Pour les aficionados de la culture pop le nom de George Takei résonnera peut-être puisqu’il s’agit de l’acteur incarnant Hikaru Sulu dans la série originale Star Trek. Cependant si sa carrière est brièvement évoquée en fin d’ouvrage, ce n’est pas le sujet principal de Nous étions les ennemis qui raconte une partie de sa vie et un pan de l’histoire américaine de la Seconde Guerre mondiale de plus en plus évoqué ces dernières années. La couverture de ce roman graphique nous plonge d’emblée dans le thème du livre avec un enfant nous interpellant du regard en arrivant devant une structure gardée et fermée : un camp destiné à l’internement des sino-américains pendant la Seconde Guerre mondiale.
Gorge Takei revient dans ce roman graphique autobiographique sur les événements ayant poussé à l’enfermement de sa famille ainsi que de la communauté sino-américaine. Cette communauté se distingue entre les Issei (1ère génération) qui ont quitté le Japon pour s’installer aux États Unis, les Nisei (2ème génération) qui sont nés aux États Unis et les Sansei (3ème génération), eux-mêmes enfants de Nisei. L’originalité du propos vient du parti pris du regard d’un enfant qui voit ses parents faire face à une situation inimaginable, évolutive et nécessitant parfois des choix radicaux.
Le ton, les dialogues et les épisodes représentées alternent entre les faits politiques graves emprunts de nationalisme et du rejet d’une partie de la communauté américaine et les aventures d’un petit garçon, de son frère et de sa sœur. Loin de s’appesantir sur les conditions de vie précaires et rechercher le pathos, on sourit à l’évocation des découvertes enfantines, l’internement ne mettant pas fin aux jeux et autres moments familiaux forts comme un Noël avec un Père Noël faisant sa tournée habituelle même dans un camp.
Face à ses souvenirs d’enfance, obligatoirement partiels, George Takei revient sur les discussions avec son père, des années après, qui lui ont permis de compléter le vécu d’un petit garçon et mieux comprendre les enjeux auxquels ses parents ont dû faire face. Ses parents présentés comme cherchant toujours à préserver le cocon familial sont extrêmement touchants, que ce soit la mère qui veut conserver un semblant de vie familiale ou le père qui tente d’aider la communauté au sein du camp et lors de sa réinsertion après le conflit.
Les dessins, en noir et blanc, qui reprennent un peu le style manga dans le trait des personnages, évoquent simplement les scènes et les faits. Les dialogues et la teneur des propos tenus sont accessibles à un public jeune, à partir de 11 ans. Il s’agit donc d’un ouvrage qui peut être utilisé avec des collégiens. D’autant plus que l’auteur tente d’établir des passerelles entre cet épisode douloureux et des événements plus récents liés au refus de l’accueil de certains migrants sur le sol américain et les conditions de leur incarcération.
Reste au de-là de l’évocation d’une injustice d’état, le récit de l’investissement d’une mère pour sa famille, d’un père pour l’ensemble d’une communauté dans les différents camps et à la sortie de ces derniers dans le cadre d’une réinsertion délicate. Gorge Takei, sortant de l’enfance, fera aussi le choix de cet engagement, lui dans la politique, en choisissant les combats où l’injustice est encore présente.
Un roman graphique délicat et émouvant qui interpelle sur les choix faits par une société en cas de crise, sur sa capacité à reconnaître ses erreurs et à ne pas les renouveler à l’avenir.
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