On arrive dans la nuit est la retranscription d’un entretien réalisé pour le Mémorial de la Shoah en 2005. Pendant 5 heures, Marceline Loridan-Ivens se confie sur sa vie avant la guerre, sur la Seconde Guerre mondiale et la déportation ainsi que sur son retour. Proche de Simone Veil, rencontrée en déportation à Birkenau, elle perd 45 membres de sa famille dans les camps, son frère et une de ses sœurs se suicident après la guerre.

Une famille sioniste et résistante

D’origine polonaise, Marceline Loridan-Ivens naît dans une famille juive pauvre, qui a fui les pogroms. Lors de l’indépendance de la Pologne en 1918, le gouvernement Pilsudski a déclaré : « Il faut que deux millions et demi de Juifs s’en aillent ». Le choix de la France s’explique par une affinité culturelle avec la France de Balzac et Zola, mais aussi avec un pays perçu comme celui des droits de l’homme après l’affaire Dreyfus. Les rapports avec sa mère sont difficiles, mais elle a toujours été proche de son père.  Elle décrit ce dernier comme libéral et sioniste.

La petite fille subit l’antisémitisme à l’école, elle déclare : « j’étais rouquine, gauchère et juive ». Elle est aussi considérée comme étrangère et n’est pas acceptée dans les milieux juifs plus aisés. Par la suite, elle est placée, avec les deux cadets de la fratrie, dans une maison qui accueille aussi des enfants de prostituées et des handicapés. Ils y subissent de la maltraitance jusqu’à ce que son père vienne la chercher. Marceline Loridan-Ivens part ensuite en internat : elle est renvoyée du premier après la découverte de son journal intime où elle revendique être gaulliste, la directrice du second partage ses idées politiques. Son père se met en colère, il craint que ses petits actes de résistance la mettent en danger.

La famille de Marceline Loridan-Ivens s’implique dans la résistance. Sa sœur aînée s’engage dans les FTP. Son père cache des réfractaires. Un de ses frères rejoint la France Libre en Algérie. Malgré des informations et une conscience du danger qui les menace, le père ne souhaite pas quitter la France. Le danger se rapproche, les arrestations concernent une partie de sa famille. Parmi ses proches, un de ses oncles tue un Allemand pendant son interrogatoire avant de jeter par la fenêtre. Marceline Loridan-Ivens est cachée dans une maison, mais les mauvais traitements sont difficiles à supporter et elle rentre à la maison.

La déportation

Elle est arrêtée en même temps que son père, alors que le reste de sa famille a pu s’échapper. Le père a conscience qu’il ne reviendra pas et incite sa fille à fuir. Elle n’en a pas l’occasion. Ils partent ensemble pour Drancy avant d’être tous les deux déportés vers Auschwitz dans le convoi n°71 du 13 avril 1944. Quelques rares instants lui permettent d’avoir des nouvelles de son père : se croiser dans le camp, une lettre transmise par un autre détenu. Il ne reviendra pas de déportation.

Marceline Loridan-Ivens décrit les rivalités dans le camp. Elle insiste sur le fait, que les Juifs, contrairement aux kapos ou aux communistes, sont écartés de l’organisation du camp. Les communistes françaises déportées à Auschwitz avait des conditions un peu moins difficiles. Elle travaille dans différents kommandos, du Canada où elle peut voler quelques affaires aux plus durs comme celui où elle creuse les tranchées lors de l’extermination de 48 000 Hongroises en quelques semaines. Elle occulte d’ailleurs en partie ce travail, jusqu’à ce qu’une autre déportée lui rappelle ce souvenir terrible. Elle dissimule ses problèmes de santé pour ne pas aller au Revier et vers les chambres à gaz. Une solidarité se noue entre déportées, elle raconte comment les autres la soutiennent pendant l’appel, la dissimulent pendant le travail.

Les séquelles de la déportation sont parfois insurmontables et entrecoupent le récit de sa vie à Auschwitz. Marceline Loridan-Ivens raconte les visages oubliés, les tentatives de suicide après son retour, le souhait de ne pas avoir d’enfant de crainte que l’histoire ne se répète. Elle estime « n’avoir jamais quitté le camp », se demandant toujours comment réagirait une personne qui l’impressionne dans un camp. Elle raconte aussi « l’humiliation de l’intime », la pire des humiliations selon elle et la gêne extrême, après la guerre, devant la nudité.

Elle tient aussi à raconter l’histoire de MalaIl s’agit de Malka Zimetbaum, surnommée Mala. Son compagnon, Edward Galinski, résistant polonais, est également repris et exécuté publiquement devant les déportés. Il résiste aussi lors de son exécution., évadée avec son amoureux puis reprise. Devant la potence, elle se tranche les veines, elle gifle un SS, fait un discours aux déportées juives rassemblées pour leur dire que la guerre est finie. Elle les incite à résister. Elle est ensuite exécutée. Marceline Loridan-Ivens a assisté au discours qui a eu une grande importance pour elle. Elle montre à nouveau la distinction entre les Aryennes, confinées dans les Blocks et les Juives, forcées d’assister à l’exécution. Elle doit servir d’exemple aux autres déportées, mais cela n’a pas l’effet escompté et les Allemands font rentrer les Juives dans les baraquements.

Le transfert et le retour

Après une nouvelle sélection devant Mengele, elle est évacuée vers Bergen-Belsen fin 1944. Les conditions de transport et de vie sont atroces, mais Marceline Loridan-Ivens est soulagée : « La plus grande chose au monde, c’est qu’il n y ait plus de gaz. Qu’on ne soit plus bonnes pour les sélections. Alors, c’est le bonheur ». L’arrivée du commandant Josef Kramer, ancien commandant de Birkenau, marque un durcissement à partir de janvier 1945. Marceline Loridan-Ivens est volontaire pour partir. Elle est alors transférée dans le camp annexe de Raguhn avant un nouveau transfert. Avec sa copine Renée, elles s’étaient cachées dans un cercueil vide pour ne pas partir. Reprises par les Allemands, elles sont transportées dans un wagon de malades du typhus en guise de punition.

Elle arrive à Theresienstadt après plusieurs jours de voyage. Les Allemands sont partis, les déportés qui arrivent sont dans un état lamentable, on leur donne à manger. Renée, atteinte du typhus, est hospitalisée. Elle en meurt. Marceline Loridan-Ivens se retrouve isolée, dans un camp libéré par les Soviétiques. Elle décide de partir avec des prisonniers de guerre français, ils rejoignent Prague à pied après la confiscation du camion par les Soviétiques, avant de poursuivre vers la zone contrôlée par les Américains. L’organisation américaine refuse de rapatrier les quelques déportées de Birkenau, mais les prisonniers de guerre français qui les ont accompagnées, insistent. Elles peuvent ainsi emprunter le chemin du retour.

Arrivée au Lutétia, Marceline Loridan-Ivens se souvient de sa dureté face aux proches des déportés. Face à ceux qui demandent des nouvelles de mères déportées avec leurs enfants, elle leur répond qu’ils ne reviendront pas et qu’ils ont été « passés au gaz ». Elle repart sans enthousiasme retrouver sa mère, elle comprend immédiatement que son père est mort en déportation. Un de ses oncles, déporté à Birkenau puis caché par les partisans, l’accueille à la gare. Il lui conseille de ne pas parler de son expérience. Les années qui suivent sont compliquées. Si la famille a réussi à conserver sa maison, les secrets de famille et les tensions avec la mère empoisonnent les années d’après-guerre. La fratrie est marquée des traumatismes que leur mère ne comprend pas. Il n y a pas de dialogue sur l’expérience de la déportation.

Une cinéaste engagée

Elle se marie, mais refuse de suivre son mari à Madagascar. Elle est sensible au sort des travailleurs algériens, ne souhaite pas participer à la colonisation. Elle se remarie avec Joris Ivens, fait du cinéma avec lui. Elle s’engage, pendant la guerre d’Algérie, en tant que « porteuse de valises » pour le FLN. Elle consacre également son premier documentaire au sujet : Algérie, année zéro en 1962.

Après le décès de Joris Ivens, elle est invitée au festival de Varsovie. Elle hésite et décide d’y aller pour retourner à Birkenau. Elle s’y rend avec sa sœur, qui découvre son sort et celui de son père pendant la guerre. Ce voyage la décide à raconter. Ce sera un film : La petite prairie aux bouleaux. C’est une manière d’être à contre-courant d’une massification des déportés qui lui était indispensable. Le recours aux témoignages prendra du temps, elle le regrette. Cet enregistrement est aussi un moyen de montrer l’individualité de son parcours.

Le livre comporte également des photographies personnelles, commentées par l’autrice, une filmographie et une chronologie.

https://entretiens.ina.fr/memoires-de-la-shoah

Lire les premières pages du livre