Deuxième constat : ce concept fait écrire des auteurs d’horizons variés, journalistes, géographes, économistes, écologistes, politiques… et ces publications ne tendent pas toutes vers le même objectif ou public : le numéro de la documentation photographique vise un public d’enseignant pour une mise au point dans l’optique d’une intégration accélérée du concept de développement durable dans les programmes de l’éducation nationale, « Le développement durable » de François Mancebo se présente plutôt comme un précis du développement durable destiné avant tout à un public d’étudiants et d’universitaires…
Sylvain Allemand lui est journaliste et collabore notamment à Alternatives économiques. Il est aussi l’auteur d’un précédent livre sur le sujet, « Le développement durable. Au regard de la prospective du présent ».
Dans ce nouvel ouvrage, Sylvain Allemand fait un bilan d’étape : Où en est-on vingt après la publication du rapport Brundtland ? Cet état des lieux en quatre temps, le concept et ses évolutions, les initiatives, les acteurs, les débats, est présenté le plus souvent sous forme de questions ou d’alternatives : révolution ou évolution, notion durable ou en devenir…Revenant sur la genèse du concept, Sylvain Allemand souligne que les préoccupations de développement durable ont précédé l’élaboration du concept (voir aussi ce qu’en dit Jean-Pierre Lozato-Giotart pour le tourisme dans son ouvrage « le chemin vers l’écotourisme », car, dit-il, de tous temps des hommes se sont préoccupés des dégradations de l’environnement, de la misère sociale mais à partir des années 60, ces préoccupations prennent un nouveau tour. Et l’auteur de rappeler les moments d’une prise de conscience à l’échelle mondiale d’un ensemble de processus : le rapport Meadows, le rapport Brundtland, le sommet de Rio ; prise de conscience alimentée par toute une série de catastrophes mais aussi par les projections démographiques et la croissance économique continue.
Parallèlement l’auteur définit, au cours de cette première partie, l’aspect novateur que porte selon lui le développement durable. Même rappelle-t-il si la notion « procède aussi de pratiques traditionnelles », la nouveauté réside dans la prise en compte, à côté des préoccupations environnementales, de la croissance et de la recherche d’une certaine équité. Ce mode de gestion oblige à « penser la complexité » en privilégiant une approche transversale et insiste sur la centralité de l’homme.
Suite à cela sont présentés nombre de domaines pour lesquels la durabilité devient un enjeu : l’agriculture , les transports, l’énergie, la ville, le tourisme…
Que retenir de tout cela ? L’auteur fait remarquer que dans beaucoup de secteurs l’idée de durabilité a précédé le concept et a été déclinée en raisonnée, biologique pour l’agriculture, solidaire, écotourisme, équitable… pour le tourisme (voir là aussi Jean-Pierre Lozato-Giotart dans une interview donné au café pédagogique : L’application de la durabilité part souvent d’un constat : forte consommation d’énergie de l’habitat, croissance de population urbaine et étalement urbain, l’augmentation prévue du nombre de touristes…
Ces dynamiques et leurs conséquences amènent à penser toutes ces thématiques en termes de durabilité et d’imaginer les outils de celle-ci : dans le cas de la ville durable, des textes existent comme la charte d’Aalborg, des éléments de définitions existent : une ville consommant moins d’énergie, plus dense, où mixité sociale et participation des citoyens à la prise de décision sont effectifs, des initiatives ont été prises comme la réalisation d’écoquartiers tels le quartier Vauban de Fribourg-en-Brisgau (voir la double-page de la documentation photographique dont les auteurs sont Yvette Veyret et Gérard Granier).
Toutefois, ces « opérations » durables ne représentent que peu de choses dans leur domaine respectif : le tourisme durable équivaudrait à 1% de l’activité touristique totale. Ensuite, bien des actions tendent à privilégier l’un des trois piliers du développement durable, souvent l’aspect environnemental, tel est l’une des difficultés à surmonter pour les acteurs du développement durable.
Acteurs au pluriel car c’est aussi l’une des caractéristiques de ce concept et de sa mise en musique : la multiplicité des acteurs et l’apparition dans la gestion de « nouveaux acteurs ».
Tous ces intervenants représentent ou agissent souvent à des échelles différentes et le développement durable met lui le doigt sur des enjeux internationaux aux répercussions locales ce qui nécessitent une « articulation entre les échelles ».
ONU, états, entreprises, collectivités, ONG, école, citoyens… voilà les acteurs cités par l’auteur ; tous se sont « mis » au développement durable selon des temporalités variables ; ce passage fut plus ou moins volontaire, ainsi l’auteur de mettre en avant les pressions subies par les entreprises, les états afin d’engager une politique de développement durable. Mais il ne faut crier trop vite victoire car l’auteur montre combien certaines initiatives sont discutables : des entreprises font de la communication avec le développement durable, l’ONU produit un grand nombre de textes sur le sujet mais peu sont contraignants…
Acteurs, initiatives et même le concept font débats tout comme quelques points abordés en fin d’ouvrage :
la situation environnementale est-elle si grave ? le cas de la forêt est utilisé pour montrer que les chiffres sont parfois tellement sujets à caution ou inexistants qu’il est difficile de se faire une idée claire de la situation (voir une double page dans le documentation photographique citée plus haut sur la forêt).
Existe-t-il un ou des développement durable ? un au niveau mondial ou des approches nationales ? la préoccupation peut-elle être la même au Nord et au Sud ?
Faut-il renoncer à la croissance ? Promouvoir une décroissance ?
Enfin OGM et commerce équitable font l’objet de discussions plus ou moins vives entre partisans et détracteurs signe d’incertitudes sur la forme comme sur le fond.
A voir… pourrait être l’épilogue de ce livre. Le développement durable semble bien apporter un plus mais ce « concept » reste encore flou et pour certains, il ressemble davantage à « un mot-valise », sans compter les discussions autour du durable, soutenable…Mais tout cela est peut-être normal ; ce concept n’est peut-être, pour Sylvain Allemand, que « transitoire », comme un sorte de sas permettant de passer du développement à la durabilité.
On ne pourra pas dire que ce livre servira directement à l’élaboration d’un cours mais au moment où l’éducation nationale semble vouloir intégrer le développement durable dans les programmes notamment au collège, il sera utile par la mise au point qu’il réalise et les encadrés distillés au cours de l’ouvrage (interview d’Yvette Veyret, les entreprises à l’heure du développement durable, le cas de Loos-en-Gohelle…)
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