à Notre-Dame » et de Christine Jéhanno sur « L’Hôtel-Dieu, hôpital cathédral au cœur de Paris ».
La cathédrale a toujours eu besoin d’entretien et de rénovation dès la fin de sa construction. Etienne Hamon dans « Entretenir et rénover la cathédrale du XIIIe au XVIIIe siècle » nous explique le rôle de la fabrique, organisme chargé de l’entretien matériel du bâtiment. Il détaille les différents moyens pour la fabrique de Notre-Dame de trouver de l’argent pour entretenir la cathédrale ainsi que les charges supportées. Un paragraphe très éclairant sur les maîtres d’œuvre de l’église nous les présente tantôt permanents, tantôt saisonniers ou de passage dans leurs différentes attributions.
Ensuite, Boris Bove et Laurence Croq s’interrogent sur la perception de la cathédrale par les parisiens et les touristes du XIIe au XVIIIe siècle. Ainsi, grâce à différentes sources comme les comptes de la Ville ou les testaments de bourgeois de Paris des années 1220 aux années 1410, les auteurs ont pu étudier les liens entre la cathédrale et les parisiens. On apprend que la cathédrale a très tôt été l’objet de visites que l’on pourrait qualifier de touristiques de la part des habitants de Paris et du reste du pays, mais aussi d’étrangers qui viennent visiter le bâtiment, monter dans les tours, admirer les reliques ou les drapeaux et étendards confisqués aux ennemis.
Pour terminer cette deuxième partie sur les fonctions de la cathédrale, Claude Gauvard et Jean-Marie Le Gall dans « Notre-Dame et le roi » reviennent sur les relations entre la cathédrale et les rois de France. Ce n’est qu’à partir du XIVe siècle qu’un lien entre les rois et la cathédrale Notre-Dame semble se tisser même si les rois, encore itinérants, se recueillent dans différentes églises au gré de leurs déplacements, même si, à Paris même, d’autres églises ont la faveur de les recevoir comme la Sainte-Chapelle ou l’abbaye de Saint-Denis et même si les rois sont alors sacrés à Reims. A partir du règne de Philippe Auguste, la cathédrale de Notre-Dame tient une place privilégiée auprès de rois, comme en témoignent les nombreux dons royaux en argent ou en objets de valeur après des naissances royales ou des guérisons.
Notre-Dame dans le siècle (1789 à nos jours)
La période révolutionnaire est marquée par deux évènements contradictoires : la destruction des 28 statues de la galerie des rois de Juda en 1793 et le sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame en 1804. Entre ces deux extrêmes, comme nous le raconte Hervé Leuwers dans « Notre-Dame révolutionnée », la cathédrale a été pendant la Révolution au cœur des évènements, tantôt lieu où les patriotes chantent des Te Deum, tantôt objet du vandalisme révolutionnaire, en passant par des périodes transitoires où l’église est dédiée en même temps à deux cultes différents : catholicisme et théophilanthropie avant un retour à sa fonction religieuse et politique sous le Consulat.
Si un nom est rattaché à la cathédrale Notre-Dame à l’époque contemporaine, c’est bien celui de Viollet-le-Duc. Ségolène Le Men, dans « Le moment Viollet-le-Duc (1843-1867) » nous emmène dans les pas du célèbre architecte, chargé de la restauration de la cathédrale, qui a imposé l’image de Notre-Dame telle que nous l’avons connue jusqu’à son incendie. Associé dans un premier temps avec l’architecte Lassus, Viollet-le-Duc va donc se lancer dans la restauration de ce monument. En partant du principe que « l’architecte ne doit pas recréer un état supposé originel, mais tenir compte de l’histoire du monument » c’est-à-dire des nombreuses destructions et ajouts qui ont été apportés depuis l’église de Maurice de Sully, Viollet-le-Duc, désormais seul maître d’œuvre après le décès de Lassus en 1844, décide d’appliquer sa définition de la restauration, à savoir « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Aidé de nombreux corps de métiers guidés par ses dessins et ses modèles en plâtre, Viollet-le-Duc pense redonner à Notre-Dame le style gothique qu’elle possédait au XIIIe, même si cette certitude a depuis été remise en question. La cathédrale restaurée par Viollet-le-Duc devient donc un musée d’art chrétien, un écrin aux cérémonies impériales, une attraction touristique tout en conservant sa fonction religieuse. Pour terminer, l’autrice revient sur les représentations artistiques de la cathédrale qui devient un sujet d’inspiration pour de nombreux peintres du XIXe siècle.
Dans un autre chapitre, Florence Bourillon fait l’inventaire des « Transformations du quartier de Notre-Dame au XIXe siècle » où elle nous explique les différentes étapes de la modification des abords de la cathédrale, notamment par le déplacement de l’Hôtel-Dieu qui permet d’obtenir un parvis dégagé. Enfin, pour terminer cet ouvrage, Guillaume Cuchet dans « L’incendie de Notre-Dame : une émotion patrimoniale ? » s’interroge sur les raisons de l’immense émotion suscitée, dans le monde entier, par l’incendie de 2019 encore dans les mémoires.
Au final, les éditions Belin livrent un ouvrage de grande qualité sur Notre-Dame en nous décrivant, des prémices de sa construction à nos jours, les changements de la cathédrale en dedans et en dehors, dans l’histoire et dans son environnement proche ainsi que la place qu’elle a prise dans l’histoire de Paris et même au-delà, dans l’imaginaire collectif.