Ce roman graphique est signé Frédéric Brémaud et Jean-Claude Bauer (qui a couvert le procès de 1987 pour Antenne 2) et retrace la vie de l’un des plus grands criminels de guerre du XXe siècle : Klaus Barbie, le « boucher de Lyon ». Le titre s’inspire du nom des filières d’exfiltration utilisées par les nazis, fascistes et oustachis afin de rejoindre des destinations « sûres » comme l’Amérique du Sud : les ratlines (les routes des rats). Outre Klaus Barbie, Adolf Eichmann, Josef Mengele ou Ante Pavelić figurent parmi les principaux criminels de guerre nazis ayant utilisé ces filières.

L’ouvrage n’a de « roman » que le nom tellement il est rigoureux d’un point de vue historique en s‘appuyant sur des sources nombreuses ainsi que sur la participation de Jean-Olivier Viout, substitut général durant ce procès historique, ou encore de Serge Klarsfeld, défenseur de la cause des déportés juifs et historien de renom. Dès la préface, Serge Klarsfeld précise bien que ce roman graphique ne vient pas « remplacer les livres d’Histoire et les romans », mais leur donne « une autre dimension par l’habile et artistique combinaison de l’image et du texte ». Aussi, il comprend bien, tout comme le lecteur, que cette « mise en lumière des criminels sert (…) à projeter la lueur sur le sort de leurs victimes. » Cette mise en lumière est très bien servie par le traitement au crayon de couleurs qui donne vie aux protagonistes de cette histoire dense et passionnante. 

Les premières pages reviennent sur la célèbre interview de Klaus Altmann (Klaus Barbie) à La Paz par le journaliste Ladislas de Hoyos en février 1972 ainsi que par le combat de Beate Klarsfeld. Ces deux actions permettent d’identifier et de confondre Barbie grâce aux photographies, à la signature et aux empreintes du « boucher de Lyon ». Frédéric Brémaud et Jean-Claude Bauer reviennent alors sur le parcours du jeune nazi devenu criminel.

 

De Klaus Barbie au « boucher de Lyon »

Jeune homme, il entre dans les jeunesses hitlériennes et devient rapidement chef de patrouille. En 1935, il intègre la SS et plus précisément le SD, le service de renseignement. Opérant à Berlin puis Düsseldorf, il arrête, avec zèle, des prostituées, des homosexuels et des juifs. Lorsque la guerre éclate, il est envoyé à La Haye puis Amsterdam afin d’y arrêter les juifs et les réfugiés politiques allemands. Il se fait tout particulièrement remarquer pour son rôle dans l’assaut du ghetto d’Amsterdam ! Il devient lieutenant SS. Barbie arrive sur le sol français en 1942 à Gex, à Dijon puis à Lyon. Il prend rapidement le commandement de la Sipo-SD section IV, autrement de la Gestapo, en charge de la lutte contre les résistants, les communistes et les juifs. En janvier 1943, il installe ses services au sein de l’hôtel Terminus. En juin, la Gestapo lyonnaise s’installe à l’Ecole du service de santé militaire. Des salles de torture sont aménagées, les caves font office de cellules. Enfin, avec les bombardements de 1944, le siège de la Gestapo s’installe place Bellecour. L’ouvrage décrit avec précision les exactions, crimes et massacres commis par Barbie durant ces années lyonnaises dans différents lieux restés tristement célèbres : la répression et la torture à la prison allemande de Montluc, les exécutions de Bron (août 1944 – 109 exécutés) ou de Saint-Genis-Laval (août  1944 – 120 exécutés), la rafle de la rue Sainte-Catherine au siège de l’UGIF (février 1943), l’arrestation des enfants d’Izieu (avril 1944), l’organisation des convois à destination des camps de la mort ou encore l’arrestation de Jean Moulin à la maison du docteur Dugoujon puis sa torture (juin 1943).

 

Klaus Barbie devient Klaus Altmann

Lorsque la ville de Lyon est finalement libérée par les Alliés le 3 septembre, Barbie est déjà loin. De retour en Allemagne, il est arrêté par les Américains le 18 avril 1944 mais rapidement libéré car bénéficiant d’une fausse identité. Durant 2 ans, il se cache grâce à la solidarité des anciens nazis … d’autant plus que son nom apparaît rapidement sur la liste des criminels de guerre des Nations Unies. Avec la guerre froide, l’ennemi à changé de camp et Barbie intègre le CIC (Counter Intelligence Corps) et travaille ainsi pour le contre-espionnage américain. En France, Klaus Barbie est de plus cité et remis en cause et notamment par Laure Moulin (la sœur de Jean) ou par le commissaire Louis Bibes. Il devient gênant pour les Américains qui commencent à envisager d’utiliser « la route des rats », ce réseau d’exfiltration des nazis. Il est renvoyé sans solde en janvier 1951. La famille Altmann, comme elle se fait appeler maintenant, passe par Linz, Vérone, Milan, Gênes et embarque sur le Corrientes grâce à l’appui du religieux croate Krunoslav Draganovic. Le bateau appareille le 22 mars 1951. Après avoir passé une dizaine de jours dans un hôtel de Buenos Aires, Klaus Altmann arrive le 23 avril 1951 à La Paz en Bolivie. Une nouvelle vie peut commencer. Pour Barbie, la Bolivie est une cachette idéale car éloignée géographiquement de l’Europe mais lui permettant de retrouver de nombreux amis SS. Il se lance dans des activités légales comme illégales : il dirige une scierie, se lance dans la production de quinquina, se met au service de l’armée bolivienne et rejoint la guarda territorial, il vend des armes, fréquente des trafiquants de drogue, organise des assassinats … En 1971, il aide Hugo Banzer à organiser son coup d’état. Il brise les mouvements syndicalistes et arrête, torture ou assassine les opposants. Il devient aussi directeur de la Transmaritima Boliviana.

 

La traque

Progressivement, Barbie baisse la garde, ce qui lui vaut d’être pris en photo lors d’une conférence de la Transmaritima Boliviana. En 1971, Beate Klarsfeld découvre un télégramme signé Barbie où il déclare avoir nettoyé la colonie des enfants juifs d’Izieu. Des manifestations et des articles de presse permettent la réouverture de l’instruction ainsi que l’identification de Barbie grâce aux photographies désormais disponibles. La France fait une demande d’extradition. Beate Klarsfeld poursuit ses actions notamment en s’enchaînant à un banc à La Paz. C’est à ce moment que trois hommes, Serge Klarsfeld, Regis Debray et Gustavo Sanchez, conçoivent un plan d’enlèvement de Barbie qui finalement échouera. En mars 1973, Barbie est arrêté, Banzer le protège tout en l’empêchant de quitter la Bolivie pour ne pas froisser les autorités françaises. Barbie est relâché et profite de la période d’instabilité politique suite au départ du pouvoir de Banzer. Mais en 1982, le Parlement réussit à élire le président Zuazo. Gustavo Sanchez devient ministre de l’Intérieur, la procédure d’expulsion peut reprendre. Le 26 janvier 1983, Barbie est arrêté, le 4 févier, il est enfin extradé. Lorsque son avion décolle, il est confiant car il pense voler vers l’Allemagne. Après une escale en Guyane, le « boucher de Lyon » arrive en France le 5 février.

 

Le procès de Klaus Barbie

Klaus Barbie avait déjà été jugé et condamné à mort par contumace en 1952 et 1954 pour des crimes de guerre qui sont prescriptibles. Désormais, il doit être jugé pour des crimes contre l’humanité qui sont eux imprescriptibles depuis 1964. A Lyon, il sera jugé pour trois faits principaux :

– la rafle de l’UGIF rue Sainte-Catherine du 9 février 1943

– la rafle des enfants d’Izieu du 6 avril 1944

– le dernier convoi de Juifs pour Auschwitz-Birkenau le 11 août 1944

Pour la première fois en France, un procès sera intenté pour crimes contre l’humanité. Il est entièrement filmé et sera suivi par plus de 600 journalistes. Le procès s’ouvre le 11 mai 1987 sous la présidence d’André Cerdini, le président de la Cour d’assises. Pierre Truche, procureur général, et son adjoint Jean-Olivier Viout sont chargés de l’accusation. 113 associations et particuliers sont représentés par 39 avocats dont Serge Klarsfeld et Roland Dumas. A la défense, trois avocats dont Jacques Vergès. Le 13 mai, lors d’une déclaration, Barbie se dit retenu illégalement et annonce qu’il ne paraîtra pas. A partir de là, toute la place est laissée aux témoins, la parole se libère. Les tentatives d’humiliation, d’abaissement ou d’avilissement de la part de Barbie à Montluc et ailleurs sont ainsi décrites avec précision : ses yeux terribles, le nerf de bœuf utilisé ou encore le supplice de la baignoire. Les témoignages sont forts et puissants comme celui de Léa Feldblum, monitrice seule survivante de la rafle d’Izieu. Le 5 juin, Cerdini oblige Barbie à assister afin d’être confronté à certaines de ses victimes. Il déclare seulement « Je n’ai rien à dire ». D’autres témoins interviennent : Geneviève de Gaulle Anthonioz, Raymond Aubrac ou Marie-Claude Vaillant-Couturier. A partir de la 25e audience, le 17 juin, les avocats des parties civiles font entendre leurs plaidoiries. Serge Klarsfeld fait le portrait émouvant des 44 enfants d’Izieu. Lors des 33e et 34e audiences, le procureur général Truche revient dans son réquisitoire sur la notion de crimes contre l’humanité et dresse le portrait de Barbie le criminel nazi. Lors des 35e et 37e audiences, les avocats de la défense dénoncent les accusations ainsi qu’une extradition illégale. Barbie serait un bouc émissaire, ils minimisent sa responsabilité. Le 4 juillet, à 00h40, le verdict tombe. Barbie, qui est resté dans le déni jusqu’au bout, est reconnu coupable. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il décédera en la prison Saint-Joseph de Lyon le 25 septembre 1991 d’un cancer du sang à l’âge de 78 ans.

 

 

En fin d’ouvrage, un dossier historique, signé Jean-Olivier Viout, revient sur la biographie de Barbie, les procès de 1952 et 1954, les principaux crimes du « boucher de Lyon » ou encore le procès de 1987. Pierre Truche consacre quelques pages à une réflexion sur la notion de « crimes contre l’humanité ». Enfin, c’est Jean-Claude Bauer nous livre son témoignage d’auteur. Au final, ce roman graphique publié chez Urban Graphic, dense et intelligent, est un véritable ouvrage d’histoire consacré à la vie du criminel nazi Klaus Barbie. Son parcours, sa traque ainsi que son procès sont racontés et dessinés avec la rigueur et la sobriété nécessaires.

 

La préface de Serge Klarsfeld : https://www.urban-comics.com/klaus-barbie-route-rat-devoir-de-memoire/

Pour feuilleter l’ouvrage : https://www.urban-comics.com/liseuse/67315/

Une présentation vidéo de l’éditeur : https://www.youtube.com/watch?v=DRry034ZTIE

 

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux