Un bel objet : Avec sa couverture épaisse et son format paysage, le choix des typographies et des teintes qui s’inscrivent dans l’évocation du passé, le livre Lignes de front est d’emblée un bel objet, qui attire le lecteur et tient ses promesses. Sophistiqué, très nuancé, il donne une approche de la Guerre de Sécession à la fois factuel et poétique par le choix des silences et des évocations. Pour le lecteur européen, il est très accessible.
En effet, Ari Kelman, historien américain spécialiste du XIXe siècle états-uniens, et en particulier des Cheyennes. En s’associant au dessinateur Jonathan Fetter-Vorm, spécialiste de bandes dessinées historique (Appollo 11, la Première bombe atomique), il a voulu composer une histoire de la Guerre de Sécession articulant les individus, les objets et la grande histoire.
Objet historique donc, mais seulement esquissé pour le grand public
Le parti pris des auteurs a été de présenter des leçons d’histoire et d’intercaler entre elles une « nouvelle historique » rebondissant sur la leçon, mettant en scène des histoires vraies symbolisées par des objets, objets qui pourraient constituer un musée de cette guerre. Les leçons sont très didactiques et donnent une vision du conflit assez claire, avec un choix de bornage chronologique étendu de 1808 et la loi prohibant l’importation d’esclaves à 1877, avec l’orientation des préoccupations sur le développement de l’Ouest, la naissance du Klan et une ségrégation raciale qui a remplacé l’esclavage. Ces leçons sont présentées sous la forme d’article de journaux dont les titres montrent la variété et la vigueur de la presse pendant la guerre de Sécession. Les auteurs retracent donc les causes et les enjeux de la question de l’esclavage, mais aussi de l’équilibre en Union et liberté des états, l’évolution de la position de Lincoln, les forces et les faiblesses des deux camps, l’impréparation du Nord et la boucherie provoquée par ses officiers avec le conflit le plus meurtrier de l’histoire étatsunienne et le plus durablement traumatisant.
Des nouvelles à la fois cyniques et humanistes
Chaque histoire est différente, permettant d’aborder un thème connu comme l’attaque de Fort Summer, où pour la première fois le drapeau de l’Union est abaissé ou la violence des combats et l’impréparation des troupes du nord dont témoignent les jumelles d’opéra abandonnées sur le champ de bataille par une spectatrice. Mais d’autres thèmes sont moins familiers, comme le traitement des Noirs par le Nord, qu’ils soient esclaves en fuite ou simples citoyens de New York, la lente destruction de la société sudiste ou le sort des prisonniers de guerre. A chaque fois, c’est la tragédie individuelle et l’absurdité du conflit qui ressortent. Le sol bémol est que malgré la grande qualité des dessins, le lecteur a trop peu de temps pour s’attacher aux personnages et les histoires ne sont pas suffisamment liées pour que la narration prenne. Il en ressort que même si chaque histoire est intéressante, elle est aussi frustrante.
Sur le plan pédagogique, elles sont difficilement exploitables car elles concernent des points trop précis de cette guerre, très rarement traitée dans les programmes français. Mais dans le cadre de l’EMC, l’approche claire et nuancée sur la construction des USA avec une contradiction d’origine et les enjeux qui en découlent peuvent permettre de belles réflexions avec les élèves à tous niveaux.