Thierry Sanjuan (Sous la direction de), Dictionnaire de la Chine Contemporaine, Armand Colin, 2007, 336 pages.

Compte-Rendu par Jean Philippe Raud Dugal, professeur au lycée Edmond Perrier, Tulle.

La Chine ne cesse d’inquiéter ceux qui ne la connaissent pas. Thierry Sanjuan, Professeur de Géographie à l’Université de Paris I, déjà auteur du très remarqué « La Chine, territoire et société » chez Hachette, tente de répondre à ces interrogations. La population chinoise connaît depuis peu des mutations encore inconnues jusque là. Les remises en cause des valeurs et du mode de pensée des chinois ont été l’occasion pour Thierry Sanjuan de coordonner ce dictionnaire en interrogeant ce qu’est la Chine aujourd’hui et mesurer les principales mutations à l’œuvre. A côté de l’essor économique et de celui des villes, le maintien du Parti Communiste au pouvoir représente la seule permanence du passé.
L’auteur, dans l’introduction, assigne à l’ouvrage deux objectifs majeurs : « donner à comprendre la complexité de l’actuelle transition chinoise et dessiner la silhouette, sur le plan intérieur comme dans ses actions extérieures d’un pays qui est déjà l’un des pôles majeurs de l’espace mondial de ce nouveau siècle ». Il présente ensuite les principaux caractères de la Chine contemporaine mettant ainsi en perspective la puissance chinoise et ses faiblesses.

Les multiples entrées proposées à la fin de chaque définition permettent d’avoir une approche thématique fort judicieuse. C’est dans cette configuration que l’ouvrage prend toute sa force ne négligeant en aucune manière le cadre spatial (définition des disparités régionales p.67).

Les valeurs morales, ancestrales sont définies (culte des ancêtres, acuponcture…) permettant de s’interroger sur la montée de l’individualisme lié au passage du pouvoir économique aux mains des enfants, ébranlant ainsi la famille et l’autorité patriarcale, bases de la société chinoise.
Mais, l’ensemble des articles mettent en évidence les transformations de cette société. Depuis 1992, elle a été soumise à des changements majeurs en matière d’éducation et de santé qui expliquent les préoccupations majeures des chinois pour l’avenir. Peuple de paysan, la mondialisation actuelle a bouleversé les structures sociales d’une société qui a longtemps prôné l’égalitarisme. L’ouverture capitalistique est-elle pour autant responsable d’une nouvelle hiérarchisation sociale ? Pas nécessairement si on prend le temps de lire l’ensemble des définitions attenantes à cette question. C’est en effet la volonté décentralisatrice de Deng en 1979 qui est responsable de la désorganisation des systèmes éducatifs et sanitaires. Ce sont, sans doute, la qualité et l’efficacité de ces systèmes qui sont les facteurs clés de la croissance économique à long terme.
L’autre thématique liée à cette question de croissance est celle des problèmes environnementaux. Wen Jiabao, début mars, a insisté sur la nécessité de prendre en considération l’environnement pour ne pas freiner celle-ci. Les différents axes retenus dans ce dictionnaire permettent de donner du corps à cette analyse. Ainsi, Frédéric Obringer constate dans sa définition de l’environnement (p.96-7) que le coût environnemental de la déforestation est majeur pour l’économie et le futur du pays.

L’ouvrage permet tout aussi bien de comprendre les arcanes du pouvoir communiste et sa domination toujours plus ferme sur le pays. On notera la mainmise sur l’information mais aussi comment la dissidence est appréhendée par le pouvoir comme par ces acteurs. Ces derniers se considèrent, selon Marie Holzman (p.69), comme des « conseillers des princes » plutôt que comme des composants. Les autres « outils » de cette politique répressive contre ceux que le pouvoir juge indésirables sont multiples de la peine de mort aux camps de rééducation par le travail. Ces définitions permettent ainsi de mieux comprendre la thématique des droits de l’homme pour les chinois.
De même, les principaux caractères du modèle économique chinois sont détaillés des premières réformes de 1979 à la relance de 1992 avec le passage à l’économie socialiste de marché adopté par le parti communiste qui vient en contrepoints à l’effondrement de l’URSS quelques mois auparavant. Les auteurs comme Bruno Cabrillac sur la bourse (p.24-25) font le point sur les faiblesses de l’économie chinoise avec un contrôle des changes problématique, la gestion directe de pans entiers de l’industrie par le pouvoir central… Plus récemment, l’achat de la section PC d’IBM par Lenovo, symbole de la remontée des filières, mais aussi la prise de participation de la Chine de multiples bons du trésor américain sont la preuve de la volonté d’aborder la mondialisation de façon plus offensive.

Les étapes majeures de la politique chinoise sont parfaitement développées combinant phases historiques, événements majeurs et biographies de qualité mettant en exergue les différentes évolutions du parti communiste chinois.

Mais, c’est avant tout sous le prisme de la géopolitique que l’ouvrage prend toute sa force. Les définitions d’Armée et de Défense par exemple sont l’occasion de mesurer le nationalisme chinois. Les objectifs du gouvernement sont nombreux. Tout d’abord, il lui faut édifier des forces armées plus réduites, mieux équipées et plus opérationnelles. Ensuite, pour Pékin, la capacité nucléaire et balistique, notamment face à ses voisins, lui permet un différentiel très net de puissance que la Chine ne peut abandonner. Enfin, le but final est de parvenir, tout en gardant un œil sur le voisin taiwanais, d’exclure de la Région les puissances extérieures comme les Etats-Unis et interdire l’émergence de puissance concurrentielle à proximité de son territoire. Le dictionnaire envisage ainsi les différentes relations de la Chine avec ses voisins. De même, les prémices d’un dialogue Sud-Sud avec le partenariat, confirmé en 2006 par les visites de Hu Jintao en Afrique et en Amérique Latine font l’objet de mises au point intéressantes.

Cet ouvrage, de lecture très aisée, est une vraie mine d’informations sur la Chine d’aujourd’hui pour comprendre son caractère présent qui trouve ses racines dans les millénaires de l’histoire chinoise mais aussi et surtout depuis la Longue Marche de Mao. On notera quand même quelques redondances sur la démographie, pierre angulaire de l’avenir de la Chine. Les dernières pages offrent une bibliographie dense et thématique mais aussi des cartes fort utiles qui pourront illustrer ou permettre de décrypter l’espace chinois. Les ouvrages de Pierre Gentelle mais aussi celui du groupe Futurible en 2006, « La Chine à l’horizon 2020 » (voir le compte-rendu sur le site des Clionautes http://www.clionautes.org/?p=1079 ) permettront de compléter cette approche tout à fait nécessaire et salutaire.
Les enseignants trouveront du grain à moudre dans les différentes définitions proposées comme pour celle de l’eau où toutes les problématiques du programme de seconde sont développées.
Plus encore, les étudiants en Géographie ou en CPGE auront ainsi un complément d’informations pour aborder les problèmes géopolitiques chinois. Ainsi, tout centre de documentation devrait se procurer l’ouvrage pour offrir à ses usagers une ouverture vers un autre monde craint mais finalement ignoré. Les deux objectifs de Thierry Sanjuan et des auteurs du Dictionnaire sont remplis, nous permettant d’avoir une connaissance plus ‘intime’ de ce pays.

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