Dans la lignée d’ouvrages tels que ceux d’Omer Bartov, ce livre, fruit d’un colloque organisé par l’institut historique allemand de Paris, revient sur le rôle de la Wehrmacht dans les exactions commises par l’Allemagne nazie de 39 à 45, ici l’accent étant mis sur la politique de « maintien de l’ordre » en Europe occupée comme l’indique le sous-titre.
Dirigé par Gaël Eismann, auteure d’une thèse sur la politique de maintien de l’ordre et de la sécurité conduite par le MBF entre 1940-44, et Stefan Martens, directeur adjoint de l’institut historique allemand de Paris, cette série d’articles souhaite tordre le cou à deux mythes :
-Celui d’un Wehrmacht propre, la saubere Wehrmacht, se comportant dignement avec les civils et qui n’aurait été impliquée qu’à la marge dans les tueries et autres massacres.
-Celui d’une Wehrmacht au comportement correct à l’Ouest étant entendu qu’il est établi que son comportement à l’Est fut dans un grand nombre de cas criminel.

Les chapitres, au nombre de 9, ne font pas le tour de la politique de « maintien de l’ordre » en Europe occupée ; d’une part, il s’agit plus d’éclairages sur des points précis et d’autre part, seuls quelques pays occupés sont évoqués : la France pour quatre articles, la Belgique pour deux, l’URSS pour deux, la Pologne pour un ; le cas à part de l’Italie fait l’objet d’un article.

La politique de maintien de l’ordre à l’est :
Dans la première contribution, Jochen Böhler travaille sur le mythe du franc-tireur à partir de deux massacres : l’un commis en 14 en Belgique et l’autre en 39 en Pologne. Selon lui, il est possible de conclure à une forme de continuité dans le déroulement de ce type d’événement. La perception d’un adversaire déloyal associée à la nervosité et à la peur engendrées par la situation de combat conduisit dans les deux cas les troupes allemandes à considérer, à partir d’un incident anodin (coups de feu, explosion) toute la population civile comme ennemie et à la massacrer. Il relève toutefois une différence notable ; la surreprésentation des juifs et des élites chez les victimes polonaises.
Le cas de l’URSS, étudié par Dieter Pohl, est analysé à travers la montée des violences commises. Perçus comme des êtres inférieurs, les populations soviétiques furent aussi victimes d’ordres donnés approuvant l’utilisation de la violence et par la volonté d’exploitation sans freins du pays. L’auteur note que cette violence fut acceptée par les hauts gradés de l’armée d’autant plus facilement que la campagne militaire durait. Plusieurs temps sont mis en évidence : jusqu’en septembre 41, exécutions et massacres suivent le plus souvent les durs combats puis jusqu’en 43, la situation des prisonniers et des civils s’aggrave et les massacres se banalisent, enfin 43 marque le passage au premier plan de la recherche de main d’œuvre vers le Reich et de la lutte contre les partisans.
Christian Gerlach établit justement une chronologie de celle-ci. Prenant conscience que la guerre ne s’achèverait pas fin 41, il fut décidé d’éliminer toute velléité de résistance afin de sécuriser les voies de communication essentielles pour le ravitaillement de la Wehrmacht. Dès 42, des opérations de grande envergure furent organisées afin de réduire les importants groupes de partisans situés derrière les lignes et s’en prenant à toute personne collaborant avec l’occupant. Puis d’autres méthode furent expérimentées comme la création de zones mortes dépeuplées avec évacuation des civils et déportation des hommes en âge de travailler. Enfin, à partir de 44, dans une situation de recul généralisé, les Allemands tentèrent d’organiser sans beaucoup de succès des villages défensifs, hors des zones mortes, en s’appuyant sur des populations jugées sûres.La politique de maintien de l’ordre à l’ouest :
Le comportement de la Wehrmacht à l’Ouest, longtemps loué, est ici discuté et en premier lieu à travers le cas particulier de l’Italie, ancien allié ayant fait défection.
Les militaires, considérés par les Allemands comme de bien piètres partenaires, subirent les premiers la violence allemande. Puis la violence s’accrût sous l’effet d’ordres sans ambiguïté émanant du führer : appliquer les méthodes de la guerre à l’Est. La retraite, souvent à l’origine de débordements, des troupes allemandes et l’activité des partisans contribuèrent au déchaînement de violence : massacres, déportations de main d’œuvre le plus souvent le fait d’unités SS ou de troupes ayant l’expérience du front de l’est. Après une accalmie fin 44, 45 et la retraite vers le Nord du pays marque le signal d’une reprise de la violence de représailles suite à des actes de résistance.
Autre pays occupé, la Belgique est abordée par Marjorie Courtoy à partir de l’exemple d’un type de politique de maintien de l’ordre : la prise d’otages. Qui étaient-ils ? Des civils, des hommes, jeunes, souvent sans rapport avec l’acte pour lequel ils furent arrêtés ; d’autres étaient des notables servant de boucliers humains dans les trains de soldats allemands.
Cette question prit une ampleur après guerre sans rapport avec l’importance numérique des victimes (environ 350). L’auteure pense que cela s’explique par l’identification rapide des coupables dont 242 furent condamnés à mort toutefois beaucoup ne furent pas exécutées.La suite du livre traite de la France. Dans la zone occupée, c’est le militarbefehlshaber in frankreich qui avait la responsabilité du maintien de l’ordre. Son rôle dans les violences allemandes fait actuellement l’objet d’une réévaluation toutefois difficile du fait d’archives insuffisantes. Toutefois pour Gaël Eismann, il semble avéré qu’il eut un comportement plus violent que ses homologue du Nord et de l’Ouest de l’Europe. En effet, malgré une perte de compétences progressives, il incita régulièrement les feldkommandanturs à faire de sévérité, suite aux pressions exercées par Hitler, l’OKW et l’OKH. Ainsi, furent prononcées de plus en plus de peines de morts appliquées de 41 à 44 à un nombre croissant d’actes de résistance. Gaël Eismann en conclu que le MBF, loin d’être à la traîne ou de vouloir freiner la répression, l’accompagna souvent avec zèle.
Face à la résistance, d’autres méthodes plus radicales furent appliquées. Pieter Lieb rappelle que 4 à 5 000 civils français furent tués suite à des actes de résistance ou des francs-tireurs (voir début de l’article). La plupart des unités allemandes impliquées dans ces tueries avaient comme en Italie l’expérience de l’Est ou étaient des unités SS telles que la Das Reich mais pouvaient aussi s’appuyer sur « l’ordonnance Sperrle », adjoint du commandant de l’Ouest qui ordonnait aux troupes d’user de leurs armes en cas d’attaque « terroriste ». Malgré tout cela, l’auteur note une grande différence dans l’ampleur des massacres et des destructions entre l’Est et l’Ouest.
L’après-guerre fut le temps de la justice. Claudia Moisel signale les lois sur lesquelles les tribunaux français s’appuyèrent pour poursuivre les criminels de guerre. Pour cela, elle identifie deux phases : de 1944 à 1963, deux lois furent votées sur les crimes de guerre puis une autre en 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. En France, les criminels de guerre furent jugés par des tribunaux militaires mais à partir des années 1950, la poursuite des criminels de guerre fut sacrifiée sur l’autel de la réconciliation franco-allemande. Ainsi quelques-unes des figures de l’occupation allemande en France comme Abbetz, Knochen et Oberg bénéficièrent de conséquentes remises de peine. Lors de la 2ème vague de procès, seuls deux allemands furent condamnés : Barbie et Brunner, le reste des accusés étant des collaborateurs français comme Papon.
Quel est le bilan de la justice ? l’auteur retient le chiffre de 20 000 crimes de guerre mais, les tribunaux rendirent des ordonnances de non-lieu pour les ¾ d’entre eux ; 2345 criminels furent jugés, 800 peines de mort furent prononcées la plupart par contumace, seules 47 furent exécutées.

Au final, un livre qu’il faut prendre comme un jalon, une étape sur le chemin d’une démythification de la Wehrmacht. 1995 et l’exposition de l’institut für Sozialforschung sur les crimes de la Wehrmacht avait fait sensation. En effet s’attaquer à la Wehrmacht s’était s’en prendre à tous puisque chaque famille avait eu un mobilisé pendant le conflit.
Douze ans plus tard, cet ouvrage s’inscrit dans une continuité, dans une volonté d’explication totale des violences commises du temps de l’Allemagne nazie.
Chaque contributeur souligne le caractère encore parcellaire de certaines connaissances, le manque d’archives ou le besoin de relecture de certaines autres.
Quoiqu’il en soit, même s’il ne peut servir en tant quel tel pour un enseignant du secondaire, il pourra après lecture avoir le mérite de rappeler à ceux-ci le rôle joué par la Wehrmacht dans l’application d’une politique violente en Europe occupée.

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