Avec cet ouvrage de la collection terre de mémoire, l’écrivain éditeur Jean-Louis Marteil livre une belle promenade littéraire dans ce lieu chargé d’histoire qu’est devenu le village martyr d’Oradour sur Glane. Les événements dramatiques qui se sont déroulés ici, par une terrible journée de juin 1994 sont connus.

Ce petit village du Limousin a été le théâtre d’une exécution systématique de la part des Waffen S.S., de la division Das Reich, faisant officiellement 642 victimes. Oradour-sur-Glane a été rayé de la carte, un après-midi de juin. Conservé en état de ruine, ce village fantôme est un témoin de ces massacres moins connus qui se sont déroulés à grande échelle dans les plaines d’Europe centrale ou dans les territoires sous occupation japonaise.

Ce bourg est situé à une vingtaine de kilomètres au nord ouest de Limoges et le village entier a été conservé après la guerre. Les rails du tramway sont encore en place. Fragiles témoins d’un passé qui ne veut pas mourir, de nombreuses carcasses de voitures résistent encore à la rouille, tout comme quelques objets domestiques restés dans les maisons. (Remis en place en fait, ce qui n’est pas forcément apprécié par tous.)

Certes Jean-Louis Marteil ne fait pas œuvre d’historien. Il parcourt les rues et franchit les seuils de ces maisons détruites, de ces granges lieux d’exécutions, de cette église enfin témoin du massacre. Par les mots, les mots seuls, l’expression des sentiments mêlés de respect et de colère, il donne à voir un lieu de mémoire. (Sur ce lieu de mémoire, peut-on alors disposer des témoins de l’époque d’avant ? Comme un rappel de ce qui a été brisé où doit on laisser le site figé ?).

Lieu de mémoire, formule tellement entendue depuis l’écriture de l’ouvrage majeur de Pierre Nora qu’elle est désormais reprise dans un stock de formules revisité pas les « chargés de com.» et pourtant tellement valide. Dans la mise en scène du Panthéon, par un jour d’investiture présidentielle, le 21 juin 1981, un dialogue s’était noué, entre les vivants et les morts. Cette rencontre avait la couleur de l’espoir, que d’aucuns purent juger déçu. On se retrouve alors très loin, 27 années plus tard de ces espoirs. Le politique perd alors sa charge symbolique au profit d’une proximité ostentatoire, mise en scène toujours, là où le paraître tient lieu de message et la formule ciselée d’argument.

Les pas du promeneur…

Oradour, ce dix juin 1944, Jean-Louis Marteil se souvient, lui qui n’était pas né de ce jour tragique. Il a voulu imaginer dans un dialogue avec l’histoire, avec le lieu, le temps d’une journée ordinaire où le destin d’une communauté humaine croise les turbulences de l’histoire.

Et il les rencontre ces hommes et ces femmes, dans leur quotidien ordinaire, dans cette campagne limousine de l’été 1944. Elle ne rentrera pas dans la ville encerclée par les SS, cette vieille dame au chignon serré… Elle vivra. Il insistera et parviendra à tirer du garde en uniforme noir aux parements argent une once de compréhension et d’humanité. Il franchira le barrage. Il mourra.

On suit les pas de l’auteur et l’on entend ses semelles crisser dans les chemins où poussent les herbes folles, et l’on découvre avec lui ce village figé. Ce lieu où le temps s’est arrêté, monument de pierre calciné, témoin muet de la folie des hommes. Mais l’on entend aussi, dans le silence, les hurlements rauques de ceux qui, depuis 1933, ont été les inspirateurs de ce massacre. Leurs cris couvrent ceux des acteurs de ces crimes et même aussi ceux des victimes.

… Crissent dans les rues

Exercice de style sans doute d’un écrivain de talent, avec ces mots fluides et ciselés, mais au sens premier « devoir de mémoire ». Oui, la formule est aussi usée qu’elle en est devenue polie comme ces galets de la rivière qui coule aux pieds du village, mais même galvaudé et parfois insupportable, ce devoir de mémoire prend ici tout son sens.

On se prend alors, en refermant les pages de ce petit ouvrage qui se lit d’un trait, à imaginer comment, par la sonorité des mots, les jeunes générations, pourraient, soixante quatre ans plus tard, partager les sensations de ce promeneur. Porte des sensations qui s’ouvre alors sur l’histoire avec le grincement de ces portes de granges encore en place, pour éclairer et comprendre, la parole de l’historien, dans un échange avec la mémoire devient référence, objet scientifique. Comment dans le croisement des destins individuels et collectifs, le crime est devenu possible, évident même.

La lumineuse préface de Lucie Aubrac, disparue en mars 2007 interpelle alors le croisement des mots, qui montrent la splendeur d’une vie heureuse et tellement ordinaire et les fulgurances d’un massacre gratuit.

© Clionautes Bruno Modica