Si on sait qui est Edward Snowden, on connait sans doute moins Raymond Avrillier ou Elliot. Pourtant, tous trois partagent la qualité de lanceur d’alerte. Cet ouvrage entreprend de retracer neuf histoires qui se sont déroulées en France.
Lanceur d’alerte : un terme récent et une réalité à connaitre
Le terme est aujourd’hui populaire mais il ne date que de 1996. Irène Franchon, qui a lancé l’alerte sur le Mediator, pose quelques fondements sur ce qu’est un lanceur d’alerte. Comme elle le dit, « on ne se sait pas lanceur d’alerte, ce n’est pas une posture, une vocation ».
Lancer l’alerte, oui mais comment ?
Depuis une vingtaine d’années, les initiatives se multiplient pour créer un cadre pour accompagner les lanceurs d’alerte. Flore Talamon précise ensuite les trois méthodes possibles pour lancer l’alerte. Ces trois thèmes structurent l’ouvrage : alerter en bénéficiant de la protection juridique offerte aux lanceurs d’alerte, alerter et se protéger par d’autres dispositifs et alerter en restant anonymes. Chacun des cas est traité de la même façon : une bande dessinée qui raconte l’exemple en une quinzaine de pages, une partie fiches conseils en lien avec le cas qui vient d’être exposé. Celle-ci précise ce que dit le droit, les difficultés et comment agir. Une fiche récapitulative sur l’exemple traité se trouve en fin d’ouvrage. L’ouvrage est donc à la fois informatif et pratique.
La pollution industrielle
Ce chauffeur routier qui travaillait par interim a constaté les méthodes du groupe Arcelor qui faisait déverser de l’acide en pleine nature. Il prévient les pompiers du village mais, au final, si Arcelor arrête ses pratiques, lui se retrouve inemployé. En 2017, un article parait et dénonce les pratiques du groupe en s’appuyant sur son témoignage, mais sans le citer. Il sombre dans une profonde dépression. Les poursuites contre Arcelor tombent les unes après les autres jusqu’à une première condamnation en 2021. Karim Ben Ali apparait en tout cas brisé par son combat.
Corruption dans les marchés publics de l’eau
C’est le combat d’une vie pour Raymond Avrillier. Il s’est opposé dès 1989 à la privatisation du marché de l’eau à Grenoble. Cela a fini par réussir car le service est revenu dans le giron public en 2000. La bande dessinée raconte l’ambiance des années 80 lorsque tout réussissait à Alain Carignon. La Lyonnaise des Eaux a financé des journaux qui vantaient le maire de Grenoble et a donc financé illégalement sa campagne en échange du marché de l’eau. Raymond Avrillier et ses camarades médiatisèrent l’affaire et on s’aperçoit qu’il s’agissait d’un véritable système qui arrosait large.
Des pesticides dans la vigne et le vin
Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran ont dénoncé l’utilisation des pesticides dans le domaine de la vigne. Elles ont parfois été touchées directement par les conséquences avec des membres de leur famille frappés par des cancers sans doute imputables à l’exposition aux pesticides. Il faut se rendre compte que leur utilisation a été multipliée par deux tous les dix ans entre 1945 et 1985. Même si des rapports paraissent, on ne peut que constater l’inertie des pouvoirs publics. Afin d’établir des faits, les deux jeunes femmes font alors réaliser des analyses de cheveux, sols et poussières. A chaque fois, des traces de résidus de pesticides sont trouvées. Elles continuent leur combat depuis une dizaine d’années.
Lancer l’alerte en interne
Amar Benmohamed, brigadier-chef, a voulu dénoncer les pratiques racistes et la maltraitance de certains policiers. Il signale les faits à sa hiérarchie qui a tendance à minimiser et à étouffer les faits. Il pointe notamment l’arrivée de jeunes recrues en 2017. Ces jeunes gardiens de la paix ont « plutôt tendance à mettre le souk au dépôt » comme il dit. Il souligne que beaucoup viennent de province et n’ont jamais vu un noir, un arabe. Certains se sentent investis d’un rôle de défenseur de l’Occident chrétien contre l’Islam. Il souligne que le fait de dénoncer les pratiques d’autres collègues est particulièrement mal vu dans la police.
La maltraitance animale
Mauricio Garcia Pereira a travaillé sept ans dans un abattoir. En 2013, au bout de trois ans, il a un premier choc lorsqu’il tombe sur un foetus sur la chaine. D’un côté on fait de l’élevage intensif et, de l’autre, on jette des veaux quasi à terme. Plusieurs vignettes décrivent les conditions de travail marquées par des cadences infernales. Après avoir vu des images à la télévision qui dénoncent des pratiques de maltraitance animale, il se rapproche de l’association L 214. Il choisit de témoigner à visage découvert. Il est licencié et développe des symptômes comparables à un stress post-traumatique.
Les effets d’un médicament
Les deux cas suivants s’inscrivent dans la catégorie « alerter et se protéger par d’autres dispositifs ». Le premier traite de la Dépakine, ce médicament anti épileptique massivement prescrit pendant longtemps. S’il se révèle efficace pour la traiter, il est aussi à l’origine de nombreuses malformations de bébés quand les mères ont continué à en prendre pendant la grossesse. Marine Martin a passé des heures sur internet avant de découvrir le lien entre les deux faits. Elle a deux enfants qui ont de lourds séquelles. Son fils Nathan ne parla pas avant l’âge de six ans. Alors que les médecins anglo-saxons ont alerté depuis les années 80, il faut attendre 2015 pour que le médicament affiche clairement les choses en France. Fondatrice d’une association, Marine Martin rassembla autour d’elle plus de 4 000 familles. L’association fut la première à utiliser en France la possibilité de mener une action de groupe.
Détournement de fonds dans une association sociale
Le cas suivant montre les pratiques douteuses de gestion d’associations. Philippe Toulouse s’est impliqué dans l’aide aux SDF et après avoir mobilisé Dany Boon comme parrain il a pu mettre en place une structure qui leur venait en aide. Cependant, l’association connaît une situation économique fragile. Mais, en creusant, le lanceur d’alerte s’aperçoit que 10 % du budget de l’association est alloué au siège qui ne représente que 10 salariés sur 300. Grâce à des documents reçus, Philippe Toulouse peut fournir des preuves alors que les menaces plus ou moins directes se multiplient contre lui.
Alerter en restant anonyme
Les deux derniers cas évoquent la question de la sécurité des données personnelles et celle de l’évasion fiscale. Elliot, puisque tel est son pseudo, est d’abord engagé comme développeur dans une société d’informatique. Rapidement, il découvre des failles dans les logiciels de l’entreprise. Après l’avoir signalé à sa hiérarchie, il est d’abord remercié avant d’être considéré comme un gêneur. Il s’appuie alors sur un haut fonctionnaire qui fait pression sur l’entreprise. Mis à pied, puis licencié, il a finalement retrouvé un emploi. Le dernier cas est assez rocambolesque. Devenu informateur pour la DGSE de 2007 à 2013, Maxime Renahy a fourni à l’administration des informations sur les pratiques de certaines entreprises qui hébergent leurs activités à Jersey ou au Luxembourg.
Quelques conseils pour finir
La dernière partie récapitule les conseils à retenir pour faire un signalement, les avancées de la directive européenne 2019/1937 mais aussi les principaux acteurs sur la question des lanceurs d’alerte. Ensuite, ce sont les fiches récapitulatives par chapitre avec un résumé très pratique sur chaque affaire et un glossaire des infractions citées.
Cet ouvrage propose donc une collection de cas et pourra se révéler très utile en Enseignement moral et civique ou dans le cadre de la spécialité HGGSP. Il permet de disposer d’exemples incarnés mais aussi de références juridiques précises.
Jean-Pierre Costille