Traqueur infatigable de l’Anthropocène à travers des livres scientifiques empruntant aux meilleurs auteurs anglo-saxons , Laurent Testot se définit comme « médiateur scientifique », posant par là des ponts citoyens entre les sciences dites dures, nécessaires pour appréhender les forces transformant notre Terre et les sciences dites humaines, afin que le public s’en empare.

D’où la production de cet atlas en collaboration avec le cartographe Perrin Remonté, tous deux portés par le désir de faire toujours plus explicatif et démonstratif avec cartes et infographies, dont certaines sont saisissantes. Ce souci pédagogique de montrer et d’expliquer simplement ce qui apparait au grand public comme complexe, Laurent Testot et Nathanaël Wallenhorst avaient d’ailleurs déjà exploré cette voie avec un manuel – un livre « stimulant et ludique » selon les auteurs – sur l’Anthropocène « Vortex. Faire face à l’Anthropocène », Payot, janvier 2023)..

« Très accessible, cet ouvrage nous éclaire sur la fragilité de notre monde et sur la nécessité de contrôler notre pollution et nos dépenses énergétiques afin de freiner le dérèglement climatique. 4ème de couverture. »

Un atlas est toujours comme un cadeau à découvrir

Comme avec tout atlas, il y a ce plaisir particulier de picorer dans les pages, de se laisser aller au gré des cartes et des illustrations. La première impression est agréable, dès la jaquette de couverture, très explicite et accompagnée d’une légende. Chaque chapitre est clairement présenté avec un équilibre titre / texte / iconographies.

Bref, on espère convaincre le lecteur de ce compte-rendu qu’il est non seulement beau, mais indispensable.

Le maître du Monde, désormais en équilibre précaire

Dès la 2nde de couverture, nous prenons connaissance du plan (« Passés », « Présents », « Futurs »).

1- Homo (Sapiens), une espèce fragile qui accède à la domination mondiale sur le Vivant C’est l’un des deux « mots capitales » de leur ouvrage. Vivant avec une majuscule qualifie l’état biologique regroupant l’ensemble des êtres vivants, dont les processus communs créent ds conditions favorables au maintien de l’habitabilité de la Terre.

2- Mais Homo altère aujourd’hui les 5 sphères nécessaires à sa subsistance (eau, air, feu / énergie, sol / sous-sol, Vivant).

3- Tout reste possible, nous savons quelles utopies doivent guider l’humanité de demain.

Sortir de la pensée en silo…

La démarche se veut clairement didactique. Celles et ceux qui le suivent savent combien Laurent Testot aime « embrasser le Monde Monde avec une majuscule, c’est l’autre « mot – capitale » du livre : il désigne alors l’espace géographique unifié par les activités humaines.» afin de sortir de la pensée en silo si chère aux spécialistes.

… Un défi pour le cartographe !

Perrin Remonté est parti du constat que « l’empreinte humaine sur Terre est omniprésente. Elle se manifeste de manière multiforme […] Et cette hétérogénéité rend compliquée toute prise de conscience globale. L’outil cartographique est parfait pour analyser ce sujet […] »

Mes coups de coeur En fait, ils sont légion ! Il ne tient qu’à vous de vous procurer cet atlas… [/footnote] « cartes »

Car mon choix sera forcément subjectif. Je choisis donc 2 cartes, l’une nous projetant vers un futur inquiétant, l’autre vers un passé qui aurait beaucoup à nous apprendre…

« Quand le Monde s’en va-t-en guerre » (p. 154) ou sinon retrouver un contrat social international pour le bien de tous ?

 

« Les derniers gardiens » (p. 144-5), les peuples autochtones sont ceux qui se concentrent dans les régions à forte diversité :

Mes coups de coeur « infographies »

J’ai personnellement un faible pour celle sur « les neuf limites ». Une synthèse simple et éclairante. Peut-on faire plus parlant ?

Zones rouges à ne pas franchir

Ou cette démonstration implacable intitulée « Combien pèse l’humanité ? » (p. 136-7), soit ce que représente la masse des objets anthropiques face à la biomasse mondiale…

Des mots forts pour le dire

Nous, les Humains sommes devenus maîtres de notre destin (famines et grandes pandémies vaincues, niveau de vie global inégalé…) mais à quel prix ? La course à l’extraction des matières du sol, l’agriculture techno-industrielle, la folie consumériste, le surtourisme mondial. Sans oublier l’affranchissement par l’Europe de ses contraintes via les «hectares fantômes » tirés de l’exploitation du monde « colonisé, annexé ou soumis ».

Le cas emblématique du smartphone

Internet, c’est la promesse de tout le savoir dans notre poche. Dans la poche, un « smartphone », le nec plus ultra de la civilisation « thermo-industrelle ». Or quand nous utilisons cette merveille, nous acceptons et nous validons l’extraction de tonnes de roches, leur broyage, leur dissolution dans des solvants toxiques afin d’en extraire l’infime proportion de métaux rares les contenant. Sans parler de l’exploitation des enfants dans les mines d’Afrique, ou de la prédominance géopolitique de la Chine.

Donc un exemple parfait de pharmakon [footnote]https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article222 ce remède-poison déjà évoqué par Platon, dans « Phèdre » (à propos de l’écriture des dialogues de Socrate)  et repris par Bernard Stiegler pour les outils numériques.

Le numérique nous a-t-il rendus schizophrènes ?

Des fils rouges pour comprendre les enjeux

L’Europe, « forge du Monde »

Un des fils rouges de l’ouvrage m’interpelle particulièrement en tant qu’Européen, celui de l’Europe, « péninsule oubliée » en l’an Mil, qui en quatre siècles va contrôler le Monde. Pour ce point, je reprends à dessein en le détournant le titre du livre de Pierre Haroche « Dans la forge du monde. Comment le choc des puissances façonnent l’Europe », avec qui je m’étais entretenu sur le destin géopolitique de l’Europe.

Laurent Testot attribue l’essor de cette « péninsule sous-développée de l’Eurasie » aux échanges commerciaux et culturels venus des régions urbaines lettrées des grands empires d’Asie, ainsi qu’aux progrès des techniques agricoles qui gràce à l’Optimum climatique médiéval (9e-13e siècles) va favoriser son essor démographique.

Ainsi les cités-États italiennes inventent le capitalisme marchand et les aventuriers ibériques ouvrent de nouvelles routes maritimes et commerciales, préludes à la forge du Monde par l’Europe. Puis la VOC hollandaise et l’EIC britannique, sociétés commerciales autonomes ayant leur propre armée s’emparent de régions immenses comparées à leurs tailles respectives (l’Indonésie pour la VOC et l’Inde pour l’EIC)…

Le basculement avec la Chine, jusqu’ici littéralement « l’Empire du Milieu » se fit à partir de 1750 et de la révolution industrielle britannique. Parallèlement, la France révolutionnaire puis napoléonienne impose la conscription. La domination industrielle et commerciale, démographique et militaire des Européens est en route.

De la géohistoire

L’Europe est aujourd’hui redevenue cette péninsule, non pas sous-développée, mais marginalisée par des empires peu suspects de justice sociale. Et puis comme l’écrit en conclusion Laurent Testot : « Le Monde est une île ».

En écho, en 2020, le géo-historien Christian Grataloup publiait un ouvrage intitulé « L’invention des continents et des océans. L’histoire de la représentation du monde » dans lequel il rappelait que ces continents, différenciés car historiquement nommés par les anciens Grecs puis les Européens baignaient dans un seul gigantesque océan mondial Christian Grataloup, « L’invention des océans. Comment l’Europe a découpé et nommé le monde liquide », Géoconfluences, janvier 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/l-invention-des-oceans
.

Ce n’est pas un hasard si ces deux chercheurs ont dialogué lors d’une conférence aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois :

80 milliards de Sapiens sur une seule Terre
Christian Grataloup et Laurent Testot
RVH Blois 2023 – « Les vivants et les morts » – Vendredi 6 octobre – Café littéraire

Un peu de culture scientifique (dure) ne nuit pas pour être crédible

Face au 1/3 de nos concitoyens climatosceptiques Selon le 25e baromètre des représentations sociales du changement climatique, publié par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en octobre 2024. , près de 30 % des personnes interrogées considèrent que les désordres climatiques et leurs conséquences […] sont des phénomènes naturels, comme il y en a toujours eu. Une augmentation de 7 points par rapport à 2023 et de 12 points depuis 2020., il importe pour être crédible d’avoir – au moins – quelques rudiments de culture scientifique.

Aussi, nos deux auteurs s’y emploient en mettant leur domaines respectifs en synergie. On y apprendra ou révisera de façon simple et claire :

« l’Holocène », (p. 18-9), « les clous d’or » (p. 48), « le lac Crawford (p. 49),« l’hydrosphère » (p. 56) et « le rétrécissement de la cryosphère » (p. 57), « la grande dévoration Saviez-vous que le marché du poisson séché (le cabillaud des estuaires, puis du littoral de l’Islande, puis de Terre-Neuve a pour origine l’interdiction par l’Eglise de consommer de la viande plus de la moitié de l’année ? (p. 66-7), « les aérosols, naturels et anthropiques » (p. 74-5), « la vie et la mort des arbres » (p. 38-9 et 110-11), « les cycles du carbone » (p. 76-9), « de l’azote et du phosphore (p. 108-9), « le pyrocène (ou temps des méga-feux) » (p. 86-7), « la géopolitique du rare (p. 103-5), « le plastique dans l’eau » (p. 114-5), « les pesticides contre le Vivant » (p. 118-9), « l’évaporation / extinction du sauvage » (p. 122-3 et 128-9), « les points de bascule » (p. 122-3)…

Conclusion : décrédibiliser les marchands de doute…

Les méthodes de ceux que les historiens Naomi Oreskes et Erik M. Conway appellent « les marchands de doute » pour minorer les effets du tabac et du réchauffement climatique se sont sophistiquées. Les mises en cause allusives, visant à rassurer les citoyens ont laissé la place à une surveillance des réseaux sociaux et à une dénaturation des messages scientifiques par la revendication du relativisme de l’opinion de chacun ou sa mise en bulle cognitive par des algorithmes manipulés par les puissances étatiques autoritaires ou les dirigeants des firmes de la Tech mondiale.

Car ces candidats à la domination du Monde ont comme ennemi principal la « démocratie délibérative », selon le concept forgé par Jurgen Habermas.

… Et s’engager en utopie pour que le monde reste habitable

En cartographiant sous toutes ses facettes notre empreinte sur Terre, l’atlas de Laurent Testot et de Perrin Remonté nous incite à prendre le contrôle de l’écriture du futur. Le défi est colossal mais les expérimentations à petite échelle sont déjà là. Reste à les faire passer à grande échelle. Vous pouvez aussi choisir votre utopie préférée (Thomas More, Francis Bacon, Révolution française, Phalanstère ou Fordlãndia…)

Et puis, « parlez-en à votre voisin… »